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témoigna Camille me confirma dans. l'opinion que j'avois qu'elle me trouvoit fort à fon gré.

Don Raphaël me voyant déterminé à faire quelque féjour chez lui, me propofa da me mener à fon château. Il m'en fit une defcription magnifique, et me parla des plaifirs qu'il prétendoit m'y donner. Tantôt, difoit-il, nous prendrons le divertiffement de la chaffe, tantôt celui de la pêche; et fi vous aimez la promenade, nous avons des bois et des jardins délicieux. D'ailleurs, nous aurons bonne compagnie. J'efpère que vous ne vous ennuyerez point. J'acceptai la propofition, et il fut réfolu que nous irions à ce beau château dès le jour fuivant. Nous nous levâmes de table en formant un fi agréable deffein. Don Raphaël en parut tranfporté de joie: Seigneur Gil Blas, dit-il, en m'embraffant, je vous laiffe avec ma fœur. Je vais de ce pas donner les ordres néceffaires, et faire avertir toutes les perfonnes que je veux mettre de la partie. A ces paroles, il fortit de la chambre où nous étions, et je continuai de m'entretenir avec la dame, qui ne démentit point par fes difcours les douces aillades qu'elle m'avoit jettées. Elle me prit la main, et regardant ma ba gue: Vous avez-là, dit-elle, un diamant affez joli. Mais il est bien petit. Vous connoiffez vous en pierrèries? Je répondis que non. J'en fuis fachée, reprit-elle; car vous. me diriez ce que vaut scelle-ci. En achevant ces mots,

elle me montra un gros rubis qu'elle avoit au doigt; et pendant que je le confidérois, elle ne dit: Un de mes on. cles, qui a été gouverneur dans les habitations que les Efpagnols ont aux Ifles Philippines, m'a donné ce rubis Les jouailliers de Valladolid l'eftiment trois cens pistoles. Je le croirois bien, lui dis-je, je le trouve parfaitement beau. Puifqu'il vous plaît, répliqua-t-elle, je veux faire un troc avec vous. Auffi-tot elle prit ma bague, et me mit la fienne au petit doigt. Après ce troc, qui me parut une manière galante de faire un préfent, Camille me ferra la main, et me regarda d'un air tendre; puis toutà-coup rompant l'entretien, elle me donna le bon foir, et fe retira toute confufe, comme fi elle eut eu honte de me faire trop connoître fes fentimens.

Quoique galant des plus novices, je fentis tout ce que cette retraite précipitée avoit d'obligeant pour moi: et je jugeai que je ne pafferois point mal le tems à la cam

pagne. Plein de cette idée flatteuse, et de l'état brillant de mes affaires, je m'enfermai dans la chambre où je devois coucher, après avoir dit à mon valet de me venir réveiller de bonne heure le lendemain. Au lieu de fonger à me repofer, je m'abandonnai aux réflexions agréables que ma valife, qui étoit fur une table, et mon rubis m'infpirèrent. Graces au Ciel, difois-je, fi j'ai été malheureux, je ne le fuis plus. Mille ducats d'un côté; un bague de trois cens piftoles de l'autre: me voilà pour long-tems en fonds. Majuélo ne m'a point flaté. Je le vois bien, j'enflammerai mille femmes à Madrid, puifque j'ai plu fi facilement à Camille. Les bontés de cette généreufe dame se préfentoient à mon efprit avec tous leurs charmes, et je goûtois auffi par avance les divertiffemens que Don Raphaël me préparoit dans fon château. Cependant parmi tant d'images de plaifir, le fommeil ne laissa pas de venir répandre fur moi fes pavots. Dès que je me fentis affoupir, je me déshabillai et me couchai.

Le lendemain matin, lorfque je me réveillai, je m'apperçus qu'il étoit déjà tard. Je fus affez furpris de ne pas voir paroître mon valet, après l'ordre qu'il avoit reçu de moi. Ambroife, dis-je en moi-même, mon fidèle Ambroife, eft à l'église, ou bien il eft aujourd'hui fort paref feux. Mais je perdis bientôt cette opinion de lui pour en prendre une plus mauvaise; car m'étant levé, et ne voyant plus ma valife, je le foupçonnai de l'avoir volée pendant la nuit. Pour éclaircir mes foupçons, j'ouvris la porte de ma chambre, et j'appellai l'hypocrite à plufieurs reprises. Il vint à ma voix un vieillard, qui me dit: Que fouhaitez vous, feigneur? tous vos gens font fortis de ma maifon avant le jour. Comment de votre maifon, m'écriai-je? Eft ce que je ne fuis pas ici chez Don Raphaël ? Je ne fçais ce que c'eft que ce cavalier, me répondit-il. Vous êtes dans un hôtel garni, et j'en fuis l'hôte. Hier au foir, une heure avant votre arrivée, la dame qui a fou pé avec vous vint ici et arrêta ces appartemens pour un grand feigneur, difoit-elle, qui voyage incognito, Elle m'a même payé d'avance.

Je fus alors au fait. Je fçus ce que je devois penfer de Camille et de Don Raphael: et je compris que mon valet ayant une entière connoiffance de mes affaires, m'avoit vendu à ces fourbes. Au-lieu de n'imputer qu'à moi ce

triste incident, et de fonger qu'il ne me feroit point ar rivé, fi je n'euffe pas eu l'indifcrétion de m'ouvrir à Majuélo fans néceffité, je m'en pris à la fortune innocente, et maudis cent fois mon étoile. Le maître de l'hôtel garni, à qui je contai l'aventure qu'il fçavoit peut-être auffi bien que moi, fe montra fenfible à ma douleur. 11-me plaignit, et me témoigna qu'il étoit très-mortifié de ce que cette fcéne fe fût paffée chez lui: mais je crois, malgré fes demonftrations, qu'il n'avoit pas moins de part à cette fourberie, que mon hôte de Burgos, à qui j'ai toujours attribué l'honneur de l'invention.

CHAPITRE XVII.

Quel parti prit Gil Blas après l'aventure de l'hôtel garni.

LORSQU's j'eus fort inutilement bien déploré mon mal

heur, je fis reflexion qu'au lieu de céder à mon cha grin, je devois plutôt me roidir contre mòn mauvais fort. Je rappellai mon courage, et pour me confoler, je difois en m'habillant: Je fuis encore trop heureux que les fripons n'ayent pas emporté mes habits et quelque ducats que j'ai dans mes poches. Je leur tenois compte de cette difcrétion. Ils avoient même été affez généreux pour me laiffer mes bottines, que je donnai à l'hôte pour un tiers de ce qu'elles m'avoient couté. Enfin je fortis de l'hôtel garni, fans avoir, Dieu merci, befoin de perfonne pour porter mes hardes. La première chofe que je fis, fut d'aller voir fi mes mules ne feroient pas dans l'hôtellerie où j'étois descendu le jour précédent. Je jugeois bien qu'Ambroife ne les y avoit pas laiffées, et plût au Ciel que j'euffe toujours jugé auffi fainement de lui. J'appris que dès le foir même, il avoit eu foin de les en retirer. Ainfi, comptant de ne les plus revoir, non plus que nia chère valife, je marchois triftement dans les rues en rêvant à ce que je devois faire. Je fus tenté de retourner à Burgos pour avoir encore une fois recours à Dona Mencias mais confidérant que ce feroit abuser des bontés de cette dame, et que d'ailleurs je pafferois pour une bête, j'abandonnai cette pensée. Je jurai bien auffi que dans la fuite je ferois en garde contre les femmes. Je me ferois alors défié de la chafte Suzanne. Je jettois de tems en tems les yeux fur ma bague, et quand je venois à fonger que c'étoit un préfent de Camille, j'en foupirois de douleur.

Hélas! difois-je en moi-même, je ne me connois point en rubis; mais je connois les gens qui les troquent. Je ne crois pas qu'il foit néceffaire que j'aille chez un jouaillier Dour être perfuadé que je fuis un fot.

Je ne laiffai pas toutefois de vouloir m'éclaircir de ce que valoit ma bague, et j'allai la montrer à un lapidaire, qui l'eftima trois ducats. A cette eftimation, quoiqu'elle ne m'étonnât point, je donnai au diable la nièce du gouverneur des lfles Philippines, ou plutôt je ne fis que lui en renouveller le don. Comme je fortois de chez le lapidaire, il paffa près de moi un jeune homme qui s'arrêta pour me confidérer. Je ne me le remis pas d'abord, bien que je le connuffe parfaitement. Comment donc, Gil Blas, me ditil, feignez-vous d'ignorer qui je fuis? ou deux années ontelles fi fort changé le fils du barbier Nunez, que vous de méconnoiffiez? Reffouvenez-vous de Fabrice votre compagnon d'école. Nous avons fi fouvent difputé chez le Docteur Godinés fur les univerfaux et fur les dégrés métaphyfiques. Je le reconnus avant qu'il eût achevé ces paroles, et nous nous embraffâmes tous deux avec cordialité. mon ami, reprit-il enfuite, que je fuis ravi de te rencontrer! je ne puis t'exprimer la joie que j'en reffens. . . . Mais, pourfuivit-il d'un air furpris, dans quel état t'offreɛtu à ma vue? Vive Dieu, te voilà vétu comme un prince! Une belle épée, des bas de foye, un pourpoint et un manteau de velours, relevés d'un broderie d'argent. Malepefte! Cela fent diablement les bonnes fortunes. Je vais parier que quelque vieille femme libérale te fait part de fes largeffes. Tu te trompes, lui dis-je; mes affaires ne font pas fi floriffantes que tu te l'imagines. A d'autres, repliqua-t-il, à d'autres. Tu veux faire le difcrèt. Et ce beau rubis que je vous vois au doigt, monfieur Gil Blas, d'où vous vient-il, s'il vous plaît? Il me vient, lui repartis-je, d'une franche friponne. Fabrice, mon cher Fabrice, bien loin d'être la coqueluche des femmes de Valladolid, apprends, mon ami, que j'en fuis la dupe.

11 me

Je prononçai ces dernières paroles fi triftement, que Fabrice vit bien qu'on m'avoit joué quelque tour. preffa de lui dire pourquoi je me plaignois ainfi du beau fexe. Je me refolus fans peine à contenter fa curiofité, mais comme j'avois un affez long récit à faire, et që d'ailleurs nous ne voulions pas nous féparer fi tôt, nous enO

trâmes dans un cabaret pour nous entretenir plus commodément. Là, je lui contai en déjeunant tout ce qui m'étoit arrivé depuis ma fortie d'Oviedo. Il trouva mes aventures affez bizarres, et après m'avoir témoigné qu'il prenoit beaucoup de part à la fâcheufe fituation où j'étois, il me dit: Il faut fe confoler, mon enfant, de tous les malheures de la vie. C'eft par là qu'une âme forte et couragense se distingue des âmes foibles. Un homme d'efprit eft-il dans la misère? il attend avec patience un tems plus heureux. Jamais, comme dit Ciceron, il ne doit fe laiffer abattre jufqu'à ne fe plus souvenir qu'il est homme. Pour moi, je fuis de ce caractère-là. Mes difgraces ne m'accablent point. Je fuis toujours au deffus de la mauvaise fortune. Par exemple, j'aimois une fille de famille d'Oviédo: j'en étois aimé. Je la demandai en mariage à fon père; il me la refufa. Un autre en feroit mort de douleur: moi, admire la force de mon efprit, j'enlevai la petite perfonne. Elle étoit vive, étourdie, coquette; le plaifir par conféquent la déterminoit toujours au préjudice du devoir. Je la promenai pendant fix mois dans le royaume de Galice; delà comme je l'avois mife dans le goût de voyager, elle eut envie d'aller en Portugal; mais elle prit un autre compagnon de voyage. Autre fujèt de défefpoir. Je ne fuccombai point encore fous le poids de ce nouveau malheur; et plus fage que Ménélas, au lieu de m'armer contre le Paris qui m'avoit foufflé mon Hélène, je lui fçus bon gré de m'en avoir défait. Après cela, ne voulant plus retourner dans les Afturies, pour éviter toute difcuffion avec la justice, je m'avançai dans le royaume de Léon, dépenfant de ville en ville l'argent qui me reftoit de l'enlevement de mon enfante; car nous avions tous deux fait notre main en partant d'Oviedo, et nous n'étions pas mal nippés; mais tout ce que j'avois poffédé fe diffipa bientôt. J'arrivai à Palencia avec un feul ducat, fur quoi je fus obligé d'acheter une paire de fouliers. Le refte ne me mena pas loin. Ma fituation devint embarraffante. Je commençois déjà même à faire diète. Il fallut promptement prendre un parti. Je réfolus de me mettre dans le fervice. Je me plaçai d'abord chez un gros marchand de drap, qui aveit un fils libertin. J'y trouvai un azile contre l'abftinence, et en même tems un grand embarras. Le père m'ordonna d'épier fon fils: le fils me pria de l'aider à tromper fon

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