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toutes les oppreffions, défendant, répandant toutes les vérités utiles.

L'hiftoire de ce qui s'eft fait en Europe en faveur de la raison et de l'humanité, eft celle de ses travaux et de les bienfaits. Si l'usage abfurde et dangereux d'enterrer les morts dans l'enceinte des villes, et même dans les temples, a été aboli dans quelques contrées; fi dans quelques parties du continent de l'Europe, les hommes échappent par l'inoculation à un fléau qui menace la vie et fouvent détruit le bonheur; fi le clergé des pays foumis à la religion romaine, a perdu fa dangereuse puiffance, et va perdre fes fcandaleufes richeffes; fi la liberté de la preffe y a fait quelques progrès; fi la Suède, la Ruffie, la Pologne, la Pruffe, les Etats de la maison d'Autriche ont vu difparaître une intolérance tyrannique; fi même en France, et dans quelques Etats d'Italie on a ofé lui porter quelques atteintes ; fi les reftes honteux de la fervitude féodale ont été ébranlés en Ruffie, en Danemarck, en Bohême et en France; fi la Pologne même en fent aujourd'hui l'injustice et le danger; fi les lois abfurdes et barbares de prefque tous les peuples, ont été abolies, ou font menacées d'une deftruction prochaine; fi par-tout on a fenti la néceffité de réformer les lois et les tribunaux; fi dans le continent de l'Europe les hommes ont fenti qu'ils avaient le droit de fe fervir de leur raifon; fi les préjugés religieux ont été détruits dans les premières claffes de la fociété, affaiblis dans les cours et dans le peuple; fi leurs défenfeurs ont été réduits à la honteuse néceffité d'en foutenir l'utilité politique; fi l'amour de l'huma

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nité eft devenu le langage commun de tous les gouvernemens; fi les guerres font devenues moins fréquentes; fi on n'ose plus leur donner pour prétexte l'orgueil des fouverains, ou des prétentions que la rouille des temps a couvertes; fi l'on a vu tomber tous les mafques impofteurs fous lefquels des caftes privilégiées étaient en poffeffion de tromper les hommes; fi pour la première fois la raison commence à répandre fur tous les peuples de l'Europe un jour égal et pur: partout dans l'hiftoire de ces changemens on trouvera le nom de Voltaire, prefque par-tout on le verra ou commencer le combat ou décider la victoire.

Mais obligé presque toujours de cacher fes inten→ tions, de mafquer fes attaques, fi fes ouvrages font dans toutes les mains, les principes de fa philofophie font peu connus.

L'erreur et l'ignorance font la caufe unique des malheurs du genre-humain, et les erreurs fuperftitieufes font les plus funeftes, parce qu'elles corrompent toutes les fources de la raifon, et que leur fatal enthoufiafme inftruit à commettre le crime fans remords. La douceur des mœurs, compatible avec toutes les formes de gouvernement, diminue les maux que la raison doit un jour guérir, et en rend les progrès plus faciles. L'oppreffion prend elle-même le caractère des mœurs chez un peuple humain; elle conduit plus rarement à de grandes barbaries; et dans un pays où l'on aime les arts, et furtout les lettres, on tolère par refpect pour elles la liberté de penfer qu'on n'a point encore le courage d'aimer pour elle-même.

Il faut donc chercher à infpirer ces vertus douces qui confolent, qui conduisent à la raison, qui font à la portée de tous les hommes, qui conviennent à tous les âges de l'humanité, et dont l'hypocrifie même fait encore quelque bien. Il faut furtout les préférer à ces vertus auftères qui dans les ames ordinaires ne fubfiftent guère fans un mélange de dureté dont l'hypocrifie eft à la fois fi facile et fi dangereufe; qui fouvent effraient des tyrans, mais qui rarement confolent les hommes, dont enfin la néceffité prouve le malheur des nations de qui elles

embelliffent l'hiftoire.

C'eft en éclairant les hommes, c'eft en les adouciffant qu'on peut efpérer de les conduire à la liberté par un chemin sûr et facile. Mais on ne peut espérer ni de répandre les lumières ni d'adoucir les mœurs, fi des guerres fréquentes accoutument à verfer le fang fans remords, et à mépriser la gloire des talens paisibles; fi, toujours occupés d'opprimer ou de se défendre, les hommes mefurent leur vertu par le mal qu'ils ont pu faire, et font de l'art de détruire le premier des arts utiles.

Plus les hommes feront éclairés, plus ils feront libres (*), et il leur en coûtera moins pour y parvenir. Mais n'avertiffons point les oppresseurs de former une ligue contre la raison, cachons-leur l'étroite et néceffaire union des lumières et de la liberté, ne leur apprenons point d'avance qu'un peuple fans préjugés eft bientôt un peuple libre.

Tous les gouvernemens, fi on en excepte les théocraties, ont un intérêt préfent de régner fur (*) Questions fur les miracles.

an

un peuple doux, et de commander à des hommes éclairés. Ne les avertiffons pas qu'ils peuvent avoir un intérêt plus éloigné à laiffer les hommes dans l'abrutiffement. Ne les obligeons pas à choifir entre l'intérêt de leur orgueil, et celui de leur repos et de leur gloire. Pour leur faire aimer la raison, il faut qu'elle fe montre à eux toujours douce, toujours paisible; qu'en demandant leur appui, elle leur offre le fien, loin de les effrayer par des menaces imprudentes. En attaquant les oppreffeurs avant d'avoir éclairé les citoyens, on rifquera de perdre la liberté et d'étouffer la raifon. L'hiftoire offre la preuve de cette vérité. Combien de fois, malgré les généreux efforts des amis de la liberté, une feule bataille n'a-t-elle pas réduit des nations à une servitude de plufieurs fiècles?

De quelle liberté même ont joui les nations qui l'ont recouvrée par la violence des armes, et non par la force de la raison? d'une liberté paffagère, et tellement troublée par des orages, qu'on peut prefque douter qu'elle ait été pour elles un véritable avantage. Prefque toutes n'ont-elles pas confondu les formes républicaines avec la jouiffance de leurs droits, et la tyrannie de plufieurs avec la liberté ? Combien de lois injuftes, et contraires aux droits de la nature, ont déshonoré le code de toutes les nations qui ont recouvré leur liberté dans les fiècles où la raifon était encore dans l'enfance?

Pourquoi ne pas profiter de cette expérience funefte, et favoir attendre des progrès des lumières une liberté plus réelle, plus durable et plus paifible? pourquoi acheter par des torrens de fang, par des boulever

femens inévitables, et livrer au hafard ce que le temps doit amener furement et fans facrifice? C'eft pour être plus libre, c'eft pour l'être toujours qu'il faut attendre le moment où les hommes, affranchis de leurs préjugés, guidés par la raison, feront enfin dignes de l'être, parce qu'ils connaîtront les véritables droits de la liberté.

Quel fera donc le devoir d'un philofophe? Il attaquera la fuperftition, il montrera aux gouvernemens la paix, la richesfe, la puiffance, comme l'infaillible récompenfe des lois qui affurent la liberté religieufe, il les éclairera fur tout ce qu'ils ont à craindre des prêtres dont la fecrète influence menacera toujours le repos des nations où la liberté d'écrire n'eft pas entière car peut-être avant l'invention de l'imprimerie était-il impoffible de fe fouftraire à ce joug auffi honteux que funefte; et tant que l'autorité facerdotale n'eft pas anéantie par la raifon, il ne refte point de milieu entre un abrutiffement abfolu et des troubles dangereux.

Il fera voir que fans la liberté de penfer le même efprit, dans le clergé, ramènerait les mêmes affaffinats, les mêmes fupplices, les mêmes profcriptions, les mêmes guerres civiles; que c'eft feulement en éclairant les peuples qu'on peut mettre les citoyens et les princes à l'abri de ces attentats facrés. Il montrera que des hommes qui veulent fe rendre les arbitres de la morale, fubftituer leur autorité à la raifon, leurs oracles à la confcience, loin de donner à la morale une base plus folide en l'unissant à des croyances religieufes, la corrompent et la détruifent, et cherchent non à rendre les hommes

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