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AVERTISSEMENT.

L'OUVRAGE que je donne ici au public est divisé en deux Parties: la première se compose de la cinquième édition de mes Institutes de Droit Civil français. J'y ai fait les additions et corrections que les lois et réglemens postérieurs ont dû nécessiter.

La deuxième Partie contient une troisième édition des Notes et Explications nécessaires pour l'intelligence du texte des Institutes, et la solution de plusieurs questions qui peuvent s'élever sur le sens des diverses dispositions du Code.

Quelques personnes auraient desiré que ces Notes accompagnassent la première édition de mes Institutes; mais je dois faire observer que c'est après avoir terminé mon premier Cours triennal, que j'ai fait paraître cette édition. J'avais alors, à la vérité, expliqué en entier tout le Code Civil; mais, ne l'ayant encore vu qu'une fois, je n'étais pas assez sûr d'en avoir saisi l'ensemble; et même actuellement, lorsque je considère l'étendue morale, si j'ose m'exprimer ainsi, du présent ouvrage, j'ai encore lieu de craindre qu'il ne me soit échappé plusieurs incohérences ou contradictions, soit dans les décisions elles-mêmes, soit dans les principes sur lesquels elles sont fondées.

Je dis l'étendue morale. Je prie, en effet, mes Lecteurs de ne point faire attention seulement au nombre de volumes dont cet ouvrage est composé. Il contient un cours entier de Code Civil. Ce Code est un corps de droit civil, à peu près complet. Il est nécessaire, dans plusieurs circonstances, d'en faire le rapprochement avec divers articles du Code de Procédure, du Code de Commerce, et même des Codes d'Instruction criminelle et Pénal. L'on doit sentir, d'après cela, qu'il ne m'eût pas été difficile de doubler, de tripler le nombre des volumes. Mais indépendamment de ce que je n'ai pas naturellement l'habitude d'étendre ou de délayer mes idées, je voulais, en outre, faire un ouvrage qui fût à la portée de tout le monde, et surtout des Étudians, auxquels j'ai consacré spécialement mes travaux. D'ailleurs je regarde, en général, comme dangereux, d'offrir aux jeunes gens un travail trop facile; cela finit presque toujours par rendre leur esprit paresseux. Aussi verra-t-on qu'il m'arrive souvent de résoudre une question par oui ou par non, en ajoutant seulement le numéro de l'article du Code ou de la Loi Romaine, qui contient, non pas précisément la solution, mais le principe sur lequel elle peut être fondée: souvent aussi, je ne fais qu'indiquer la raison de décider, laissant ainsi à l'Étudiant à exercer sa pénétration. C'est en mettant des cailloux dans sa bouche, que Démosthènes parvint à s'exprimer aisément; de même, c'est en cherchant à découvrir le rapport, quelquefois éloigné, qui existe entre tel article ou tel principe, et la question présentée, que le raisonnement s'exerce, et que l'Étudiant acquiert cette sagacité si nécessaire au Juge et à l'Avocat consultant, et qui, sur l'énoncé d'une question, lui fait trouver, avec la plus grande facilité, le principe qui doit servir à la résoudre. Mais il

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n'en est pas moins certain que les détails d'un pareil ouvrage sont immenses; et si l'on considère en même temps les dérangemens multipliés qu'occasionent les fonctions de Professeur et celles de Doyen d'une école fréquentée par plus de deux mille Étudians, l'on pensera aisément qu'il est à peu près impossible, ainsi que je l'ai dit, qu'il ne s'y rencontre plusieurs inexactitudes, pour lesquelles je sollicite d'avance l'indulgence des Lecteurs, et dont je recevrai l'indication avec reconnaissance.

Voici, au surplus, la méthode que j'ai constamment suivie dans le cours de cet ouvrage.

D'abord j'ai tâché, autant qu'il m'a été possible, de me pénétrer de l'esprit du Législateur. J'ai consulté à cet effet les procès-verbaux du Conseil-d'État et du Tribunat, les discours des Orateurs du Gouvernement, etc. Les lumières que j'y ai puisées, m'ont suffi pour résoudre un certain nombre de difficultés. Pour les autres questions d'interprétation, je me suis attaché principalement aux deux règles générales sui

vantes :

La première, c'est que l'on ne peut supposer au Législateur l'intention d'avoir voulu induire les justiciables en erreur, mais bien plutôt celle de leur donner une loi la plus simple possible, facile à comprendre, et surtout mise à la portée de tout le monde. D'après cela, toutes les fois qu'une disposition m'a paru susceptible de deux sens, dont l'un se présentait d'abord à l'esprit, sans aucune peine, sans aucune réflexion, et dont l'autre ne pouvait être trouvé qu'à force de méditation, je n'ai pas balancé à préférer le premier, persuadé, comine je viens de le dire, que c'était le seul que le Législateur avait pu avoir en vue.

La deuxième règle que j'ai suivie, est que, si, de deux sens que présente une disposition, l'un produit des résultats contraires à l'équité ou à la morale, il doit être rejeté sans hésitation. J'ai toujours pensé que c'était entrer parfaitement dans l'esprit du Législateur, que de chercher à former des honnêtes gens, autant que de profonds Jurisconsultes; que l'étude de la morale devait être la base fondamentale de notre enseignement; et que le Professeur ne devait jamais perdre de vue cette définition du droit: Jus est ars æqui et boni. En conséquence, l'on trouvera sans doute dans cet Ouvrage plusieurs opinions que le Jurisconsulte pourra attaquer; mais je crois pouvoir me rendre le témoignage qu'on n'en rencontrera aucune que l'honnête homme puisse désavouer.

En un mot, j'ai cru ne pouvoir suivre de meilleur guide, dans l'interprétation des lois, que DOMAT, appelé, à si juste titre, le Jurisconsulte des Législateurs. Voici comme s'exprime cet auteur:

« C'est par l'esprit et l'intention des lois qu'il faut >> les entendre et en faire l'application; et l'on ne peut » juger de cet esprit, et du sens que l'on doit attri>> buer aux lois, que par la teneur entière de toutes >> leurs parties, sans en rien tronquer. De là il suit :

>>1°. Que, s'il arrive que quelques expressions pa>> raissent avoir un sens différent de celui qui est d'ail» leurs évidemment marqué par la teneur de la loi >> entière, il faut s'arrêter à ce vrai sens, et rejeter >> l'autre, qui paraît dans les termes, et qui se trouve >> contraire à l'intention;

» 2o. Que, si l'expression se trouve défectueuse, il » faut y suppléer pour en remplir le sens, selon l'es>> prit du Législateur ;

» 3°. Que c'est à l'esprit, et non à la lettre, qu'il >> faut s'attacher; et que l'on doit, en conséquence, >> regarder comme contraire à la loi, non-seulement >>> tout ce qui en blesse l'esprit et la lettre, mais en» core ce qui en blesse seulement l'esprit, paraissant » en garder la lettre ;

» 4°. Enfin, que s'il arrive que le sens d'une loi, >> tout évident qu'il paraît dans les termes, conduirait » à de fausses conséquences, et à des décisions injus» tes, alors l'évidence de l'injustice qui résulterait >> du sens apparent, oblige à découvrir, par une es>> pèce d'interprétation, non ce que dit la loi, mais >> ce qu'elle veut, et à juger, par son intention, quelle >> est l'étendue et quelles sont les bornes que doit >> avoir son sens. »

Telles sont les règles dont j'ai tâché de ne point m'écarter dans le cours de cet ouvrage, en observant que le Code civil devant être considéré dans son ensemble comme ne formant qu'une seule loi, chaque article doit être entendu dans ses rapports, non-seulement avec les autres articles du même titre, mais encore avec les articles des titres antérieurs ou subséquens.

C'est d'après ces principes que je me suis élevé fréquemment et avec force dans mes leçons contre ces applications judaïques, dont l'usage paraît s'introduire, et par suite desquelles, dans une affaire, on s'attache exclusivement à un ou deux articles, sans considérer si le sens qu'ils présentent au premier coup d'œil, pris ainsi isolément, peut se concilier avec l'esprit général de la législation; système bien commode sans doute pour les défenseurs et les juges; mais qui, s'il était adopté, finirait par détruire le principe d'ensemble qui

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