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JE

Ce 31 mai 1724.

E n'oublierai jamais, Monfieur, les obligations infinies que je vous ai. Votre bon cœur eft encore bien au-dessus de votre efprit, et vous êtes l'ami le plus effentiel qui ait jamais été. Le zèle avec lequel vous m'avez fervi, me fait en quelque forte plus d'honneur que la malice et la noirceur de mes ennemis ne m'a caufé d'affront par l'indigne traitement qu'ils m'ont fait fouffrir. Il faut fe retirer pendant quelque temps. Fallax infamia terret.

J'ai une lettre de cachet qui m'exile à trente lieues de Paris. C'eft avec plaifir que je vais chercher la folitude; mais je fuis bien fâché que cette retraite me foit ordonnée. C'est un refte de triomphe pour les malheureux auteurs de ma difgrâce. Je confens d'aller en

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(*) Ces vers font autant d'honneur au prince de Conti qu'en a fait à la Motte fon approbation d'Oedipe. Ils annoncèrent tous deux à la France un digne fucceffeur de Corneille et de Racine, et jamais prophétie ne fut mieux accomplie.

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province, et j'y vais très-volontiers. Mais tâchez, Monfieur, de faire enforte que l'ordre du roi soit levé par une autre lettre de cachet en cette forme :

Le roi, informé de la fauffeté de l'accufation intentée contre le fieur abbé Desfontaines, confent qu'il demeure à Paris.

Si vous obtenez cet ordre de M. de Maurepas, c'est un coup effentiel. Au furplus je promets, parole d'honneur, à M. de Maurepas, de m'en aller inceffamment, et de ne point revenir à Paris qu'après lui en avoir demandé la permiffion fecrétement.

Voilà, mon cher ami, ce que je vous prie à présent d'obtenir pour moi. Je vous aurai encore une obligation infinie de ce nouveau fervice. C'est, à mon gré, ce qu'on peut faire de plus fimple pour réparer le scandale et l'injuftice, en attendant que je puiffe faire mieux et que j'aye les lumières néceffaires pour découvrir les refforts cachés de l'horrible intrigue de mes ennemis. Malgré la noirceur de l'accusation et le penchant du public à croire tous les accufés coupables, j'ai la fatisfaction de voir les personnes même indifférentes prendre mon parti. Les Nadal, les Danchet, les de Pons, les Fréret font les feuls, dit-on, qui traitent ma perfonne comme toute ma vie je traiterai leurs infames ouvrages et leur indigne caractère. Genus irritabile vatum.

J'ai un plan d'apologie qui fera beau et curieux, et que je travaillerai à la campagne. Je fuis trop connu dans le monde pour qu'il convienne à un homme comme moi de me taire après un fi exécrable affront; et je le ferai de façon que j'aurai l'honneur de le préfenter à M. de Maurepas pour le prier de me permettre de le faire paraître. On y verra tout ce qui m'eft arrivé de malheureux, et mes malheurs toujours caufés par des gens de lettres, furtout l'hiftoire de ma fortie des jéfuites.

Adieu, mon cher ami, je me recommande à vous. Desfontaines.

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LETTRE

DU SIEUR DE MOULIN,

de

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Nous vous remercions très-humblement de toutes vos bontés, et des facilités que vous voulez bien nous accorder pour vous payer. Nous en conferverons un précieux fouvenir, et nous vous en marquerons notre vive reconnaiffance dans toutes les occafions. Votre créance eft bien affurée, et nous vous prions d'être perfuadé que nous l'acquitterons le plutôt qu'il nous fera poffible. Je fuis en avance dans plufieurs bonnes affaires, et notre zèle à obliger eft caufe que nous ne fommes pas à notre aife.

Vous me rendez juftice, Monfieur, en ne me croyant point coupable d'aucune mauvaise intention. J'ose même vous protefter que jamais je n'en ai eu et que jamais amant n'a aimé plus tendrement une maîtreffe, que je vous ai toujours aimé, malgré tout ce qui eft arrivé. J'ai des vivacités, il eft vrai; vous me les avez fouvent reprochées avec raison, mais je ne le cède à perfonne pour la droiture de cœur, la pureté des intentions et la fidelle exécution, quand il s'agit de rendre service.

Je fais qu'on m'a fort calomnié, et je fais encore que les perfonnes qui déclamaient le plus contre moi, en vous quittant venaient au logis pour m'animer contre vous. Depuis ce temps-là j'ai rendu à une de ces perfonnes, des fervices affez confidérables; et fi les occafions

fe préfentaient d'obliger les autres, je le ferais volontiers. C'eft la feule vengeance que je prétends en tirer.

Si vous me croyez utile à quelque chofe, et même dans ce qui peut exiger de la difcrétion, honorez-moi de vos commiffions, et foyez, je vous supplie, afsuré d'une prompte et fecrète expédition.

Ma femme vous affure de fes très-humbles refpects. J'ai l'honneur d'être avec un profond respect, Monfieur,

Votre très-humble, &c.

Demoulin.

Billet du même.

Je fouffigné reconnais que M. 'de Voltaire ayant prêté à ma femme et à moi la fomme de vingt-fept mille livres, et vu le mauvais état de nos affaires, ayant bien voulu fe reftreindre à la fomme de trois mille livres par contrat obligatoire, paffé entre nous chez Ballot, notaire, le 12 de juin 1736, il nous a remis et accordé 750 livres reftant des trois mille livres à payer, et m'en a donné une rétroceffion pleine et entière. Ce 19 de janvier 1743. Demoulin. (*)

(*) Voyez dans la Correfpondance générale une lettre de M. de Voltaire à la dame Demoulin, du mois de décembre 1738. On y trouvera auffi plufieurs lettres relatives à celles qui fuivent ici. Les tables des noms et des dates en faciliteront la recherche.

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Je vo

vous supplie d'excufer le mauvais état de ma fortune, et la fouftraction de tous mes papiers qui m'a empêché jusqu'ici de reconnaître le mauvais procédé de ceux qui ont abufé de mon malheur, pour me forcer à vous faire un procès injufte, et à laiffer imprimer un factum odieux. Je les défavoue tous deux entièrement. La malice de vos ennemis n'a fervi qu'à me faire connaître la bonté de votre caractère. Vous avez la bonté de me pardonner d'avoir écouté de mauvais confeils. Je vous jure que je m'en fuis repenti au moment même que j'ai eu le malheur d'agir contre vous. J'ai bien reconnu combien on m'avait trompé. Vous n'ignorez pas la jaloufie des gens de lettres; voilà à quoi elle s'eft portée. On m'a aigri, on s'eft fervi de moi pour vous nuire ; j'en fuis fi fâché que je vous promets de ne jamais voir ceux qui m'ont forcé à vous manquer à ce point; et je réparerai le tort extrême que j'ai eu, par l'attachement conftant que je veux vous vouer toute ma vie.

Je vous prie, Monfieur, de me rendre votre amitié, et de croire que mon cœur n'a jamais eu de part à la

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