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reprocher de ne pas admettre au nombre des causes qui favorisèrent l'avénement de la réforme, si elles ne le déterminèrent pas, la rapacité de plusieurs princes, qui trouvèrent commode de s'enrichir des dépouilles de l'Église, les passions et la jalousie insensées du pouvoir temporel contre le pouvoir spirituel, et sur plusieurs points, comme en France, l'intérêt féodal qui prit la forme religieuse pour lutter contre le pouvoir central de la royauté grandissant de plus en plus. Ces causes exercèrent une influence réelle ; mais, comme le dit avec raison M. Guizot, le principe déterminant de la réforme, ce fut l'abolition du pouvoir spirituel et l'avénement de l'esprit de libre examen poussé jusqu'à ses conséquences les plus absolues. Cela est si vrai, qu'à cette époque on le trouve partout, et qu'il s'accommode même souvent de l'absence de toute liberté politique. Par un singulier contraste, tandis que l'Europe est comme enivrée de cet esprit d'indépendance absolue dans les choses religieuses, les pouvoirs politiques achèvent de se concentrer dans les mains des gouvernements. Seulement, nous ferons remarquer que cette espèce de restriction apportée au nouvel esprit qui s'empare de l'Europe, n'a rien de définitif : ce n'est qu'une halte. Les anabaptistes si durement, et nous ajouterons si cruellement dévoués au glaive par Luther, ont montré, dès l'origine, jusqu'où devait aller, nous ne dirons pas cet esprit de liberté, mais cet esprit de révolte qui s'emparait de l'Europe moderne. Entre le pouvoir poli

tique que la difficulté des circonstances créées par le protestantisme contribuait à rendre absolu, et cet esprit, il devait tôt ou tard y avoir un choc. En 1828, la généralité des intelligences admettait avec M. Guizot que le résultat de ce choc devait être l'affranchissement politique de l'Europe moderne, et en faisait honneur au protestantisme: vingt-cinq ans d'expérience se sont écoulés depuis, et nous croyons que ceux qui affirmaient alors seraient moins hardis à affirmer aujourd'hui. Dans l'ordre spirituel, comme dans l'ordre temporel, il n'y a de liberté que sous la loi là la loi de Dieu, ici la loi sociale; l'indépendance absolue mène à l'anarchie, cette pente rapide qui court au despotisme, cet autre terme de l'absolu.

Le premier théâtre sur lequel viennent se heurter le pouvoir politique, concentré dans les mains de la royauté, et cet esprit d'indépendance et d'examen qui a enfanté le protestantisme, et qui est resté le résultat le plus considérable de son avénement, c'est l'Angleterre. M. Guizot reconnaît que cette lutte était inévitable, et qu'il était indiqué qu'elle se présenterait partout : la révolution religieuse était en avant de la révolution politique; mais, avec le temps, celle-ci devait rejoindre celle-là. L'Angleterre fut le premier théâtre de cette lutte, parce que tout était mûr en Angleterre pour le débat qui allait s'ouvrir. D'abord la révolution religieuse Y avait été accomplie par la royauté elle-même; Henri VIII en avait été le promoteur, et, derrière cette première révolution, une révolution religieuse plus radicale

se présentait, réclamant le bénéfice des prémisses posées, et luttant contre la suprématie religieuse du roi qui avait remplacé la suprématie du pape, et aussi contre l'Église établie qui se portait héritière de l'Église catholique. Ensuite les formes politiques, accréditées en Angleterre, prêtaient des facilités considérables à cette révolution. Depuis le roi Jean, il y avait une grande charte, renouvelée presque de règne en règne, un parlement devenu servile dans les derniers temps, mais qui cependant avait été l'instrument de tous les grands actes politiques, un parti de réforme légale puissant et sérieux qui abritait et masquait, sans le vouloir, les autres partis. La révolution religieuse qui voulait secouer la suprématie de l'Église établie ou la renverser complétement, car il y avait plusieurs partis dans son sein, s'allia donc à la révolution politique qui voulait subordonner le pouvoir royal au pouvoir parlementaire, ou renverser complétement l'ancienne société, car la révolution politique renfermait aussi des partis qui descendaient de degré en degré jusqu'à la république : le républicanisme et le puritanisme se donnaient la main. Cette coalition de partis et d'intérêts fit triompher le parlement de la royauté. Alors la lutte des partis continua dans le parlement qui avait pu vaincre la royauté, mais qui ne put vivre sans elle. Le parti de la réforme légale, le parti de la révolution parlementaire, le parti de la république, avaient échoué successivement dans la tâche difficile de gouverner; un homme se rencontra pour remplir

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transitoirement cette tâche, à force d'habileté, de savoir-faire, de ruse mêlée de violence, de flexibilité d'esprit et de vigueur de main, de bon sens et d'àpropos de conduite, homme divers comme les temps, servi par les situations parce qu'il les servait, odieux à presque tous les partis tous les partis qu'il détrônait, et subi par eux comme inévitable, toujours en scène parce qu'il accommodait son rôle au progrès du drame, et préférait le possible à ses intérêts d'ambition et de vanité : nous avons nommé Cromwell. Quand Cromwell meurt, Monck recourt à la royauté exilée, parce qu'il n'y avait qu'elle qui pût gouverner. Charles II essaye successivement les trois partis aux affaires : le parti de la réforme légale, avec Clarendon; le parti corrompu, la cabale comme on l'appelait, avec lord Danby; le parti national avec lord Essex, lord Russell, lord Shaftesbury. Tous trois échouèrent. Alors, il prend la même résolution que Cromwell; il rentre dans la carrière du pouvoir absolu. Jusqu'ici, il faut en convenir, l'esprit de libre examen, d'après l'exposition de M. Guizot, a rendu de médiocres services à la liberté politique. Après Charles II, Jacques II, dit M. Guizot, veut faire triompher la religion catholique en même temps que le pouvoir absolu, et la révolution de 1688 éclate.

Ici M. Guizot croit devoir rattacher la révolution de 1688 à un mouvement général et européen en faveur de la liberté civile et religieuse, dont Guillaume III aurait été le chef, et Louis XIV l'adversaire. Il semble que l'éloquent professeur oublie un peu ce qu'il a dit

que

plus haut avec tant de raison: « C'est entre l'année 1520, où Luther brûla publiquement à Wittemberg la bulle de Léon X qui le condamnait, et le milieu du dix-septième siècle, l'année 1648, date de la conclusion du traité de Westphalie, qu'est renfermée la vie de la réforme. Après le traité de Westphalie, les États s'allient ou se divisent par de tout autres considérations les croyances religieuses (1). » La première opinion de M. Guizot est plus conforme aux faits que la seconde : car loin que la révolution de 1688 ait été accomplie en faveur de la liberté civile et religieuse, elle fut, au contraire, accomplie contre cette liberté que Jacques II voulait établir en faveur des catholiques de son royaume, qui, il faut s'en souvenir, n'étaient ni moins asservis, ni moins persécutés en Angleterre, que les protestants pouvaient l'être en France. Comment, d'ailleurs, présenter comme une ligue du parti de la liberté religieuse la ligue européenne dans laquelle étaient entrés des éléments si hétérogènes, l'Angleterre, le pape et l'empereur d'Allemagne? Il s'agissait évidemment dans cette coalition, de considérations tout autres : c'était une ligue politique d'ambitions, de rancunes, de craintes, contre la prépondérance et la suprématie de la France qui avait humilié tous les autres États, et l'on s'était servi de la révolution de 1688 pour arracher l'Angleterre à l'alliance française, et la rallier à la ligue européenne, dont l'objet n'avait rien de

(1) Cours d'histoire moderne, 12o leçon, page 6.

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