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mencé sous de brillans auspices; le bruit des triomphes des acteurs du faubourg SaintGermain avait traversé la Seine et fait trembler, jusque sur leurs chaises curules, nos sénateurs de la rue de Richelieu. Ces insolens Gaulois osaient avoir des succès à leur barbe; l'alarme était au camp, et comme en guerre peu importe que ce soit par ruse ou par vertu que l'on triomphe, on avait résolu de saper l'édifice par la base et d'en arracher la pierre angulaire. Des négociations secrètes furent poussées fort loin, Joanny, qui avait oublié que tel brille au second rang qui s'éclipse au premier, allait prendre possession de sa nouvelle patrie, lorsque l'autorité étendit son sceptre, et le statu-quo fut décidé.

et

L'événement a prouvé qu'on s'était alarmé mal-à-propos et qu'on pouvait s'en reposer sur le second théâtre lui-même du soin de mettre un frein à son ardeur et de tempérer ses succès. Les Vêpres Siciliennes avaient profité d'une heureuse veine; car il faut éternellement le répéter: les pièces de théâtre ont aussi leurs destinées. C'était fort bien; il fallait profiter de la bonne volonté

des spectateurs; il fallait, comme on dit, faire mousser ce succès; mais était-il néces saire de rassasier le parterre de cette éternelle pièce, d'en fatiguer l'affiche et de dire pour ainsi dire au public?

Je t'en avais comblé, je t'en veux accabler.

Depuis son ouverture, le second Théâtre-Français a vécu sur cette pièce. Vous verrez, disait une femme d'esprit, qu'ils sonneront leurs vépres jusqu'à ce que la corde leur reste dans la main.

Les Comédiens, comédie de l'auteur des Vepres, sont venus enfin les remplacer : on comptait sur un grand succès; mais l'au-. teur n'avait point pour auxiliaires ces circonstances favorables dans lesquelles il s'était trouvé à son début. Il y a dans cet ouvrage de l'esprit, encore de l'esprit, et tou jours de l'esprit; mais de la comédie, point. La pièce, à la seconde représentation, a été jouée dans le désert. C'est ce qu'on appelle une chute dans les règles.

Voici venir maintenant Charles de Navarre: on espérait; l'auteur de Ninus et de Jeanne Gray avait donné des gages; mais il

est arrivé à M. Brifaut ce qui arrive à présque tous les auteurs. N'avez-vous pas remarqué, Madame, qu'aujourd'hui ils débutent tous, ou du moins presque tous, par leur meilleur ouvrage. Ils semblent qu'ils s'épuisent sur une première production, et qu'ensuite, efflanqués, hors d'haleine, ils ne puissent retrouver un moment de vigueur pour une seconde création : semblables à l'abeille qui dépose son aiguillon dans la première blessure qu'elle fait.

C'est ce qui est arrivé à MM. tels et tels; c'est ce qui arrivera probablement à leurs émules ou leurs successeurs : car le nombre des jeunes poètes qui se précipitent dans la carrière du théâtre et qui aspirent aux fa veurs de Melpomène est immense. Malheu reusement, il en est de son temple comme du royaume des cieux : il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. N'importe, rien ne décourage les aspirans; il est si doux de voir son nom répété par la foule, et d'entendre dire derrière soi: Tenez ! regardez ! c'est lui! le voilà!

Pulchrum est digito monstrari et dicier; híc est !

Les palmes du théâtre possèdent je ne sais quoi de brillant qui éblouit. Elles ont cependant, il faut l'avouer, beaucoup moins de prix qu'autrefois; car aujourd'hui on peut triompher à bon compte, et un succès s'arrange comme une affaire de bourse; il y a des entrepreneurs de succès, comme des entrepreneurs de pompes funèbres. On vous demande combien vous voulez d'applaudisseurs, comme on demande combien vous voulez de pleureurs; les applaudissemens ont un tarif réglé, et vous achetez de la gloire à beaux deniers comptant. Il y a encore une autre manière de séduire maintenant le public; c'est avec du libéralisme. Par le tems qui court, on enlève son parterre avec un vers libéral. On a vu des pièces, vides d'action, faibles d'intrigue, marcher en triomphe jusqu'au dernier acte, à l'aide de ces pompeuses maximes, de ces patriotiques déclamations, qui vont frapper droit au cœur et réveiller les passions des spectateurs. Avec cette admirable ressource, on peut se passer et d'invention et de style : une pièce ne se soutient pas par l'intérêt, mais par les allusions. Jugez, Madame, des progrès im

menses que doit faire l'art avec cette tendance générale des esprits!

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L'auteur de Charles de Navarre s'est peut-être laissé entraîner par ce goût général. Il y a trop de France et de Français dans son ouvrage; il y a trop de ces lieux communs sur la gloire. Comment n'a-t-il pas senti que de pareilles ressources doivent être abandonnées à ceux qui n'en ont pas d'autres, et qui, pour obtenir des applaudissemens, spéculent sur cette multitude qui se laisse prendre à des mots.

Nous avons, Madame, passé d'un excès à un autre; pendant long-tems nous nous sommes scrupuleusement tenus renfermés sur la terre classique des anciens; nous exploitions exclusivement le théâtre des Grecs; Rome et la Grèce seules attiraient nos regards; nous aurions regardé comme un sacrilége de faire un pas vers l'histoire de France, et d'en tirer une seule inspiration. Enfin, on se souvient que les Romains avaient osé abandonner les traces de ces Grecs éternels, et célébrer des faits domestiques ; voilà que sur-le-champ nous troquons nos héros antiques contre des chevaliers français; le

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