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retrace le souvenir est récente, plus cet inconvénient augmente.

Les diverses écoles.

générale.

II.

Essor des études historiques. Histoire
Histoire de la révolution.

Quand on cherche à classer les divers genres auxquels on peut ramener les principales compositions historiques qui parurent de 1815 à 1830, on trouve que ces genres sont au nombre de trois. Il y eut un écrivain, il est vrai, dont les ouvrages ne peuvent être ramenés à aucun de ces genres: c'est M. Ballanche; mais ses écrits tiennent autant par le fond à la philosophie, et par la forme à la poésie, qu'à l'histoire proprement dite. Ce sont des études transcendantes dans le genre de celles auxquelles s'éleva Vico en Italie, Herder en Allemagne. M. Ballanche a entrepris de deviner par une intuition raisonnée l'histoire des temps antéhistoriques, comme Cuvier devina, par une induction puissante, la conformation des animaux antédiluviens. Son Orphée est l'histoire des temps qui n'ont pas eu, qui n'auront jamais d'histoire; c'est, pour ainsi dire, la prophétie du passé, aussi difficile que celle de l'avenir, qui n'est pas plus inconnu. La Palingénésie sociale est l'épopée de l'humanité. Cette haute théosophie de l'histoire est le développement des deux dogmes qui représentent la tradition universelle consommée et purifiée dans le christianisme : la dé

chéance et la réparation. Un écrivain d'un esprit sagace et ingénieux (1) a résumé, d'une manière remarquable, la Palingénésie sociale dans les lignes suivantes : « Interrogeant tour à tour les livres saints, les poésies primitives, l'histoire, M. Ballanche a déduit de leurs réponses concordantes une analogie parfaite entre le principe révélé et le principe rationnel, et c'est là toute la pensée palingénésique. Il croit que la loi qui préside aux progrès de l'humanité, soit qu'on la contemple dans la sphère religieuse, soit qu'on l'étudie dans la sphère philosophique, est une. Le titre à inscrire sur le frontispice de ses œuvres complètes pour en annoncer l'idée fondamentale, pourrait donc être celui-ci : « Identité du dogme de la déchéance et de la réhabilitation du genre humain avec la loi philosophique de la perfectibilité.

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M. Ballanche pose en axiome que cette amélioration progressive de la condition du genre humain, tombé tout entier de cette chute originelle qu'on trouve au début de toutes les traditions, ne peut s'opérer que par le sacrifice de la vie de l'initiateur. Tout service rendu à l'humanité s'achète au prix du sang de celui qui le rend. C'est ainsi que Prométhée, qui a apporté la lumière aux hommes, est enchaîné sur le Caucase; qu'Orphée, venu pour instruire et policer les peuples, est mis en pièces par les Ménades sur les montagnes de la Thrace, et que les flots de l'Hèbre ont roulé

(1) M. Desmousseaux de Givré.

sa tête et sa lyre harmonieuse. Enfin, le Christ luimême, le fils de Dieu fait homme, dont tous les bienfaiteurs de l'humanité n'ont été que d'incomplètes figures, a racheté l'humanité de son sang, et c'est en mourant sur la croix qu'il nous a ouvert les portes de la société moderne avec ses libertés ignorées de l'antiquité, l'affranchissement de l'esclave, la réhabilitation de la femme, le droit des gens des nations modernes, l'égalité devant la croix, bientôt devant la loi, et, au delà de ce monde, les portes de cette société merveilleuse des élus, dans laquelle l'ascension de l'homme doit continuer sans fin, car il aspire à l'infini, c'est-àdire à Dieu. L'illustre philosophe explique les histoires particulières, comme les histoires générales, à la lumière de ces principes. L'émancipation des plébéiens de Rome est payée, sous les décemvirs, par le sang de Virginie, et Ballanche, jetant la poésie à pleines mains sur cette histoire, met dans la bouche de la jeune fille qui va mourir ses propres idées sous la forme d'un chant d'adieu qu'elle adresse à ses compagnes. Partout, pour l'humanité déchue, la conquête de la vérité, du droit, sera douloureuse, et l'on suivra les initiateurs dans l'histoire à la trace de leur sang. Orphée, la Vision d'Hébal, Antigone, la Formule générale de l'histoire de tous les peuples appliquée à l'histoire du peuple romain, sont des développements de ces principes.

Cette théosophie appliquée à l'histoire par M. Ballanche et qui, par son élévation même, échappe à un

grand nombre d'intelligences, et a l'inconvénient de se perdre souvent dans les poétiques obscurités d'un mysticisme transcendant, ne représente que le génie d'un homme, et reste en dehors des trois genres d'histoire proprement dite auxquels on peut ramener les principales compositions historiques du temps.

Un certain nombre d'historiens crurent que l'histoire devait être purement et simplement la description la plus fidèle et la plus dramatique du passé, sans qu'aucune vue plus haute dominât le récit, et sans que l'historien discernât, sous le bruit des événements et le choc des efforts individuels, la marche générale de l'humanité. C'est l'histoire qu'on a nommée, non sans raison, descriptive, parce qu'elle ne raisonne pas, elle ne déduit pas, elle ne conclut pas : elle décrit. C'est un tableau aussi bien dessiné et aussi bien colorié que possible; ce n'est ni un enseignement ni un arrêt. M. de Barante, en publiant son Histoire des ducs de Bourgogne, donna le modèle de ce genre. D'autres crurent, au contraire, que l'écrivain doit se servir de l'histoire générale pour éclairer l'histoire de chaque siècle en particulier; qu'en un mot, la philosophie de l'histoire. doit toujours sortir du récit, et qu'il faut savoir tenir compte à la fois et du mouvement produit dans chaque siècle par l'initiative des libertés individuelles, et de l'influence exercée sur chaque siècle par le mouvement général de l'humanité. Cette école, qui jeta un grand éclat, porta moins son attention sur les questions chronologiques et les questions de faits, débrouillées par

les travaux antérieurs, que sur les questions sociales, les questions de mœurs, la formation et les luttes des classes, la naissance et le développement des institutions. Le point de vue historique était changé avec la direction des idées. On chercha dans les documents et les monuments du passé ce que les historiens antérieurs à la révolution n'y avaient point cherché : la situation des classes bourgeoises et populaires, les révolutions dans les mœurs, le mouvement des idées, les usages, les lois. MM. Guizot, Thierry, de Sismondi, furent les chefs de cette école, à laquelle se rattache aussi madame de Staël. Enfin, il y eut une classe d'écrivains qui retracèrent l'histoire en partant de ce principe, que les événements ont quelque chose d'in évitable, et que l'histoire est un drame fatal dont il est impossible de modifier la marche et de changer le dénoûment. MM. Thiers et Mignet furent les chefs et les interprètes les plus éminents et les moins excessifs de l'école fataliste.

On aperçoit du premier coup d'oeil les écueils auxquels ces trois genres pouvaient se heurter, et qu'aucun d'eux n'évita complétement. L'école descriptive était exposée à tomber dans une sorte d'indifférence morale à l'égard des faits qu'elle envisageait au point de vue restreint et spécial de leur intérêt propre, sans jamais faire intervenir l'histoire générale dans l'histoire individuelle, les principes éternels de la morale dans la peinture des événements. La doctrine de l'histoire pour l'histoire se conçoit encore moins que celle de l'art pour l'art, et c'est acheter cher le mérite de la

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