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par exemple, son fils à la magistrature, serait fort contrariée de voir ce fils épris du métier de comédien ou de danseur. Il est difficile, sans doute, de réprimer les instincts qui portent quelques organisations vers telle ou telle culture intellectuelle, manuelle ou autre; mais on y parvient cependant, en s'y prenant de bonne heure et en appelant en aide la puissance de l'amourpropre. On obtiendrait en général, nous n'en disconvenons pas, plus de perfection dans la pratique des choses, si l'on abandonnait chaque nature à sa propre tendance pour le choix d'un état; mais de cette liberté résulterait d'un autre côté une sorte de désordre social, puisqu'il pourrait advenir qu'une masse d'individus éprouvassent à la fois la même prédilection pour telle ou telle carrière, et que les autres voies fussent alors au dépourvu d'exploiteurs.

VOISIN (Prov.) On dit de l'homme de chicane qui demeure près de soi: Bon avocat mauvais voisin, parce qu'en effet le sac à procédure est enflé de moyens nuisibles même contre des bagatelles. Pour exprimer aussi que quelqu'un d'adroit ne commet guère de faute à l'entourage de son foyer, il y a cet autre proverbe: Un bon renard ne mange point les poules de son voisin; et l'on dit aussi, en plaisantant: N'ayez point de voisins, si vous voulez vivre en paix avec

eux.

VOLER (Prov.). Afin de signifier qu'il est prudent de ne point s'engager, sans des garanties, dans une affaire importante, on dit proverbialement, qu'il vaut mieux voler bas, de peur des branches.

VOLONTÉ. Nous avons, dit La Rochefoucauld, plus de force que de volonté, et c'est souvent pour nous excuser à nousmêmes, que nous nous imaginons que les choses sont impossibles.

VOLTAIRIANA. 1. Si la fougue d'une passion fait commettre une faute, la nature

rendue à elle-même sent cette faute.

2. Il n'y a point de plaisir sans bienséance. 3. Rien n'est plus long que le temps, puis qu'il est la mesure de l'éternité; rien n'est plus court, puisqu'il manque à tous nos projets. Rien n'est plus lent pour qui attend, rien de plus rapide pour qui jouit.

4. Lo hasard va souvent plus loin que la prudence.

5. L'honneur est le désir d'être honoré. Avoir de l'honneur, c'est ne rien faire qui soit indigne des honneurs.

6. Pauvres humains que nous sommes, que de siècles il a fallu pour acquérir un peu de raison!

7. Il me semble qu'il n'y a pas de véritablement grand homme qui n'ait un bon esprit.

8. La société dépend des femmes. Tous les peuples qui ont le malheur de les enfermer sont insociables.

9. Ce monde est un vaste amphithéâtre où chacun est placé au hasard sur son gradin. On croit que la suprême félicité est dans les degrés d'en haut: quelle erreur!

10. C'est n'être bon à rien, que de n'être bon qu'à soi.

11. Le courage n'est pas une vertu, mais une qualité commune aux scélérats et aux grands hommes.

12. Le seul moyen d'obliger les hommes à dire du bien de nous, c'est d'en faire. 13. Il faut du temps pour que les réputa. tions mûrissent.

14. Ce qui fait et fera toujours de ce monde une vallée de larmes, c'est l'insatiable cupidité et l'indomptable orgueil des hommes. depuis Thamas Koulikan, qui ne savait pas lire, jusqu'à un commis de la douane qui ne sait que chiffrer.

15. Les esprits faux sont insupportables; les cœurs faux sont en horreur.

16. La jalousie, quand elle est furieuse, produit plus de crimes que l'intérêt et l'am bition.

17. Quiconque sait très-bien gouverner une grande maison, peut gouverner un royaume. Cela peut paraître un paradoxe, mais certainement c'est avec le mêine esprit d'ordre, de sagesse et de fermeté, qu'on commande à cent hommes et à plusieurs milliers.

18. Le gouvernement ne peut être bon s'il n'y a une puissance unique.

19. L'économie est une vertu dans le gouvernement d'un Etat paisible, et un vice dans les grandes affaires.

20. Les gouvernements sont comme les hommes: ils se forment tard.

21. Les lois sont faites pour secourir les citoyens, autant que pour les intimider.

22. Les véritables conquérants sont ceux qui savent faire des lois. Leur puissance est stable. Les autres sont des torrents qui passent.

23. On n exige pas qu'un roi dise des choses mémorables, mais qu'il en fasse.

24. Tout roi qui aime la gloire aime le bien public.

25. Un roi absolu qui veut le bien, vient à bout de tout sans peine.

26. Il est à souhaiter qu'un roi aime les louanges; parce qu'il s'efforce de les méri

ter.

27. Les titres ne servent de rien pour la postérité : le nom d'un homme qui a fait de grandes choses, impose plus de respect que toutes les épithètes.

donner de quoi faire la guerre. 28. Acheter la paix d'un ennemi, c'est lui

29. H est difficile de dire ce qui fait perdre les batailles.

30. Un général victorieux n'a point fait de fautes aux yeux du public, de même que le général battu a toujours tort, quelque sage conduite qu'il ait eue.

31. Le véritable but de la politique consiste à enchaîner au bien commun tous les ordres de l'Etat.

32. Il y a toujours dans les grandes affaires un prétexte qu'on met en avant, une caus véritable qu'on dissimule.

33. C'est beaucoup d'avoir' réformé le

lois; mais la chicane n'a pu être écrasée par la justice.

34. Une seule manufacture bien établie fait quelquefois plus de bien à un Etat que vingt traités.

35. C'est la fantaisie des hommes qui met le prix à des choses frivoles; c'est cette fantaisie qui fait vivre cent ouvriers; c'est elle qui excite l'industrie, qui entretient le goût, la circulation et l'abondance.

36. L'argent est fait pour circuler, pour faire éclore les arts, pour acheter l'industrie des hommes qui le garde est mauvais citoyen. C'est en ne le gardant pas qu'on se rend utile à sa patrie et à soi-même.

37. Nul remède précipité ne peut suppléer à un arrangement fixe et stable, établi de longue main, et qui pourvoit de loin aux besoins imprévus.

38. Lorsqu'un Etat puissant ne doit qu'à lui-même, la confiance et la circulation suffisent pour payer.

39. La grande usure est la marque infaillible de la pauvreté.

40. A quoi est-on réduit, quand on veut approfondir ce qu'il ne faut que respecter? 41. C'est le sort du genre humain que la vérité soit persécutée dès qu'elle commence à paraître.

42. L'esprit de curiosité donné de Dieu à l'homme, cette impulsion nécessaire pour nous instruire, nous emporte sans cesse au delà du but, comme tous les autres ressorts de notre âme, qui, s'ils ne pouvaient nous pousser trop loin, ne nous exciteraient peutêtre jamais assez.

43. Quand on m'aura dit comment notre volonté opère sur-le-champ un mouvement dans nos corps, comment le bras obéit à notre volonté, comment nous recevons la vie, comment nos aliments se digèrent, comment le blé se transforme en sang, je dirai comment nous avons des idées. J'avoue sur tout cela mon ignorance. Le monde pourra avoir un jour de nouvelles lumières; mais depuis Thalès jusqu'à nos jours, nous n'en avons point. Tout ce que nous pouvons faire est de sentir notre impuissance, de reconnaître un être tout-puissant, et de nous garder de tous systèmes.

44. On demande qui a mis des hommes en Amérique? Ne pourrait-on pas répondre que c'est celui qui y fait croître des arbres et de l'herbe ?

45. Si la vraie grandeur consiste à avoir reçu du ciel un puissant génie, et à s'en être servi pour éclairer les autres et soi-même, un homme comme Newton, tel qu'il s'en trouve à peine en dix siècies, est véritablement le grand homme, et les conquérants, dont aucun siècle n'a manqué, ne sont d'ordinaire que d'illustres méchants. C'est à ceJui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à ceux qui font des esclaves par la violence; c'est à celui qui connaît l'univers, non à ceux qui le défigurent, que nous devons nos respects.

46. Il faut toujours que ce qui est grand soit attaqué par les petits esprits.

47. Le goût du merveilleux enfante les systèmes; mais la nature paraît se plaire dans l'uniformité et dans la constance, autant que notre imagination aime les change

ments.

48. Nous disséquons des mouches, nous mesurons des lignes, nous assemblons des nombres, nous sommes d'accord sur deux ou trois points que nous entendons, et nous disputons sur deux ou trois mille que nous n'entendons pas.

49. O métaphysique! nous sommes aussi avancés que du temps des premiers druides.

50. Faut-il que ce qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain soit souvent ce qui est le moins utile. Un homme avec les quatre règles d'arithmétique, et du bon sens, devient un bon négociant, un Jacques Cœur, un Delmet, un Bernard; tandis qu'un pauvre algébriste passe sa vie à chercher dans les nombres des rapports et des propriétés étonnantes, mais sans usage, et qui ne lui apprendront pas ce que c'est que le change.

51. Il y a un point passé lequel les recherches ne sont plus que pour la curiosité. Ces vérités ingénieuses et inutiles ressemblent à des étoiles qui, placées trop loin de nous, ne nous donnent point de clarté.

52. Notre existence est un point, notre durée un instant, notre globe un atome. A peine a-t-on commencé à s'instruire un peu, que la mort arrive avant qu'on ait de l'expérience.

53. N'être point occupé et n'exister pas, est la même chose pour l'homme, Toute la différence consiste dans les occupations douces ou tumultueuses, dangereuses ou utiles.

54. Il ne se fait rien de grand dans le monde, que par le génie et la fermeté d'un seul homme qui lutte contre les préjugés de la multitude.

55. C'est le privilége du vrai génie, et surtout du génie qui ouvre une carrière, de faire impunément de grandes fautes.

56. Il y a très peu d'hommes vraiment originaux presque tous se gouvernent, pensent et sentent par l'influence de la coutume et de l'éducation. Rien n'est si rare qu'un esprit qui marche dans une route nouvelle; mais parmi cette foule d'hommes qui vont de compagnie, chacun a de petites différences dans la démarche, qué les vues fines aperçoivent.

57. Quiconque a le genie de son art, passe bien vite et sans effort du petit au grand.

58. La gloire, comme dit Newton dans sa dispute avec Leibnitz, n'est due qu'à l'inventeur ceux qui viennent après ne sont que les disciples.

59. C'est dans les siècles les plus barbares que se sont faites les plus utiles découver tes. Il semble que le partage des temps les plus éclairés, et des compagnies les plus savantes, soit de raisonner sur ce que des ignorants ont inventé.

60. On n'a point de génie sans feu; mais on peut avoir du feu sans génie.

61. Ce mot, homme d'esprit, n'annonce point de prétention, et le bel esprit est une

affiche. C'est un art qui demande de la culture; c'est une espèce de profession, et qui par là expose à l'envie et au ridicule.

62. Il y a loin de l'esprit au bon esprit, au bel esprit. Le même mot dans toutes les langues peut donner des idées différentes, parce que tout est métaphore, sans que le vulgaire s'en aperçoive.

63. Ce qu'on appelle esprit, est tantôt une comparaison nouvelle, tantôt une allusion fine; ici l'abus d'un mot qu'on présente dans un sens, et qu'on laisse entendre dans un autre ; là un rapport délicat entre deux idées peu communes; c'est une métaphore singulière, c'est une recherche de ce qu'un objet ne présente pas d'abord, mais de ce qui est en effet dans lui; c'est l'art, ou de réunir deux choses éloignées, ou de diviser deux choses qui paraissent se joindre, ou de les opposer l'une à l'autre ; c'est celui de ne dire qu'à moitié sa pensée pour la laisser deviner.

64. Qui ne peut briller par une pensée, veut se faire remarquer par un mot. 65. La plupart des bons mots sont des redites.

66. Le goût peut se gâter chez une nation. Ce malheur arrive d'ordinaire après les siècles de perfection. Les artistes craignant d'être imitateurs, cherchent des routes écartées. Ils s'éloignent de la belle nature que leurs prédécesseurs ont saisie. Il y a du mérite dans leurs efforts : ce mérite couvre leurs défauts.

67. Il y a des âmes froides, des esprits faux qu'on ne peut ni échauffer, ni redresser: c'est avec eux qu'il ne faut point disputer des goûts, parce qu'ils n'en ont point.

68. Le style fleuri ne messied pas dans les narangues publiques, qui ne sont que des compliments. Les beautés légères sont à leur place, quand on n'a rien de solide à dire; mais le style fleuri doit être banni d'un plaidoyer, d'un sermon, de tout livre instructif.

69. L'auteur qui n'est froid que parce qu'il est vif à contre-temps, peut corriger ce défaut d'une imagination trop abondante. Mais celui qui est froid parce qu'il manque d'âme, n'a pas de quoi se corriger. On peut modérer son feu on ne saurait en acquérir.

69. On tolère dans une lettre l'irrégularité, la licence du style, l'incorrection, les plaisanteries hasardées, parce que des lettres écrites sans dessein et sans art sont des entretiens négligés. Mais quand on parle, ou quand on écrit avec respect, on s'astreint alors à la bienséance. Or je demande à qui on doit plus de respect qu'au public?

70. Les sentiments vigoureux de l'âme passent toujours dans le langage, et qui pense fortement, parle de même.

71. La nature rend tous les hommes éloquents dans les grands intérêts et dans les grandes passions. Quiconque est vivement ému, voit les choses d'un autre œil que les autres hommes. Tout est pour lui objet de comparaison rapide et de métaphore: sans qu'il y prenne garde il anime tout, et fait

passer dans ceux qui l'écoutent une partie de son enthousiasme.

72. Tous les hommes ont à peu près les mêmes idées, quand il s'agit de faire parler les passions; mais la façon de les exprimer distingue l'homme d'esprit de celui qui n'en a point, l'homme de génie d'avec celui qui n'a que de l'esprit, et le poëte d'avec celui qui veut l'être.

73. Les grands talents sont toujours nécessairement rares, surtout quand le goût et l'esprit d'une nation sont formés. Il en est alors des esprits cultivés comme de ces forêts où les arbres pressés et élevés ne souffrent pas qu'aucun porte sa tête trop au-dessus des autres.

74. Les nations réussissent toujours dans les choses qui leur sont absolument nécessaires.

75. La faveur prodiguée aux mauvais ouvrages est aussi contraire aux progrès de l'esprit, que le déchaînement contre les bons.

76. Il n'appartient qu'à l'ignorance et à la présomption qui en est la suite, de dire qu'il n'y a rien à imiter dans les anciens. Il n'y a point de beautés dont on ne trouve chez eux les semences.

77. On ne doit pas écrire ce que tous les rois ont fait, mais seulement ce qu'ils ont fait digne de la postérité.

78. On est souvent réduit à douter: c'est le parti qu'il faut prendre en histoire comme en philosophie.

79. Les historiens qui croient qu'on peut prédire l'avenir, sont bien indignes d'écrire le passé.

80. Les mœurs des hommes, l'esprit de parti se connaissent à la manière d'écrire l'histoire.

81. Il faut n'être d'aucun pays, et dépouil ler tout esprit de parti, quand on écrit l'histoire.

82. Le puéril ne doit pas être cité. L'absurde ne peut être cru.

83. Les détails domestiques amusent la curiosité; les faiblesses qu'on met au grand jour ne plaisent qu'à la malignité, à moins que ces mêmes faiblesses n'instruisent, ou par les malheurs qui les ont suivies, ou par les vertus qui les ont réparées.

84. Toute vérité publique, importante, utile, doit être dite sans doute. Mais s'il y a quelque anecdote odieuse sur un prince, si dans l'intérieur de son domestique il s'est livré, comme tant de particuliers, à des faiblesses de l'humanité, connues peut-être d'un ou de deux confidents, qui vous a chargé de révéler au public ce que ces deux confidents ne devaient révéler à personne? Vous n'êtes qu'un satyrique, qu'un faiseur de libelles, qui vendez des médisances, et non pas un historien.

85. L'historien qui, pour plaire à une famille puissante, loue un tyran, est un lâche. Celui qui veut flétrir la mémoire d'un bon prince, est un monstre ; et le romancier qui donne ses imaginations pour la vérité, est méprisable.

86. Je ne crois pas qu'il soit permis à
l'histoire de parler des vivants: elle doit
imiter les jugements de l'Egypte, qui ne dé-
cidaient du mérite des citoyens que lors-
qu'ils n'étaient plus. Les portraits des hom-
mes publics sont toujours dans un faux jour
pendant leur vie.

87. Malheur aux détails, la postérité les
néglige c'est une vermine qui tue les
grands ouvrages. Ce qui caractérise le siècle,
ce qui a causé des révolutions, ce qui sera
important dans cent années, c'est là tout ce
qu'il faut écrire aujourd'hui.

88. La vie est trop courte, le temps trop
précieux, pour dire des choses inutiles.

89. Les erreurs historiques séduisent des
nations entières.

90. C'est dans le choix des monuments que
consiste le plus grand travail. Il n'y a que
trop de matériaux à examiner, à employer
et à rejeter.

91. Les arts se tiennent tous comme par
la main, et d'ordinaire ils périssent et re-
naissent ensemble.

92. Tout peuple qui n'a point cultivé les
arts, doit être condamné à vivre inconnu.

93. Dans tous les arts il y a un terme, par
delà lequel on ne peut plus avancer. On est
resserré dans les bornes de son talent, on
voit la perfection au delà de soi, et l'on fait
des efforts impuissants pour y atteindre.

94. Il est très-difficile de faire de beaux
tableaux, de belles statues, de bonne musi-
que, de bons vers. Aussi les noms de ces
hommes supérieurs qui ont vaincu ces ob-
stacles, dureront-ils beaucoup plus peut-
être que les royaumes où ils sont nés.

95. L'or est confondu avec la boue pen-
dant la vie des artistes, et la mort les sé-
pare.

96. Les détails et les ressorts de la politi-
que tombent dans l'oubli. Les bonnes lois,
les instituts, les monuments produits par
les sciences subsistent à jamais.

97. Ceux qui aiment les arts sont tous
concitoyens. Les honnêtes gens qui pensent,
ont à peu près les mêmes principes, et ne
composent qu'une république.

98. Dans les arts qui dépendent purement
de l'imagination, il y a autant de révolu-
tions que dans les Etats: ils changent en
mille manières, tandis qu'on cherche à les
fixer.

99. Le défaut de la plupart des livres est
d'être trop longs. Si on avait la raison pour
soi, on serait court.

100. Il y a souvent des défauts dans un
Ouvrage, qu'on est obligé de laisser malgré
soi, et il y a peut-être autant d'honneur à
avouer ses fautes qu'à les corriger.

101. Le succès d'un ouvrage est presque
toujours dans le choix du sujet.

102. Il faut aimer les lettres malgré l'abus
qu'on en fait, comme il faut aimer la société,
dont tant d'hommes méchants corrompent
les douceurs; comme il faut aimer sa patrie,
quelques injustices qu'on y essuie.

103. Le bon goût est pour nous en litté-

rature, ce qu'il est pour les femmes en ajus-
tements.

104. Un homme qui n'est attaqué que dans
ses écrits, ne doit jamais répondre aux cri-
tiques; car si elles sont bonnes, il n'a d'au-
tre chose à faire qu'à se corriger; et si elles
sont mauvaises, elles meurent en naissant.

105. Les gens de lettre font grand bruit de
toutes leurs petites querelles; le reste du
monde, ou les ignore, ou en rit.

106. Réfuter les critiques est un vain
amour-propre; confondre la calomnie est
un devoir.

107. Il est bon de relever les méprises
qui se trouvent dans un livre utile: ce n'est
même que là qu'il les faut chercher. C'est
respecter un bon ouvrage que de le contre
dire: les autres ne méritent pas cet hon-

neur.

108. On est parvenu à faire un trafic pu-
blic d'éloges et de censures, surtout dans les
feuilles périodiques, et la littérature a
éprouvé le plus grand avilissement par cet
infâme manége.

109. Il est bien aisé de rapporter en prose
les sottises d'un poëte; mais très-difficile de
traduire ses beaux vers.

110. Il en est des écrits comme des hom-
mes. Les caractères sérieux sont les plus
estimés; et celui qui domine son imagina-
tion, est supérieur à celui qui s'y abandonne.
Il est plus aisé de peindre des ogres et des
géants que des héros, et d'outrer la nature
que de la suivre.

111. La carrière des lettres, et surtout
celle du génie, est plus épineuse que celle
de la fortune. Est-on médiocre? voilà des
remords pour la vie. Réussit-on? voilà des
ennemis. On marche seul sur le bord de
l'abîme, entre le mépris et la haine.

112. On peut supposer avec raison qu'un
auteur qui ne sait, ou qui ne peut s'arrêter,
n'est pas propre à fournir une grande car-

rière.

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des équivoques; de là vient que les plaisants
de profession ont presque tous l'esprit faux
autant que superficiel.

119. La plaisanterie expliquée cesse d'être
plaisanterie; et un commentateur de bons
mots n'est guère capable d'en dire.

120. Il en est des livres comme du feu de
nos foyers: on va prendre ce feu chez son
voisin, on l'allume chez soi, on le communi-
que à d'autres, et il appartient à tous.

121. Il y a beaucoup de faussetés dans les
histoires, d'erreurs chez les philosophes,
de mensonges dans presque tous les écrits
polémiques, et encore plus dans les sati-
riques.

122. La nécessité de parler, l'embarras de
n'avoir rien à dire, sont deux choses capables
de rendre ridicule, même le plus grand
homme.

123. L'académie est l'objet secret des
vœux de tous les gens de lettres. C'est une
maîtresse contre laquelle ils font des chan-
sons et des épigrammes, jusqu'à ce qu'ils en
aient obtenu des faveurs, et qu'ils négligent
dès qu'ils en sont en possession.

124. C'est sur les imperfections des grands
hommes qu'il faut attacher sa critique; car
si le préjugé nous faisait admirer leurs fau-
tes, bientôt nous les imiterions; et il se
trouverait peut-être que nous n'aurions pris
de ces célèbres écrivains que l'exemple de
Iual,faire.

125. Ce n'est pas payer ses dettes que de
refuser de justes louanges: elles sont la ré-
compense des gens de lettres. Et qui leur
payera ce tribut, sinon nous, qui courant à
peu près la même carrière, devons mieux
connaître que d'autres la difficulté et le prix
d'un bon ouvrage ?

126. Qui loue tout n'est qu'un flatteur.
Celui-ci seul sait louer, qui loue avec res-
triction.

127. Tous les honnêtes gens qui pensent,
sont critiques; les malins sont satiriques;
les pervers font des libelles.

128. C'est un grand inconvénient attaché
au bel art de l'imprimerie, que cette facilité
malheureuse de publier les impostures et
les calomnies.

129. Il y a peu d'écrivains célèbres qui
n'aient essuyé des disgrâces, Presque tous
les poëtes qui ont réussi, ont été calomniés.

130. Quand un homme a eu le malheur
d'être calomnié une fois, il est sûr de l'être
toujours, jusqu'à ce que son innocence
éclate, ou que la mode de le persécuter soit
passée; car tout est mode, et on se lasse de
tout à la fin, même de faire du mal.

131. On prétend qu'on est moins malheu-
reux, quand on ne l'est pas seul.

132. L'honneur a toujours fait de plus
grandes choses que l'intérêt.

133. Il est difficile aux plus grands hom-
mes, et même aux plus modestes, de se sau-
ver des illusions de l'amour-propre.

134. Il n'y a guère que les âmes vertueu-
ses de sensibles.

135. Ce qui est grand et seulement hardi

dans un temps, est petit et téméraire dans

un autre.

136. Les succès suffisent pour la réputa-
tion, mais non pas pour la gloire.

137. Personne n'ose convenir franche-
ment des richesses de son siècle. Nous som-
mes comme les avares qui disent toujours
que le temps est dur.

138. On ne s'attire l'attention que quand
on est quelque chose par soi-même.

139. Tout bâtiment qui est réduit à des
appuis étrangers, menace ruine.

140. On aime à attribuer toutes les gran-
des choses à un seul homme, quand il en a
fait quelques-unes.

141. Ce n'est point la pauvreté qui est
intolérable, c'est le mépris.

142. Un homme qui a tort, et qui veut
déshonorer celui qui a raison, se déshonore
soi-même.

143. Les hommes ne manquent pas de pré-
texte pour se nuire, quand ils n'en ont plus

de cause.

144. Les hommes réfléchissent peu; ils
lisent avec négligence; ils jugent avec pré-
cipitation; et ils reçoivent les opinions
comme on reçoit la monnaie, parce qu'elle
est courante.

145. La politique est elle autre chose que
l'art de mentir à propos?

146. Les mêmes circonstances produisent
les mêmes effets.

147. La mode entre jusque dans les cri-

mes.

148. C'est mal connaître les hommes que
de croire qu'il y a des sociétés qui se sou-
tiennent par les mauvaises mœurs, et qui
fassent une loi de l'impudicité.

149. Ce qui est le plus digne d'attention,
ce qui doit l'emporter sur toutes ces cou-
tumes introduites par le caprice, sur toutes
ces lois abolies par le temps, sur les que-
relles des rois qui passent avec eux, c'est la
gloire des arts qui ne passera jamais.

150. Les grands objets de l'ambition ne
connaissent point la honte.

151. L'estime des hommes se mesure par
les difficultés surmontées.

152. Il y a d'anciennes bornes qu'on ne
remue pas sans de violentes secousses.

VOLUPTÉ. Dès que les voluptés se sont
emparées de notre âme, elles lui font abju-
rer toute retenue, et la soumettent en escla-
ves aux appétits déréglés du corps.

2. Toute la nature est pleine de voluptés,
dont elle ne cherche qu'à se débarrasser.
(SOCRATE.)

Il n'y a pas de passion plus violente que
la volupté! rien ne va au delà de la volupté!
Par bonheur, il n'y a qu'une seule passion
de ce genre; car s'il y en avait deux, il n'y
aurait pas un seul homme en tout l'univers
qui pât suivre la vérité.

(Doctrine bouddhique.)

Si la douleur de tête nous venait avant
l'ivresse, nous nous garderions de trop
boire. Mais la volupté marche devant nous
pour nous tromper et nous cache sa suite.
(MONTAIGNE.)

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