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DE

LA LITTÉRATURE

SOUS LA RESTAURATION.

LIVRE SIXIÈME.

I.

Histoire.

Rien de plus important dans la littérature que l'histoire, surtout dans un temps et dans un pays où des libertés politiques étendues font pénétrer l'action des citoyens dans les affaires publiques. L'histoire et la philosophie sont les deux sources principales d'où sortent les sentiments et les idées de chaque époque : or, qui est maître des sources, est en même temps maître du cours des eaux. Il était indiqué qu'avec la restauration, sous un régime qui fondait des libertés jusque-là inconnues en France, et donnait l'essor à des idées toutes nouvelles, l'histoire serait étudiée à des points de vue nouveaux, et que les jeunes générations

ne se contenteraient point des études historiques antérieures à la révolution, et faites par des hommes qui, en envisageant le même sujet, n'y avaient point cherché ce que nous y cherchons. Il était donc d'un grand intérêt de savoir par quelle école seraient écrits les ouvrages historiques qui, par la double autorité du talent dans la forme, de la nouveauté des recherches et des aperçus dans le fond, deviendraient comme des réservoirs intellectuels où s'alimenterait l'esprit des générations nouvelles. Cette question, importante pour l'histoire générale, le devenait encore plus pour l'histoire de France, et, en particulier, pour les temps de cette histoire qui avaient précédé plus immédiatement notre temps. Le présent a son origine dans le passé, et la manière dont on apprécie l'époque où se sont formés les courants exerce une influence décisive sur la direction des idées et des faits dans l'époque suivante. Or il y avait une phase récente dont l'histoire était encore à écrire au moment où la restauration s'accomplit. Les livres qu'on avait publiés jusque-là sur la révolution française étaient assez semblables aux derniers boulets que deux armées ennemies échangent en s'éloignant. On avait tour à tour exalté ou maudit la révolution, et apporté des témoignages sur ses diverses phases; on ne l'avait ni racontée, ni expliquée, ni jugée. Les Considérations de Joseph de Maistre, quoique remplies d'aperçus admirables, ne pouvaient tenir lieu d'une histoire; et les questions de circonstance qui se trouvaient mêlées, dans cet ou

vrage, aux questions générales et permanentes, nuisaient à son effet et l'avaient déjà vieilli. Les premiers ouvrages où la révolution française serait racontée, expliquée et jugée de haut et avec talent, devaient donc exercer une influence considérable sur les esprits.

Or, une observation se présente, quand on embrasse d'un regard les diverses écoles historiques de 1815 à 1830 dans cette période, l'école monarchique et catholique ne produisit pas de grand historien. Les quatre écrivains les plus éminents qui la représentèrent ne tournèrent point leurs efforts intellectuels de ce côté. M. de Chateaubriand, ce peintre puissant qui aurait pu présenter les tableaux de l'histoire de France d'une manière si colorée et si dramatique, et qui, en particulier, eût retracé la révolution française avec l'autorité d'un témoin oculaire, jointe à celle de ce talent qui fait revivre les scènes qu'il décrit, n'aborda l'histoire que par aperçus les luttes de la politique ou les affaires du gouvernement l'absorbèrent tout entier. M. de Bonald, dont l'esprit si philosophique aurait saisi et déroulé avec tant de vigueur la synthèse de l'histoire de la France, consuma sa vie dans la polémique soulevée par les questions à l'ordre du jour, et dans les débats de la philosophie. Joseph de Maistre, qui lisait d'un regard si sûr dans la marche des événements humains, consacra ses dernières années à son grand ouvrage sur les Soirées de Saint-Pétersbourg; et M. de la Mennais appliqua toutes les forces de son esprit aux questions théologiques et à la philosophie religieuse.

Il arriva donc que, dans une société catholique et monarchique, aucun des ouvrages hors ligne qui, avec la double autorité du savoir et du talent, fixèrent les idées sur l'histoire, ne sortit de cette grande école qui maintenait, de la manière la plus ferme, le principe d'autorité en religion comme en politique. Les ouvrages où la génération nouvelle alla chercher ses idées historiques furent écrits, soit par des hommes de l'école intermédiaire, soit par des hommes de la révolution. Ce fut un fait grave et dont les conséquences furent considérables.

Est-ce à dire que les travaux historiques de l'époque de la restauration, manquant d'impartialité, n'aient été remarquables que par le talent? A Dieu ne plaise. Ce furent des esprits élevés, studieux, vraiment critiques, désireux de découvrir la vérité, et décidés à la dire, qui écrivirent la plupart des grands ouvrages historiques de cette époque. Mais, quelque impartial que soit un historien, il est presque impossible que le tour naturel de son esprit et la tendance de ses opinions n'exercent pas une influence sur son jugement, surtout s'il appartient à un temps de luttes et de polémiques. Nous jugeons tous un peu le passé à travers nos passions et nos émotions contemporaines, et il est bien difficile de s'abstraire stoïquement de la préoccupation des débats auxquels on prend part, et de ne pas accorder, dans l'histoire, une préférence involontaire à l'élément social dont on a embrassé la cause ou auquel on appartient. Plus l'époque dont on

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