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ment à nous. Par elle, la terre est féconde et demeure toujours féconde. Par son action, bien loin d'être ralenti, le grand fleuve de la vie s'écoule majestueux et puissant à travers les âges; ses eaux profondes ne sauraient ni déborder ni tarir, la main qui sut ouvrir leurs sources sut endiguer leurs rives, pour que d'un cours égal elles parcourussent les siècles. Si la science ignore comment germa la vie, elle sait comment elle se perpétue et se renouvelle. « Tout ce qui vit, dit Pasteur, doit mourir, et après la mort, tout se détruit ou mieux tout se transforme. La vie et la mort sont choses corrélatives; il faut qu'après la mort, toutes les matières constituantes de l'être vivant fassent retour au sol et à l'air. »

Oui, la mort est le ferment de la vie, elle lui donne sans cesse la substance et l'espace nécessaires; par elle, d'innombrables multitudes en ont connu le bienfait. Sans doute il faut lutter, et la bataille pour la vie est une nécessité découlant d'une grande loi, mais quel être sait qu'il doit mourir? La nature leur a voilé ses décrets. Le papillon qui bat des ailes dans un rayon de soleil, l'alouette qui chante en s'élevant dans l'azur, ignorent leur lendemain; pour eux

La vie est sans époque et le temps sans archives,

Le présent sans passé, l'instant sans avenir.

Une seule créature sait que ses jours terrestres sont comptés, mais seule aussi, elle a dans le secret de sa conscience le sentiment de son immortalité.

Le globe a reçu une quantité de vie que les compétitions des espèces, et l'assaut des puissances inorganiques ne peuvent altérer, et dont la durée est dans les secrets de l'avenir. Chaque espèce à son tour a été douée d'une résistance spéciale, capable de la soutenir plus ou moins longtemps au milieu des luttes, sans toutefois pouvoir l'exonérer des causes de ruine qu'elle rencontre dans les conditions cosmiques et géologiques où elle s'agite. L'individu lui aussi a reçu dans un vase plus fragile encore une quantité de vie exactement mesurée dans chaque espèce. Au terme de cette existence, il rend toute la substance qui lui fut prêtée. Rarement l'être arrive à cette limite physiologique, la vie a des exigences brutales, et l'expropriation forcée fonctionne sans cesse. Un même instinct, celui de la conservation, arme les êtres pour l'attaque et pour la défense. Voilà la bataille pour la vie dans laquelle l'espèce seule a un triomphe durable, car la reproduction a été merveilleusement proportionnée à la destruction.

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CHAPITRE II

PERMANENCE ET ALTERNATIVES DE LA LUTTE

Définition de la vie. Inégalité des armes entre les règnes. Les forces de reproduction ne regardent que l'espèce. Développement individuel. Coopération de l'être à son développement. La loi est dure pour tous. - La plante. L'animal. - L'homme. Phases de la lutte. meil. Lumière, obscurité.

Armée de la nuit.

- Le som

-

Armée du jour.

Luttes de nuit et luttes de jour sous nos climats. Saisons. - Hiver. Dormir.

Rester.

Partir.

Descendons maintenant sur le terrain de la lutte, jetons un coup d'œil d'ensemble sur le lieu et les conditions de cette épopée gigantesque et sur la force des partis engagés. Nous dénombrerons plus tard les combattants, et nous décrirons les phases de la bataille, les succès ou les revers, les actions d'éclat, les ruses ou les perfidies des uns et des autres.

Définition de la vie. - Partis de la loi primordiale qui prescrit aux êtres de croître et de multiplier, disons d'abord que la nature a déposé chez toutes les créatures deux instincts destinés à les pousser dans l'accomplissement de la loi, l'instinct de la conservation et celui de la reproduction. Chacun de ces besoins possède à son service un ensemble d'organes dont le jeu constitue les fonctions qui assurent la conservation de l'individu et la perpétuité de l'espèce. Ces fonctions dans des mesures diverses sont les moyens d'action de l'être dans la bataille pour l'existence. Bichat l'a dit : « La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort », c'est-à-dire à tout ce qui tend à détruire les êtres soit comme individus soit comme espèces. Cette définition nous montre la vie comme une lutte perpétuelle, et la caractérise comme un triomphe éphémère sur les forces qui la combattent. C'est une résistance purement conservatrice, et qui à ce titre s'use à la longue. Ce qui est complexe succombe sous les efforts de tout ce qui est simple. Rien de compliqué comme les fonctions qui résistent à la mort, rien de moins durable que les êtres vivants. Le granite, roche composée, est usé par

l'eau, roche plus simple; les substances minérales les plus dures sont usées par le diamant, corps simple.

Inégalité des armes entre les règnes. Les êtres, bien qu'ayant reçu les armes nécessaires pour leur défense, nous apparaissent cependant inégalement favorisés sous ce rapport,et particulièrement sous celui des fonctions. L'animal, comme le fait observer le grand physiologiste que nous avons cité plus haut, est mieux doué que le végétal. Non-seulement comme ce dernier, il se nourrit et assimile, croit et se répare, mais il a avec le monde extérieur des relations multipliées. Il voit sa proie et son ennemi, et peut les approcher ou les fuir; pour lui, le plaisir ou la douleur sont des avertisseurs précieux dans la lutte. Des fonctions plus nombreuses et plus délicates sont donc à son service dans la bataille. Nous ne pouvons cependant nous empêcher de remarquer que si l'animal est mieux armé, il court plus de risques et a plus d'ennemis; sa sensibilité même est un danger pour lui. A tout prendre, la plante immobile et passive résiste mieux et vit plus longtemps.

Les forces de reproduction ne regardent que l'espèce. - La fonction de reproduction ne regarde que l'espèce, et ne se lie qu'indirectement aux fonctions qui résistent à la mort. Elle suppose la préexistence de celles-ci et s'éteint avant elles. Elle n'a donc qu'une importance très-secondaire dans la bataille pour la vie, et souvent elle est plutôt une cause de faiblesse et de périls. Nous pouvons donc laisser de côté les forces qui donnent l'existence, pour ne parler que de celles qui la défendent. La faim est le plus puissant et le plus pressant des deux ressorts qui soutiennent l'édifice de ce monde; il faut croitre avant de multiplier.

Développement individuel. Le développement individuel est limité dans toutes les espèces, même chez les végétaux, et si la lutte pour l'existence se bornait seulement à la période pendant laquelle l'être emprunte au monde extérieur la substance nécessaire à son développement, le reste de la vie pourrait être une phase de repos. Cela n'est pas chez l'animal, l'accroissement est la période pendant laquelle les matériaux assimilés l'emportent en volume sur ceux qui cessant d'être utiles sont éliminés, l'être augmente dans l'espace. Après cette période, il en vient une autre pendant laquelle l'être cessant de croître pourvoit seulement au remplacement des matériaux usés. Cette phase, la plus longue de la vie, est en général à la première comme 6 est à 1, en admettant que l'être arrive au terme normal de sa longévité. Vers le déclin de l'existence, les réparations deviennent moins actives, mais la plupart des créatures tombant

avant l'heure sur le champ de bataille de la vie, nous ne tiendrous pas compte de cette phase. Ainsi l'on peut dire que pendant toute sa durée, l'être doit pourvoir aux nécessités de son accroissement ou de la réparation de son édifice matériel. Labeur immense qui nécessite des luttes continuelles. Le Créateur nous a cependant exonérés d'une partie du travail.

Part de l'être à son développement. Aucune créature n'intervient dans la structure ou l'édification de son organisme. Des chefsd'œuvre incomparables s'accomplissent à l'insu de l'être et souvent même malgré lui. L'aile diaprée de l'insecte compose son admirable et brillant réseau dans la chrysalide endormie; le pétale de la rose tisse son velours, crée son coloris et produit son parfum, trois merveilles, sous l'abri d'un calice fermé chez un être inintelligent. La seule tàche réservée à l'être, mais celle-là indéclinable sous peine de mort, c'est d'apporter à pied-d'œuvre les matériaux nécessaires au travailleur divin. Les êtres ne sont donc que les manœuvres de leur propre édifice. Ce soin suffit à leur faiblesse, et c'est cette nécessité qui développe à travers le monde cette grande lutte dont nous faisons ici l'histoire.

Si réduit que soit le travail laissé à la charge de l'être, il est cependant énorme. Un homme qui ne se nourrirait que de pain devrait, pour son entretien, en consommer 4 livres par jour, 1460 livres par an ou 22 fois son poids moyen. De 10 à 50 ans, 880 fois ce poids. Un cheval doit trouver 25,770 grammes de nourriture solide par jour, et l'éléphant près de 100 kilogrammes. Pour qu'un bœuf se fasse, il faut 6000 kilogrammes de foin, un hectare de terrain.

La loi est dure pour tous. Tout ce qui vit ici-bas doit lutter pour l'existence, car il est indispensable pour tous de chercher et de conquérir la substance nécessaire au développement individuel. La plante, l'animal et l'homme doivent se courber sous cette loi très dure: Dura lex. Si l'homme mange son pain à la sueur de son front, l'animal est souvent obligé de gagner sa subsistance par de dures fatigues. Que de jeûnes prolongés, que de fatigue, que de courses inutiles. Les mésanges qui vivent d'oeufs d'insectes et de pucerons sont obligées de courir et de chercher tout le jour pour trouver leur nourriture. Leur travail devient extraordinaire quand un couple de ces petits oiseaux a vingt bouches à nourrir. Les insectes qui boivent le nectar des fleurs ont une besogne encore plus lourde. A. Wilson a calculé la quantité de sucre contenue dans le nectar. Le fuschia en renferme 7 milligrammes 1/2 par fleur,

le pois 9, la vesce 3 par grappe et 0mg,15 par fleurette; 125 têtes de trèfle en renferment 1 gramme, 125,000 têtes 1 kilogramme. Chaque tête de trèfle contenant 60 fleurs, une abeille doit sucer 7,500,000 réservoirs à nectar pour i kilogramme de sucre. Eh bien! chaque fleur ne renferme même pas ces quantités de sucre, car elle a d'autres visites avant celle de l'abeille. La plupart des fleurs reçoivent celle de nombreux insectes: 88 espèces se présentent chez le cirse des champs, 87 chez l'achillée, 93 chez le pissenlit, 118 chez la berce. Que l'on calcule maintenant, en présence de cette concurrence, ce qu'un de ces vaillants travailleurs doit trouver de nourriture dans une fleur et le chemin qu'il faut faire chaque jour! Quand une fleur, qui renferme en moyenne 3 milligrammes de sucre, a été visitée 200 fois dans la journée, dites-nous ce que chaque insecte en emporte.

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La plante. La lutte semble moins active pour la plante qui, fixée au sol ou plongée dans les eaux, doit emprunter sa substance alimentaire aux milieux dans lesquels elle vit. Il n'y a pas, en outre, chez les végétaux cette active rénovation des organes et des tissus qui, chez les animaux, rend la réparation urgente. La substance va s'accumulant sans cesse chez la plante et chaque année une enveloppe nouvelle vient recouvrir, chez les arbres, l'enveloppe précédente. De là cette accumulation énorme de substance réunie au bout de plusieurs années, ou même de plusieurs siècles sur le lieu où tomba jadis une chétive semence. L'ouragan a renversé un de ces colosses du monde végétal, un de ces sequoias d'Amérique dont la tête se perd dans les nues, ou l'un de ces vieux chênes

De qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

Le sol est couvert par une montagne de débris. Quelle puissance et quelle force il fallut à l'arbre pour réunir sur ce point tant de subtance matérielle. Jour par jour elle fut arrachée aux courants atmosphériques qui murmuraient ou bruissaient dans sa ramure, ou soustraite aux eaux qui baignaient ses racines. Pour devenir le géant dont nous parlons, toute cette substance a dù traverser les filtres ténus des extrémités radicellaires, ou du tissu des feuilles; puis une fois fixée, elle a été retenue pendant des siècles. Chaque année, le chêne a refait l'énorme cime feuillue qui couronne sa tête, chaque année il a prodigué les fruits qui par milliers jonchent le sol à l'automne. Ce travail s'est poursuivi pendant des siècles malgré le froid et le chaud, le sec et l'humide, le calme et l'orage. Tous les chênes

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