Page images
PDF
EPUB

fembloit que j'étois dans un vaisseau, fur une mer bien agitée;

et que

Geronimo. Seigneur Sganarelle, j'ai maintenant quelque petite affaire, que m'empêche de vous ouir. Je n'entends rien du tout aux fonges; et, quant au raisonnement du mariage, vous avez deux Savans, deux Philo fophes, vos voifins, qui font gens à vous débiter tout ce qu'on peut dire fur ce fujèt. Comme ils font de fectes différentes, vous pouvez examiner leurs diverfes opinions là-deffus. Pour moi, je me contente de ce que je vous ai dit tantôt, et demeure votre ferviteur.

Sganarelle, (feul.) Il a raifon. Il faut que je confulte un peu ces gens-là fur l'incertitude où je fuis.

SCENE VI.

PANCRACE, SGANARELLE.

Pancrace, fe tournant du côté par où il est entré, et fans voir Sganarelle.) Allez, vous êtes un impertinent, mon ami, un homme ignare de toute bonne difcipline, banniffable de la république des lettres.

Sganarelle. Ah! Bon. En voici un fort à propos.

Pancrace, (de même, fans voir Sganarelle.) Oui, je te foutiendrai par vives raifons, je te montrerai par Ariftote, le Philofophe des Philofophes, que tu es un ignorant, ignorantiffime, ignorantifiant, et ignorantifié par tous les cas et modes imaginables.

Sganarelle, (à part.) 11 a pris querelle contre quelqu'un.(A Pancrace.) Seigneur

Pancrace, (de même, fans voir Sganarelle.) Tu te veux mêler de raifonner, et tu ne fais pas feulement les élémens de la raifon.

Sganarelle, (à part.) La colère l'empêche de me voir. -(A Pancrace.) Seigneur

Pancrace, (de même, fans voir Sganarelle.) C'est une propofition condamnable dans toutes les terres de la phi lofophie.

Sganarelle, (à part.) Il faut qu'on l'ait fort irrité,(A Pancrace.) Je

Pancrace, (de même, fans voir Sganarelle.) Tato calo,

totâ viâ aberras.

Sganarelle. Je baife les mains à Monfieur le Docteur. Pancrace. Serviteur.

Sganarelle. Peut-on

Pancrace, (fe retournant vers l'endroit par où il eft entré.) Sais-tu bien ce que tu as fait? Un fyllogifme in balordo.

Sganarelle. Je vous --

Pancrace, (de même.) La majeure en eft inepte, la mineure impertinente, et la conclufion ridicule. Sganarelle. Je

Pancrace, (de même.) Je creverois plutôt que d'avouer ce que tu dis; et je foutiendrai mon opinion jufqu'à la dernière goutte de mon encre.

Sganarelle. Puis-je

Pancrace, (de même.) Oui, je défendrai cette propofition, pugnis et calcibus, unguibus et roftro.

Sganarelle. Seigneur Ariftote, peut-on favoir ce qui vous met fi fort en colère?

Pan race. Un fujèt le plus jufte du monde.
Sganarelle. Et quoi encore?

Pancrace. Un ignorant m'a voulu foutenir une propofition erronée, une propofition épouvantable, effroyable, exécrable.

Sganarelle. Puis-je demander ce que c'eft?

Pancrace. Ah! Seigneur Sganarelle, tout est renversé aujourd'hui, et le monde est tombé dans une corruption générale. Une licence épouvantable regne par tout; et les Magiftrats, qui font établis pour maintenir l'ordre dans cet état, devroient mourir de honte, en fouffrant un fcandale auffi intolérable que celui dont je veux parler.

Sganarelle. Quoi done?

Pancrace. N'est-ce pas une chofe horrible, une chose qui crie vengeance au Ciel, que d'endurer qu'on dise bliquement la forme d'un chapeau?

Sganarelle. Comment ?

pu

Pancrace. Je foutiens qu'il faut dire la figure d'un chapeau, et non pas la forme. D'autant qu'il y a cette différence entre la forme et la figure, que la forme eft la difpofition extérieure des corps qui font animés, et la figure la difpofition extérieure des corps qui font inani

E e

més; et, puifque le chapeau eft un corps inanimé, il faut dire la figure d'un chapeau, et non pas la forme. (Sexe tournant encore de côté par où il eft entré) Oui, ignorant que vous êtes, c'eft ainfi qu'il faut parler, et ce font les termes exprès d'Ariftote dans le chapitre de la qualité.

Sganarelle, (à part.) Je penfois que tout fut perda. (A Pancrace.) Seigneur Docteur, ne fongez plus à tout cela. Je

pas.

[ocr errors]

Pancrace. Je fuis dans une colère que je ne me fens

Sganarelle. Laiffez la forme et le chapeau en paix. J'ai quelque chofe à vous communiquer. Je

Pancrace. Impertinent !

Sganarelle. De grace, remettez-vous.
Pancrace. Ignorant!

Sganarelle. Hé, mon Dieu! Je

Pancrace. Me vouloir foutenir une propofition de la forte?

Sganarelle. Il a tort. Je

Pancrace. Une propofition condamnée par Ariftote?
Sganarelle. Cela eft vrai. Je-
Pancrace. En termes exprès!

Sganarelle, (fe tournant du côté par où Pancrace eft entré) Vous avez raifon. Oui, vous êtes un fot, et un impudent, de vouloir difputer contre un Docteur qui fait lire er écrire. Voilà qui eft fait. Je vous prie de m'écouter. Je viens vous confulter fur une affaire qui m'embarraffe. J'ai deffein de prendre une femme, pour me tenir compagnie dans mon ménage. La perfonne eft belle et bien faite; elle me plait beaucoup, et eft ravie de m'époufer. Son père me l'a accordée: mais je crains un peu ce que vous favez, la difgrace dont on ne plaint perfonne; et je voudrois bien vous prier, comme philofophe, de me dire votre fentiment. He? quel eft votre avis là-deffus!

Pancrace. Plutôt que d'accorder qu'il faille dire la forme d'un chapeau, j'accorderois que datur vacuum in rerum natura, et que je ne fuis qu'une bête.

Sganarelle, (à part.) La pefte foit de l'homme!—(A Pancrace.) He! Monfieur le Docteur, écoutez un peu les gens. On vous parle une heure durant, et vous ne répondez point à ce qu'on vous dit.

Pancrace. Je vous demande pardon. Une jufte colère m'occupe l'efprit.

Sganarelle. Hé, laiffez tout cela, et prenez la peine de m'écouter.

Pancrace. Soit. Que voulez-vous me dire?

Sganarelle. Je veux vous parler de quelque chofe. Pancrace. Et de quelle langue voulez-vous vous fervir avec moi?

Sganarelle. De quelle langue?

Pancrace. Oui.

Sganarelle. Parbleu, de la langue qui j'ai dans ma bouche. Je crois que je n'irai pas emprunter celle de mon voifin.

Panorace, je vous dis, de quel idiôme, de quel langage?

Sganarelle. Ah! c'eft une autre affaire.

Pancrace. Voulez-vous me parler Italien?
Sganarelle. Non.

Pancrace. Efpagnol?

Sganarelle. Non.

Pancrace. Allemand?

Sganarells Non d

Pancrace. Anglois?

Sganarelle. Non.

Pancrave Latin?

Sganarelle. Non.

Pancrace, Grèc? Jus

Sganarelle. Non.

Pancrace. Hébreu?

Sganarelle. Non.

Pancrace Syriaque?
Sganarelle. Non.

Pancrace. Tarc??
Sganarelle. Non.

Panerace. Arabe?

[ocr errors]
[ocr errors]

Sganarelle. Non, non, François, François, François. Panerace. Ah! François.

Sganarelle. Fort bien.

Pancrace. Paffez donc de l'autre côté: car cette oreille-ci eft deftinée pour les langues scientifiques et étran gères; et Pautre eft pour la vulgaire et la maternelle.

Eez

Sganarelle, (à part.) Il faut bien des cérémonies avec ces fortes de gens-ci.

Pancrace. Que voulez-vous?

Sganarelle. Vous confulter fur une petite difficulté. Pancrace. Ah! ah! fur une difficulté de philofophie, fans doute?

Sganarelle. Pardonnez-moi, Je

Pancrace. Vous voulez peut-être savoir, fi la substance et l'accident font termes fynonimes, ou équivoques à l'égard de l'être?

Sganarelle. Point du tout. Je-————

Pancrace. Si la logique eft un art, ou une fcience? Sganarelle. Ce n'eft pas cela. Je

Je

Pancrace. Si elle a pour objet les trois opérations de l'efprit, ou la troifième feulement?

Sganarelle. Non. Je

Pancrace. S'il y a dix catégories, ou s'il n'y en a qu'une?

Sganarelle. Point. Je

Pancrace. Si la conclufion eft de l'essence du fyllogifme?

Sganarelle. Nenni. Je

[ocr errors]

Pancrace. Si l'effence du bien eft mife dans l'appéti bilité, ou dans la convenance?

Sganarelle. Non. Je

Pancrace. Si le bien fe réciproque avec la fin?
Sganarelle. Hé, non! Je

Pancrace. Si la fin nous peut émouvoir par fon être réel, ou par fon être intentionnel?

Sganarelle. Non, non, non, non, non, de par tous les diables, non.

pas

Panerace. Expliquez donc votre pensée, car je ne puis

la deviner.

Sganarelle. Je vous la veux expliquer auffi; mais il faut m'écouter. (Pendant que Sganarelle dit.). L'affaire que j'ai à vous dire, c'est que j'ai envie de me marier avec une fille qui eft jeune et belle. Je l'aime fort, et l'ai demandée à fon père: mais, comme j'appréhende→

Pancrace, (dit en mêm-stems, fans é outer Sganarelle.) La parole a été donnée à l'homme, pour expliquer fes penfées; et, tout ainfi que les penfées font les portraits des chofes, de même nos paroles font-elles les portraits de nos penfées.

« PreviousContinue »