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torien retrouve quelque chose de l'àpreté gibeline toutes les fois qu'il s'agit de juger la conduite des papes, et les idées du dix-huitième siècle, qui dominent son esprit, achèvent de le rendre involontairement partial. C'est en étudiant M. Guizot que nous chercherons à faire connaître une école dont il représente au plus haut degré les qualités, en n'offrant que l'expression atténuée de ses défauts.

A la tête des historiens qui retracèrent la révolution française de 1815 à 1830, nous rencontrerons MM. Thiers et Mignet avant eux cependant, madame de Staël avait publié ses Considérations sur la Révolution française.

Histoire générale.

III.

M. Guizot: Cours d'histoire moderne.

La grande influence historique sous la restauration fut, sans contredit, celle de M. Guizot. La pénétration naturelle de son esprit, la direction de ses études précédentes, la gravité et la sobriété de son style le rendaient éminemment propre à cette tâche, à laquelle l'avait préparé l'enseignement dont il avait été chargé dans l'université impériale. Sa rapide initiation aux affaires lors de la restauration de 1814, et la part qu'il y avait eue pendant les premières années qui suivirent la restauration de 1815, avaient ajouté à sa perspicacité naturelle les lumières acquises de l'expérience. Quelque clairvoyant que soit l'esprit d'un historien, il

y a des choses qu'on ne comprend complétement dans l'histoire qu'après avoir vu les intérêts et les passions en jeu, et avoir été mêlé à leurs luttes. Les affaires ont toujours été une excellente préparation à l'étude de l'histoire, parce qu'elles montrent dans toute sa vérité l'homme, cet acteur perpétuel qui ne change guère, tout en changeant souvent de drames et de théâtres. On apprend, dans ce vivant commentaire, à comprendre le passé qu'on n'aperçoit que dans le lointain, comme un tableau dont les lignes sont altérées et dont les couleurs ont pâli. C'est ici la vie qui explique la mort, tandis que, dans les sciences anatomiques, la mort explique la vie. A l'époque de la première restauration, M. Guizot avait occupé une place importante: M. Royer-Collard l'avait désigné au choix de M. l'abbé de Montesquiou, pour remplir, auprès de lui, les fonctions de secrétaire général du ministère de l'intérieur; situation précieuse pour un écrivain appelé à écrire l'histoire, car tous les ressorts du gouvernement au dedans viennent aboutir au centre où ce fonctionnaire est placé. Pendant les cent-jours, M. Guizot s'était tenu à l'écart, et même, au mois de mai 1815, il fit un voyage à Gand et fut reçu par le roi Louis XVIII. A la seconde restauration, en juillet 1815, il fut nommé secrétaire général du ministère de la justice, dont le portefeuille était alors confié à M. de Barbé-Marbois; fonctions non moins importantes que les premières, et non moins fécondes en enseignements pratiques, surtout au début d'un régime nouveau et le lendemain

des cent-jours. Il les perdit en 1816, lorsque M. de Barbé-Marbois dut se retirer devant la défaveur de la chambre de 1815; mais il demeura maître des requêtes au conseil d'État, et soit en cette qualité, soit comme conseiller d'État, depuis 1818, il prit une part active aux affaires, depuis l'ordonnance du 5 septembre 1816, et ne rentra dans la vie privée qu'en 1820, à l'époque où la réaction qui se fit dans l'opinion, après l'assassinat du duc de Berry, amena un ministère nouveau qui raya du conseil d'État MM. Royer-Collard, Camille Jordan et de Barante. On voit que l'initiation de M. Guizot aux affaires avait duré près de cinq ans. Il avait vingtsept ans quand il quitta l'étude de l'histoire pour la pratique du gouvernement, trente-deux ans quand il abandonna les affaires pour retourner à l'histoire. On remarquera, en outre, que M. Guizot se trouvait engagé dans les rangs d'une école politique qui, dans les derniers temps où elle avait dirigé les affaires, s'était vue obligée, par les nécessités de sa situation parlementaire affaiblie, de faire des concessions à la gauche, pour remplacer les pertes éprouvées par le ministère dans le centre droit, à l'époque où plusieurs hommes éminents, qui avaient marché jusque-là avec cette école, s'en séparèrent. Nous constatons ce fait, non pour jeter du doute sur la haute impartialité de l'historien, mais pour bien faire connaître la situation de l'homme, qui, à son insu, exerce toujours de l'influence sur les idées de l'écrivain. C'est trop attendre de la faiblesse humaine, que d'exiger qu'un homme mêlé à la poli

tique, soit comme membre de l'administration pendant un temps, soit ensuite comme publiciste de l'opposition, se dépouille complétement, dans sa chaire de professeur, des sentiments et des émotions qu'il rapporte de ces luttes politiques; ces prodiges d'abstraction ne se rencontrent jamais dans la réalité. Tout ce qu'on peut espérer, c'est qu'il aura le goût de l'impartialité, le sentiment de la gravité de ses fonctions, la modération et la dignité de langage qu'elles comportent, et qu'il évitera les occasions de mêler les questions ardentes de la politique du jour aux questions théoriques du passé. Or, personne ne peut refuser ce témoignage à M. Guizot.

Il rentrait donc dans ses travaux historiques avec ces deux caractères : celui d'un homme qui a passé par les affaires, celui d'un homme qui appartient aux doctrines de l'opposition. Son influence sur les esprits s'exerça par deux leviers à la fois, l'enseignement oral et l'enseignement écrit; ce qui contribua encore à la rendre plus puissante. La parole écrite, c'est-àdire traduite, quel que soit son ascendant, n'égalera jamais l'influence de la parole vivante qui, toute vibrante de l'émotion qui l'a inspirée, et toute chaude encore de l'étreinte de l'âme, sort de la bouche de l'orateur pour arriver sans intermédiaire à son auditoire. L'accent, le regard, le geste, la physionomie, mettent l'âme même de celui qui parle en communication avec l'âme de celui qui écoute. Quand M. Guizot, avec son geste noble et sévère, son accent pénétrant

et grave, son regard profond et sa physionomie austère qui s'illuminait comme un foyer aux clartés de son intelligence, déroulait les enseignements de l'histoire devant l'élite de la jeunesse française, il produisait sur elle une impression que ses livres, quelque remarquables qu'ils fussent, n'eussent pas produite au même degré. Le sujet qu'il avait choisi prêtait merveilleusement à cette éloquence mêlée d'érudition et de philosophie, de hautes généralités et d'observations ingénieuses et profondes, qui était le caractère de son talent: il développait dans son enseignement l'histoire du gouvernement représentatif dans les divers États de l'Europe, depuis la chute de l'empire romain. Cette histoire, tout en remontant dans le lointain du passé, avait un attrait facile à comprendre pour les générations nouvelles qui se pressaient au cours de M. Guizot. Abritées pour toujours sous l'arbre, c'était du moins leur foi à cette époque, elles aimaient à suivre dans les siècles écoulés la lente germination de la graine dont il était sorti, les vicissitudes qu'il avait dû traverser, les tempêtes qui l'avaient assailli, avant qu'il parvint à cette hauteur qui faisait leur admiration, leur espérance et leur orgueil. Après être descendues avec le professeur dans les profondeurs du sol historique pour étudier ses racines, elles remontaient enthousiastes et le cœur léger, parce qu'elles se croyaient plus certaines de sa durée. C'était le temps où les luttes engagées sur les principes du gouvernement représenlatif, son étendue, ses limites, ses conditions, ses ga

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