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LIVRE VII.

I.

Religion.

Dans presque tous les temps où l'activité de la pensée humaine a pu s'appliquer librement à la religion, il y a eu une littérature religieuse. Nous entendons par ce mot la forme littéraire sous laquelle se manifeste extérieurement le travail de l'intelligence s'appliquant aux plus hautes questions qui puissent occuper l'esprit humain, soit qu'il enseigne, soit qu'il discute. On se souvient du merveilleux épanouissement de la littérature religieuse au dix-septième siècle, quand Bossuet élevait l'éloquence sacrée à sa plus haute expression dans l'oraison funèbre, et la langue française à une majesté de pensée, à un éclat d'images et à une harmonie de rhythme dont rien jusque-là n'avait donné une idée, et lorsque, dans les Variations, il offrait le modèle achevé de la polémique religieuse et du style simple, ferme, nerveux, énergique qui lui convient. A la même époque, Arnauld et Nicole, dans leur livre De la Perpé

tuité de la foi, présentaient un bel exemple des qualités littéraires que l'on doit rencontrer dans l'exposition des dogmes; Bourdaloue trouvait la langue du sermon avec son enchaînement rigoureux de preuves, ses beautés logiques et sévères tirées du fonds des idées, son austère simplicité, sa véhémence contenue; Pascal, dans ses Pensées, faisait prendre à son style le même essor qu'à son intelligence; Fénelon, dans ses Lettres spirituelles, montrait la délicatesse d'analyse, l'onction, la douceur que la prose française peut atteindre; Fléchier, dans l'exorde de l'Oraison funèbre de Turenne, découvrait la prosodie de cette prose, et l'égalait, pour le nombre, la cadence, l'harmonie, à la poésie la plus parfaite. L'oraison funèbre, le sermon, l'exposition dogmatiquc, la polémique, et même le pamphlet, dans ce regrettable chef-d'œuvre des Provinciales, firent briller, dans le dix-septième siècle, la littérature religieuse du plus vif éclat.

Vers la fin du dix-huitième, cet éclat s'était obscurci. D'autres idées, des idées contraires avaient prévalu, et il semble que les orateurs et les écrivains religieux eussent perdu, non pas la foi dans les vérités divines, mais l'espoir de les faire prévaloir dans l'esprit des contemporains; et, avec cet espoir, la verve de raisonnement et de style qui donne la vie aux œuvres de l'esprit. Ils savaient d'avance qu'ils parlaient, qu'ils écrivaient pour des auditeurs, pour des lecteurs malveillants. Ils remplissaient tristement et inutilement un devoir sacré. Sauf le missionnaire Bridaine, dans la

chaire, le père Guinard, cartésien éloquent, et l'abbé Guenée qui, dans les Lettres de quelques juifs, osa prendre à partie Voltaire, on n'a guère rien à citer. La littérature religieuse ne put soutenir, sous l'empire, l'essor qu'elle avait pris au commencement du siècle. La liberté manqua bientôt à la polémique, à l'exposition, et même, comme on l'a vu, à la chaire. La main qui avait ouvert les églises, en avait gardé les clefs. Ce n'est point dans le temps où le ministre de la police voulait obliger M. Frayssinous à faire l'éloge de la conscription dans la chaire, que la littérature religieuse pouvait avoir cet éclat, cette puissance, qui ne sauraient exister sans la liberté.

Avec la restauration, la liberté de la chaire, du sermon, de l'exposition, de la polémique religieuse, renaissait. M. Frayssinous allait rentrer dans la plénitude des droits de l'orateur sacré. La plume de M. de la Mennais cessait d'être captive. Les faits, les idées redevenaient accessibles aux méditations, aux discussions des orateurs et des écrivains religieux. Il pouvait donc y avoir une littérature religieuse. Pour bien apprécier la manifestation de l'esprit français dans cette sphère, pendant cette phase de quinze années, il importe de bien préciser le mouvement des idées religieuses à la même époque. L'étude de la question de la forme serait incomplète et stérile, si on la séparait de l'étude de la question du fond.

II.

Mouvement des idées religieuses. Les idées romaines et les idées gallicanes. Indices d'une lutte.

Dès les premières années de la restauration, il se manifesta, parmi les écrivains religieux et, en particulier, parmi ceux qui appartenaient au clergé, une grave dissidence sur la question traitée avec tant d'éclat par le comte Joseph de Maistre dans le livre Du Pape, et cette dissidence exerça une influence marquée sur le mouvement des idées religieuses. Il y avait, dans la manière dont la restauration s'était accomplie, une source d'inconvénients qu'on retrouvait partout : comme c'était à l'occasion d'une situation extérieure que la royauté était revenue pour délivrer la France d'une invasion et assurer la paix au monde, et comme elle succédait à un régime de dictature dans le pouvoir, de silence dans le public, il était difficile, pour ne pas dire impossible, de savoir dans quelle mesure il fallait innover, dans quelle mesure conserver. En toutes choses, on bâtissait au jugé, si l'on peut s'exprimer ainsi, et l'on résolvait les problèmes à tâtons. C'est ainsi que la restauration qui revint, après une révolution qui avait si profondément changé tous les rapports, reparut avec le cortége des idées gallicanes. Il faut être juste, cela était naturel : ces idées, du moins dans leur expression la plus arrêtée, se rattachaient à la tradition du règne de Louis XIV, naturellement cher aux

Bourbons; et, d'un autre côté, la plus grande partie du clergé français était alors attachée à ces idées, et le grand nom de Bossuet, cet éternel honneur de l'Église de France, semblait les couvrir, aux yeux de l'épiscopat français, de sa gloire aussi éclatante que méritée.

Il aurait fallu avoir un regard presque divinateur pour apercevoir que les idées gallicanes, dont les rois avaient désiré le développement à certaines époques de notre histoire, avaient perdu, au point de vue politique, l'importance qu'ils y avaient attachée, et qu'au point de vue religieux, tout ce qui pourrait rendre, entre le chef de l'Église et le clergé français, l'union plus cordiale et plus intime, rapprocher le troupeau du pasteur universel, en faisant tomber d'anciens ombrages, serait avantageux à la religion. L'expérience devait révéler une autre vérité qu'il était également difficile de découvrir, à cette époque : c'est que, bien qu'il soit très-important pour l'autorité séculière que la religion règne dans le pays et qu'elle s'y développe, et qu'il soit aussi très-utile pour la religion que le pouvoir le plus conforme aux traditions du pays et aux principes du droit gouverne la société, qui, par cela même, devient plus morale, plus ouverte aux bonnes influences, il y a cependant des milieux où cette communauté d'intérêts, qui est éternelle, doit s'exprimer sous une forme qui n'ait rien de commun avec cette solidarité complète qui existait au moyen âge. On est obligé de prendre en considération l'état moral et intellectuel de la société, afin que la ma

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