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fus, dans un poste qu'il était si digne d'occuper. L'année suivante, il était nommé évêque in partibus d'Hermopolis, et la confiance du roi lui imposait les fonctions aussi difficiles qu'élevées de grand maître de l'Université, dont M. Frayssinous déclina longtemps la responsabilité avec une terreur que l'on comprend, car il avait dit lui-même : « Tout l'avenir de ce pays est dans l'éducation de la jeunesse, » et qu'il accepta enfin en disant : « Je n'espère pas faire beaucoup de bien dans l'Université, mais j'espère y empêcher beaucoup de mal. >>

Ainsi l'auteur des conférences de Saint-Sulpice, poussé d'échelon en échelon par son mérite, par sa bonne renommée, par ses services, par la confiance que ses principes politiques inspiraient à la monarchie, ses principes religieux à l'épiscopat, ses vertus et ses connaissances littéraires, qui le rendaient si compétent en matière d'enseignement, aux pères de famille, arrivait à ce grand et difficile ministère de l'instruction publique, qu'on pourrait appeler le ministère de l'avenir. Il n'avait eu jusque-là que le pouvoir indirect d'une haute influence à la fois religieuse, intellectuelle, morale et littéraire; il allait avoir l'influence directe du pouvoir. Ministre, bientôt pair de France, académicien, aucun genre d'honneur ne devait manquer à ses divers genres de m rite; mais aussi les difficultés, les épreuves, la responsabilité allaient commencer pour lui, car on allait lui demander le bien désirable à côté du bien possible, et l'école religieuse opposée à celle dont il avait

été l'interprète devait le rendre à la fois responsable du bien qui ne se ferait pas et du mal qu'il ne pourrait réussir à empêcher. Il allait en même temps expérimenter les embarras que peut susciter au pouvoir temporel, dans les sociétés modernes, cette espèce d'immixtion dans les choses religieuses que lui imposent quelques-unes des maximes gallicanes.

IV.

École romaine Lettre de monseigneur d'Aviau, archevêque de Bordeaux, à M. Frayssinous. Joseph de Maistre.-M. de la Mennais.

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A la même époque où M. Frayssinous recevait des deux hommes les plus éminents dans l'école des opinions gallicanes, le cardinal de la Luzerne et le cardinal de Bausset, des témoignages de haute approbation pour son livre sur les Vrais Principes, une critique imposante, et par le caractère de celui de qui elle émanait et par la forme affectueuse qu'elle prit, venait se mêler à ces suffrages, et l'avertir que, même dans l'Église de France, le fond des opinions qu'il avait défendues avec autant de modération que de sagesse et de mérite littéraire, rencontrait des contradicteurs élevés en science et en dignité. Monseigneur d'Aviau, archevêque de Bordeaux, qui avait appelé M. Frayssinous à porter dans son diocèse l'enseignement si utile de ses conférences, tout en donnant de justes louanges à un grand nombre de vérités utiles, si remarquablement présentées dans son ouvrage, lui signalait des passages qui

lui paraissaient moins dignes d'approbation. Ces passages étaient en particulier ceux qui pouvaient contribuer à étayer le système gallican, et le vieil archevêque, allant au fond de la question, déplorait que, par ses maximes, l'Église gallicane s'isolât de toutes les autres églises en s'en distinguant. Il rappelait, au sujet de l'usage des évêques de l'Église gallicane d'examiner et de juger les bulles du pape avant de les publier, les graves paroles du pape Clément XI en 1706 : « Qui vous a établis juges au-dessus de nous? Interrogez vos prédécesseurs, ils vous diront qu'il n'appartient pas à des évêques particuliers de discuter les décrets du siége apostolique, mais de les suivre. Vénérables frères, c'est une chose complétement intolérable, qu'un petit nombre d'évêques, et surtout d'évêques gouvernant des églises dont les priviléges et la splendeur n'existent que par la faveur et le bienfait de l'Église romaine, lèvent la tête contre l'auteur de leur nom et de leurs honneurs, et empiètent sur les droits du premier siége, qui reposent sur une autorité qui n'a rien d'humain, mais qui est toute divine. » Après avoir cité ces paroles, l'archevêque de Bordeaux ajoutait : « Et après cela il me serait permis d'écrire que le pape peut se tromper dans ses jugements sur la foi, même les plus solennels, lui laissant néanmoins pour privilége: Que ce ne serait pas avec cet esprit d'opiniâtreté qui est le caractère de l'hérésie, et à tous pour ressource : Que s'il l'enseignait formellement, nos réclamations le ramèneraient dans les sen

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tiers de la vérité. serait-elle assez apparente? Mais alors que devient le Confirma fratres tuos? Le successeur de saint Pierre aurait au contraire besoin d'être relevé lui-même, redressé, raffermi par quelques-uns de ses frères qui jamais n'en eurent ni n'en purent avoir la divine mission. Non, je ne saurais croire que cela me soit permis. Et cependant on prétendra davantage : on prétendra que j'y suis strictement obligé. Le ministre me notifie, à moi, évêque par la grâce de Dieu et l'autorité du saint-siége, que si je ne m'engage à faire enseigner la déclaration dans mon séminaire, etc...! Peu importent la pacification de 1693 et ses suites durant le règne de Louis XIV; peu importe l'Abeat quo libuerit de Bossuet lui-même; peu importent les précises et fortes oppositions de douze papes consécutifs. Comment me résoudre, contre les vrais reproches de ma conscience, à obtempérer ? J'ose vous réclamer désormais pour auxiliaire. »

Mais alors, et en attendant, où

C'est ainsi que le vénérable prélat, plein à la fois d'estime et d'affection pour l'auteur des Vrais Principes, tout en rendant justice à sa sagesse et à sa modération, résumait les objections les plus fortes qui s'élèvent contre le fond même des opinions gallicanes, et surtout contre leur enseignement obligatoire dans les séminaires.

C'est ici le moment de suivre dans l'ouvrage célèbre d'un écrivain catholique que nous avons rencontré au premier rang de l'école monarchique et religieuse,

quand nous avons étudié les origines de la littérature de la restauration, l'exposition complète des opinions dont monseigneur d'Aviau ne présentait, dans sa lettre, que le résumé. La mort prématurée de M. de Maistre laissa, malheureusement pour tout le monde, et malheureusement surtout pour M. de la Mennais, la première place vide dans une école dont le comte Joseph de Maistre était le chef incontesté. Mais il y aurait une solution de continuité dans l'histoire des idées, si, avant d'arriver à M. de la Mennais, on ne passait par M. de Maistre.

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V.

Le livre Du PAPE.

a dans la nature du talent du comte de Maistre un trait particulier que l'on retrouve dans tous ses ouvrages: c'est un génie, pour ainsi parler, prophétique. Il est toujours en avant des idées et des événements de son temps. Au point de vue intellectuel, c'est une qualité rare; au point de vue du succès pratique, c'est souvent un inconvénient. Le commun des esprits, c'est-à-dire le grand nombre, tient également en suspicion les penseurs qui s'attardent dans le passé et ceux qui s'aventurent dans l'avenir; quelquefois même il les confond. En voici la raison : s'il ne voit plus le passé qu'il a laissé derrière lui, il ne voit pas encore l'avenir qui est en avant et également hors de la portée de son regard; il veut que les intelligences

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