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bien aviez vous d'années lorfque nous fimes connoiffance?

Sganarelle. Ma foi, je n'avois que vingt ans alors. Geronimo. Combien fumes-nous ensemble à Rome? Sganarelle. Huit ans.

Geronimo. Quel tems avez-vous demeuré en Angle

terre.

Sganarelle. Sept ans.

Geronimo. Et en Hollande, où vous futes enfuite?
Sganarelle. Cinq ans et demi.

Geronimo.

Combien y a-t-il que vous êtes revenu ici? Sganarelle. Je revins en cinquante-deux.

Geronimo. De cinquante-deux à foixante et quatre il y a douze ans, ce me femble. Cinq ans en Hollande, font dix-fept. Sept ans en Angleterre, font vingt-quatre. Huit dans notre féjour à Rome, font trente-deux: Et vingt que vous aviez lorfque nous nous connumes, cela fait juftement cinquante-deux. Si bien, Seigneur Sganarelle, que fur votre propre confeffion, vous êtes environ à votre cinquante-deuxième ou cinquante-troisième année.

Sganarelle. Qui, moi? Cela ne fe peut pas.

Geronimo. Mon Dieu, le calcul eft jufte. Et là-deffus. je vous dirai franchement et en ami, comme vous m'avez fait promettre de vous parler, que le mariage n'eft guères votre fait. C'eft une chofe à laquelle il faut que les jeunes gens penfent bien mûrement avant que de la faire: mais les gens de votre âge n'y doivent point penser du tout. Et fi l'on dit, que la plus grande de toutes les folies eft celle de fe marier, je ne vois rien de plus mal-à-propos, que de la faire, cette folie, dans la faifon où nous devons être plus fages. Enfin je vous en dis nettement ma penfée. Je ne vous confeille point de fonger au mariage; et je vous trouverois le plus ridicule du monde, fi ayant été libre jufqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pefante des chaines.

Sganarelle. Et moi je vous dis que je fuis réfolu de me marier, et que je ne ferai point ridicule en épousant la fille que je recherche.

Geronimo. Ah! c'est une autre chofe. Vous ne m'aviez pas dít cela.

Sganarelle. C'eft un fille, qui me plait, et que j'aime de tout mon cœur.

Geronimo. Vous l'aimez de tout votre cœur?

Sganarelle. Sans doute; et je l'ai demandée à fon père. Geronimo. Vous l'avez demandée?

Sganarelle. Oui. C'eft un mariage qui fe doit con. clure ce foir; et j'ai donné ma parole.

Geronimo. Oh! Mariez-vous donc. Je ne dis plus

mot.

Sganarelle. Je quitterois le deffein que j'ai fait? Vous femble-t-il, Seigneur Geronimo, que je ne fois plus propre à fonger à une femme? Ne parlons point de l'âge que je puis avoir; mais regardons feulement les chofes. Y a-t-il homme de trente ans qui paroiffe plus frais et plus vigoureux que vous me voyez? N'ai-je pas tous les mouvements de mon corps auffi bons que jamais, et voit-on que j'aye befoin de caroffe ou de chaife? N'ai-je pas encore toutes mes dents les meilleures (il montre fes dents) du monde? Ne fais-je pas vigoureufement mes quatre repas par jour, et peut-on voir un eftomac qui ait plus de (il touffe) force que le mien? Hem, hem, hem. Hé? Qu'en dites vous?

Geronimo. Vous avez raifon, je m'étois trompé. Vous ferez bien de vous marier.

Sganarelle. J'y ai répugné autrefois; mais j'ai maintenant de puiffantes raifons pour cela. Outre la joye que j'aurai de pofféder une belle femme qui me dorlotera, et me viendra frotter lorfque je ferai las; outre cette joye, dis-je, je confidere, qu'en demeurant comme je fuis, je laiffe périr dans le monde la race des Sganarelles; et, qu'en me mariant, je pourrai me voir revivre en d'autres moi-mêmes? que j'aurai le plaifir de voir des créatures, qui feront forties de moi, de petites figures qui me reffembleront comme deux gouttes d'eau, qui fe joueront continuellement dans la maifon, qui m'appelleront leur papa quand je reviendrai de la ville, et me diront de pe tites folies les plus agréables du monde. Tenez, il me femble déjà que j'y fuis, et que j'en vois une demidouzaine autour de moi.

Geronimo. Il n'y a rien de plus agréables que cela; et je vous confeille de vous marier le plus vite que vous

pourrez.

Sganarelle. Tout de bon? Vous me le confeillez ? Geronimo. Affurément. Vous ne fauriez mieux faire. Sganarelle. Vraiment, je fuis ravi que vous me donniez ce confeil en véritable ami.

Geronimo. Hé quelle eft la perfonne, s'il vous plaît, avec qui vous allez vous marier!

Sganarelle. Dorimène.

Geronimo. Cette jeune Dorimène, fi galante, et fi bien parée!

Sganarelle. Oui.

Geronimo. Fille du Seigneur Alcantor?
Sganarelle. Juftement.

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Geronimo. Et fœur d'un certain Alcidas, qui fe mêle de porter l'épée?

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Sganarelle. C'eft cela.

Geronimo. Vertu de ma vie!
Sganarelle. Qu'en dites-vous?

Geronimo. Bon parti! Mariez-vous promptement. Sganarelle. N'ai-je pas raifon d'avoir fait ce choix? Geronimo. Sans doute. Ah! Que vous ferez bien marié! Dépêchez-vous de l'être.

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Sganarelle. Vous me comblez de joye, de me dire cela. Je vous remercie de votre confeil, et je vous invite ce foir à mes nôces.

Geronimo. Je n'y manquerai pas; et je veux y aller en mafque, afin de les mieux honorer.

Sganarelle. Serviteur.

Geronimo, (à part.) La jeune Dorimène, fille du Seigneur Alcantor, avec le Seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquante-trois ans! O le beau mariage! O le beau mariage! (Ce qu'il répéte plufieurs fois en s'en allant.)

SCENE III.

SGANARELLE, feul.

Ce mariage doit être heureux, car il donne de la joye à tout le monde; et je fais rire tous ceux à qui j'en parle. Me voilà maintenant le plus content des

hommes.

SCENE IV.

DORIMENE, SGANARELLE.

Dorimène, (dans le fond du Théâtre, à un petit laquais qui la fuit.) Allons, petit garçon, qu'on tienne bien ma queue, et qu'on ne s'amufe pas à badiner.

Sganarelle, (à part, appercevant Dorimène.) Voici ma maîtreffe, qui vient. Ah! Quelle taille! Peut-il y avoir un homme, qui n'ait, en la voyant, des demangeaifons de fe marier? (A Dorimène.) Où allez-vous, belle mignonne, chère époufe future de votre époux futur?

Dorimène. Je vais faire quelques emplettes.

Sganarelle. Hé bien, ma belle, c'eft maintenant que nous allons être heureux l'un et l'autre. Vous allez être à moi, oui vous allez être à moi; et je ferai maître de vos petits yeux éveillés, de votre petit nez fripon, de vos lèvres appetiffantes, de vos oreilles amoureuses, et de votre petit menton joli, et je ferai à même, pour vous careffer comme je voudrai. N'êtes vous pas aile de ce mariage, mon aimable pouponne?

bien

Dorimène. Tout-a-fait aife, je vous jure. Car enfin la févérité de mon père m'a tenue jufques-ici dans une fujettion la plus fâcheufe du monde. Il y a je ne fais combien que j'enrage du peu de liberté qu'il me donne; et j'ai cent fois fouhaité qu'il me mariât, pour fortir promptement de la contrainte où j'étois avec lui, et me voir en état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela, et je me prépare deformais à me donner du divertiffement, et à réparer, comme il faut, le tems que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort galant homme, et que vous favez comme il faut vivre, je crois que nous ferons le meilleur ménage du monde ensemble; et que vous ne ferez point de ces maris incommodes, qui veulent que leurs femmes vivent comme des loups-garous. Je vous avoue que je ne m'accommoderois pas de cela, et que la folitude me défefpere. J'aime le jeu, les vifites, les affemblées, les cadeaux, et les promenades; en un mot, toutes les chofes de plaifir;

et vous devez être ravi d'avoir une femme de mon hu- . meur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé ensemble, et je ne vous contraindrai point dans vos actions, comme j'efpere que de votre côté vous ne me contraindrez point dans les miennes; car, pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaifance mutuelle, et qu'on ne fe doit point marier pour fe faire enrager l'un l'autre. Enfin, nous vivrons, étant mariés, comme deux perfonnes qui favent leur monde. Aucun foupçon jaloux ne nous troublera la cervelle; et c'eft affez que vous ferez affuré de ma fidélité, comme je ferai perfuadée de la vôtre. Mais qu'avez-vous? Je vous vois tout changé de visage.

Sganarelle. Ce font quelques vapeurs qui me viennent de monter à la tête.

Dorimène. C'eft un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de gens; mais notre mariage vous diffipera tout cela. Adieu. Il me tarde déjà que je n'aye des habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les chofes qu'il me faut, et je vous envérrai les marchands.

SCENE V.

GERONIMO, SGANARELLE.

Geronimo. Ah! Seigneur Sganarelle, je fuis ravi de vous trouver encore ici, et j'ai rencontré un orfèvre qui, fur le bruit que vous cherchiez quelque beau diamant en bague pour faire un préfent à votre époufe, m'a fort prié de vous venir parler pour lui, et de vous dire qu'il en a un à vendre, le plus parfait du monde.

Sganarelle. Mon Dieu! Cela n'eft pas preffé.

Geronimo. Comment? Que veut dire cela? Où eft l'ardeur que vous montriez tout-à-l'heure?

Sganarelle. Il m'eft venu, depuis un moment, de petits fcrupules fur le mariage. Avant que de paffer plus avant, je voudrois bien agiter à fond cette matière, et que l'on m'expliquât un fonge que j'ai fait cette nuit, et qui vient tout-à-l'heure de me revenir dans l'efprit. Vous favez que les fonges font comme des miroirs, où l'on découvre quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me

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