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Maçao, à l'entrée de la rivière de Canton, pour radouber le feul vaiffeau qui refte.

Macao appartient depuis cent cinquante ans aux Por.tugais. L'Empereur de la Chine leur permit de bâtir une ville dans cette petite isle qui n'eft qu'un rocher, mais qui leur étoit néceffaire pour leur commerce. Les Chinois n'ont jamais violé depuis ce tems les priviléges accordés aux Portugais. Cette fidélité devroit, ce me femble, défarmer l'auteur Anglois, qui a donné au public l'hiftoire de l'expédition de l'Amiral Anfon. Cet hiftorien, d'ailleurs judicieux, inftructif et bon citoyen, ne parle des Chinois que comme d'un peuple méprifable, fans foi, et fans induftrie. Quant à leur induftrie, elle n'eft en rien de la nature de la nôtre; quant à leurs mœurs, je crois qu'il faut plutôt juger d'une puissante nation, par ceux qui font à la tête, que par la populace des extrémités d'une province. Il me paroit que la foi des traités, gardée par le Gouvernement pendant un fiècle et demi, fait plus d'honneur aux Chinois, qu'ils ne reçoivent de honte de l'avidité et de la fourberie d'un vil peuple d'une côte de ce vafte Empire. Faut-il infulter la nation la plus ancienne et la plus policée de la terre, parce que quelques malheureux ont voulu dérober

des Anglois, par des larcins et par des gains illicites, la vingt-millième partie tout au plus de ce que les Anglois alloient voler par force aux Efpagnols dans la mèr de la Chine? Il n'y a pas long tems que les voyageurs éprouvoient des vexations beaucoup plus grandes dans plus d'un pays de l'Europe. Qu'auroit dit un Chinois, fi sayant fait naufrage fur les côtes de l'Angleterre, il avoit vu les habitans courir en foule s'emparer avidement à fes yeux de tous fes effets naufragés?

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de

Le Commodore ayant mis fon vaiffeau en très bon état à Macao, par le fécours des Chinois, et ayant reçu fur fon bord quelques matelots Indiens, et quelques Hol landois qui lui parurent des hommes de fervice; il remet à la voile, feignant d'aller à Batavia, le difant même à fon équipage, mais n'ayant en effet d'autre objet que retourner vers les Philippines, à la pourfuite de ce galion, qu'il préfumoit être alors dans ces parages. Dès qu'il eft en pleine mèr, il fait part de fon projet à tout fon monde. L'idée d'une fi riche prife les remplit de joie et d'efpérance, et redoubla leur courage.

Enfin, le 9 Juin 1743, on découvre ce vaiffeau tant defiré; il avançoit vers Manille, monté de foixante et quatre canons, dont vingt-huit n'étoient que de quatre livres de balle à cartouche. Cinq cent cinquante hommes de combat compofoient l'équipage. Le tréfor qu'il portoit n'étoit que d'environ quinze cent mille piaftres en argent, avec de la cochenille, parce que tout le tréfor qui eft d'ordinaire le double, ayant été partagé, la moitié avoit été portée fur un autre galion.

Le Commodore n'avoit fur fon vaiffeau le Centurion, que deux cent quarante hommes. Le Capitaine du galion ayant apperçu l'ennemi, aima mieux hazarder le tréfor, que perdre fa gloire en fuyant devant un Anglois, et fit force de voiles hardiment pour le venir combattre.

La fureur de ravir des richeffes, plus forte que le devoir de les conferver pour fon Roi, l'expérience des Anglois, et les manœuvres favantes du Commodore, lui donnèrent la victoire. Il n'eut que deux hommes tués dans le combat; le galion perdit foixante et fept hommes tués fur les ponts, et il eut quatre-vingt-quatre bleffés. Il lui reftoit encore plus de monde qu'au Commodore. Cependant il fe rendit. Le vainqueur retourna à Canton avec cette riche prife. Il y foutint l'honneur de fa nation en refufant de payer à l'Empereur de la Chine les impôts que doivent tous les étrangers. Il prétendoit qu'un vaiffeau de guèrre n'en devoit pas: fa conduite en impofa. Le Gouverneur de Canton lui donna une audience, à laquelle il fuit conduit à travers deux hayes de foldats, au nombre de dix mille; après quoi il retourna dans fa patrie par les ifles de la Sonde, et par la Cap de Bonne-Efpérance. Ayant ainfi fait le tour du monde en victorieux, il aborda en Angleterre le 4 Juin 1744, après un voyage de trois ans et demi.

Il fit porter à Londres en triomphe fur trente-deux chariots, au fon des tambours et des trompettes, et des acclamations de la multitude, les richeffes qu'il avoit conquifes. Ses prifes fe montoient, en argent et en or, à dix millions monnoie de France, qui furent le prix du Commodore, de fes Officiers, des matelots et des foldats, fans que le Roi entrât en partage du fruit de leurs fatigues et de leur valeur. Ces richeffes circulant bientôt dans la nation contribuèrent à lui faire supporter dẹs fraix immenfes de la guèrre.

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GEORGE DANDIN,

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LE MARI CON FONDU.

Ac

TEURS.

COME D I E.

GEORGE DANDIN, riche payfan, mari d'Angélique.

ANGELIQUE, femme de George Dandin, et
fille de M. de Sotenville,

MONSIEUR DE SOTENVILLE, gentilhomme
campagnard, père d'Angélique.
MADAME DE SOTENVILLE.
CLITANDRE, amant d'Angélique.
CLAUDINE, fuivante, d'Angélique.
LUBIN, payfan, fervant Clitandre.
COLIN, valet de George Dandin.

La Scene eft devant la maifon de George Dandin, à la

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campagne.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

GEORGE DANDIN.

H, qu'une femme Demoiselle eft une étrange af-. faire, et que mon mariage eft une leçon bien parlante à tous les payfans qui veulent s'élever au-deffus de leur condition; et s'allier, comme j'ai fait, à la maifon d'un Gentilhomme! La Nobleffe de foi eft bonne, c'est une chose confidérable afsurément; mais elle eft accompagnée de tant de mauvaises circonftances, qu'il est trèsbon de ne s'y point frotter. Je fuis devenu là-deffus favant à mes dépens, et connois le ftyle des nobles, lors qu'ils

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nous font, nous autres, entrer dans leur famille. liance qu'ils font eft petite avec nos personnes, c'eft notre bien feul qu'ils époufent; et j'aurois bien mieux fait, tout riche que je fuis, de m'allier en bonne et franche payfannerie, que de prendre une femme qui se tient audeffus de moi, s'offenfe de porter mon nom; et penfe qu'avec tout mon bien, je n'ai pas affez acheté la qualité de fon mari. George Dandin, George Dandin, vOUS avez fait une fottife la plus grande du monde. Ma mai., fon m'eft effroyable maintenant, et je n'y rentre point fans y trouver quelque chagrin.

SCENE II.

GEORGE DANDIN, LUBIN.

G. Dandin, (à part, voyant fortir Lubin de chez lui.) Que diantre ce drôle-là vient-il faire chez moi? Lubin, (à part, appercevant George Dandin.) un homme qui me regarde.

Voilà

G. Dandin, (à part.) Il ne me connoît pas. Lubin, (à part.) Il fe doute de quelque chofe. G. Dandin, (à part.). Ouais! Il a grand' peine à faluer.

Lubin, (à part.) J'ai peur qu'il n'aille dire qu'il m'a

vu fortir de là-dedans.

G. Dandin. Bon jour.

Lubin. Serviteur.

G. Dandin. Vous n'êtes pas d'ici, que je crois? Lulin. Non, je n'y fuis venu que pour voir la fête de demain.

G. Dandin He! Dites-moi un peu, s'il vous plait, Vous venez de là-dedans?

Lubin. Chut.

G. Dandin. Comment?

Lubin. Paix.

G Dandin. Quoi donc?

Lubin. Motus, il ne faut pas dire que vous m'ayez vu fortir de la..

G. Dandin. Pourquoi?

Lubin. Mon Dieu! Parce

G. Dandin. Mais encore?

Lubin. Doucement. J'ai peur qu'on ne nous écoute.

A a

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G. Dandin. Point, point.

Lubin. C'eft que je viens de parler à la maîtreffe du logis, de la part d'un certain Monfieur qui lui fait les doux yeux, et il ne faut pas qu'on fache cela. Entendez-vous?

G. Dandin. Oui.

Lubin. Voilà la raifon. On m'a chargé de prendre garde que perfonne ne me vit; et je vous prie, au moins, de ne pas dire que vous m'ayez vu.

G. Dandin. Je n'ai garde.

Lubin. Je fuis bien-aife de faire les chofes fécrèttement; comme on m'a recommandé.

G. Dandin. C'eft bien fait.

Lubin. Le mari, à ce qu'ils difent, eft un jaloux qui ne veut pas qu'on faffe l'amour à fa femme; et il feroit le diable à quatre, fi cela venoit à fes oreilles. Vous comprenez bien?

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G. Dandin. Fort bien.

Lubin. Il ne faut pas qu'il fache rien de tout ceci. G. Dandin., Sans doute.

Lubin. On le veut tromper tout doucement. Vous

entendez bien?

G. Dandin. Le mieux du monde.

Lubin. Si vous alliez dire que vous m'avez vu fortir de chez lui, vous gâteriez toute l'affaire. Vous comprenez bien?

G. Dandin. Affurément. Hé, comment nommezvous celui qui vous a convoyé là-dedans?

Lubin. C'eft le Seigneur de notre pays, Monfieur le Vicomte de chofe-Foin, je ne me fouviens jamais comment diantre ils baragouinent ce nom-là, Monfieur Cli Clitandre.

G. Dandin. Eft-ce ce jeune courtisan, qui demeure? Lubin. Oui, auprès de ces arbres.

G. Dandin, (à part.) C'est pour cela que depuis peu ce Damoifeau poli s'eft venu loger contre moi; j'avois bon néz fans doute, et fon voifinage déjà m'avoit donné quelque foupçon.

Lubin. Teftigué, c'eft le plus honnête homme que, vous ayez jamais vu. Il m'a donné trois pieces d'or pour aller dire feulement à la femme qu'il eft amoureux d'elle, et qu'il fouhaite fort l'honneur de pouvoir lui parler.

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