Page images
PDF
EPUB

Il y trouva le vieux Caumartin, vieillard respectable, paffionné pour Henri IV et pour Sulli, alors trop oubliés de la nation. Il avait été lié avec les hommes les plus inftruits du règne de Louis XIV, favait les anecdotes les plus fecrètes, les favait telles qu'elles s'étaient paffées, et fe plaifait à les raconter. Voltaire revint de Saint-Ange, occupé de faire un poëme épique dont Henri IV ferait le héros, et plein d'ardeur pour l'étude de l'hiftoire de France. C'eft à ce voyage que nous devons la Henriade et le Siècle de Louis XIV.

Ce prince venait de mourir. Le peuple, dont il avait été fi long-temps l'idole, ce même peuple qui lui avait pardonné fes profufions, fes guerres et fon defpotifme, qui avait applaudi à fes perfécutions contre les proteftans, infultait à fa mémoire par une joie indécente. Une bulle follicitée à Rome contre un livre de dévotion, avait fait oublier aux Parifiens cette gloire dont ils avaient été fi long-temps idolâtres. On prodigua les fatires à la mémoire de Louis le grand, comme on lui avait prodigué les panégyriques pendant fa vie. Voltaire accusé d'avoir fait une de ces fatires, fut mis à la bastille : elle finiffait par ce vers :

J'ai vu ces maux, et je n'ai pas vingt ans.

Il en avait un peu plus de vingt-deux; et la police regarda cette espèce de conformité d'âge comme une preuve fuffifante pour le priver de fa liberté.

C'eft à la bastille que le jeune poëte ébaucha le poëme de la Ligue, corrigea fa tragédie d'Oedipe, commencée long-temps auparavant, et fit une pièce

de vers fort gaie fur le malheur d'y être. M. le duc d'Orléans, inftruit de fon innocence, lui rendit fa liberté, et lui accorda une gratification.

Monfeigneur, lui dit Voltaire, je remercie votre Alteffe royale de vouloir bien continuer à se charger de ma nourriture, mais je la prie de ne plus fe charger de mon logement.

La tragédie d'Oedipe fut jouée en 1718. L'auteur n'était encore connu que par des pièces fugitives, par quelques épîtres où l'on trouve la philofophie de Chaulieu, avec plus d'efprit et de correction, et par une ode qui avait difputé vainement le prix de l'académie française. On lui avait préféré une pièce ridicule de l'abbé du Jarri. Il s'agiffait de la décoration de l'autel de Notre-Dame, car Louis XIV s'était fouvenu, après foixante et dix ans de règne, d'accomplir cette promeffe de Louis XIII; et le premier ouvrage en vers férieux que Voltaire ait publié, fut un ouvrage de dévotion.

Né avec un goût sûr et indépendant, il n'aurait pas voulu mêler l'amour à l'horreur du fujet d'Oedipe, et il ofa même présenter fa pièce aux comédiens fans avoir payé ce tribut à l'usage; mais elle ne fut pas reçue. L'affemblée trouva mauvais que l'auteur osât réclamer contre fon goût. Ce jeune homme mériterait bien, difait Dufresne, qu'en punition de fon orgueil on jouât fa pièce avec cette grande vilaine fcène traduite de Sophocle.

Il fallut céder, et imaginer un amour épifodique et froid. La pièce réuffit; mais ce fut malgré cet amour : et la fcène de Sophocle en fit le fuccès. La Motte, alors le premier homme de la littérature, dit,

dans fon approbation, que cette tragédie promettait un digne fucceffeur de Corneille et de Racine; et cet hommage rendu par un rival dont la réputation était déjà faite, et qui pouvait craindre de se voir surpassé, doit à jamais honorer le caractère de la Motte.

Mais Voltaire, dénoncé comme un homme de génie et comme un philofophe à la foule des auteurs médiocres, et aux fanatiques de tous les partis, réunit dès-lors les mêmes ennemis dont les générations renouvelées pendant foixante ans, ont fatigué et trop souvent troublé fa longue et glorieuse carrière. Ces vers fi célèbres

Nos prêtres ne font pas ce qu'un vain peuple pense; . Notre crédulité fait toute leur fcience.

furent le premier cri d'une guerre que la mort même de Voltaire n'a pu éteindre.

A une représentation d'Oedipe, il parut fur le théâtre portant la queue du grand-prêtre. La maréchale de Villars demanda qui était ce jeune homme qui voulait faire tomber la pièce. On lui dit que c'était l'auteur. Cette étourderie, qui annonçait un homme fi fupérieur aux petiteffes de l'amour propre, lui inspira le défir de le connaître. Voltaire, admis. dans fa fociété, eut pour elle une paffion, la première et la plus férieuse qu'il ait éprouvée. Elle ne fut pas heureuse, et l'enleva pendant affez long-temps à l'étude qui était déjà son premier besoin; il n'en parla jamais depuis qu'avec le fentiment du regret et prefque du remords.

Délivré de fon amour, il continua la Henriade,

et fit la tragédie d'Artémire. Une actrice formée par lui, et devenue à la fois fa maîtreffe et fon élève, joua le principal rôle. Le public qui avait été juste pour Oedipe, fut au moins févère pour Artémire; effet ordinaire de tout premier fuccès. Une aversion fecrète pour une fupériorité reconnue n'en est pas la feule cause, mais elle fait profiter d'un fentiment naturel qui nous rend d'autant moins faciles que nous espérons davantage.

Cette tragédie ne valut à Voltaire que la permiffion de revenir à Paris, dont une nouvelle calomnie et fes liaisons avec les ennemis du régent, et entre autres avec le duc de Richelieu et le fameux baron de Gortz, l'avaient fait éloigner. Ainfi cet ambitieux dont les vaftes projets embraffaient l'Europe, et menaçaient de la bouleverfer, avait choifi pour ami, et presque pour confident, un jeune poëte: c'est que les hommes fupérieurs fe devinent et fe cherchent, qu'ils ont une langue commune qu'eux feuls peuvent parler et entendre.

En 1722, Voltaire accompagna madame de Rupelmonde en Hollande. Il voulait voir, à Bruxelles, Rousseau dont il plaignait les malheurs, et dont il eftimait le talent poëtique. L'amour de fon art l'emPortait fur le jufte mépris que le caractère de Rouffeau devait lui infpirer. Voltaire le confulta fur fon poëme de la Ligue, lui lut l'Epître à Uranie, faite pour madame de Rupelmonde, et premier monument de fa liberté de penfer, comme de fon talent pour traiter en vers et rendre populaires les queftions de métaphyfiques ou de morale. De fon côté, Rousseau lui récita une Ode à la postérité, qui, comme Voltaire

le lui dit alors, à ce qu'on prétend, ne devait pas aller à fon adreffe; et le Jugement de Pluton, allégorie fatirique, et cependant auffi promptement oubliée que l'ode. Les deux poëtes fe féparèrent ennemis irréconciliables. Rousseau se déchaîna contre Voltaire, qui ne répondit qu'après quinze ans de patience. On eft étonné de voir l'auteur de tant d'épigrammes licencieuses, où les miniftres de la religion font continuellement livrés à la rifée et à l'opprobre, donner férieusement, pour caufe de fa haine contre Voltaire, fa contenance évaporée pendant la messe, et l'Epître à Uranie. Mais Rouffeau avait pris le mafque de la dévotion; elle était alors un afile honorable pour ceux que l'opinion mondaine avait flétris, afile sûr et commode que malheureusement la philofophie, qui a fait tant d'autres maux, leur a fermé depuis fans retour.

celui

En 1724, Voltaire donna Mariamne. C'était le fujet d'Artémire fous des noms nouveaux, avec une intrigue moins compliquée et moins romanefque ; mais c'était furtout le ftyle de Racine. La pièce fut jouée quarante fois. L'auteur combattit, dans la préface, l'opinion de la Motte qui, né avec beaucoup d'efprit et de raison, mais peu fenfible à l'harmonie, ne trouvait dans les vers d'autre mérite de la difficulté vaincue, et ne voyait dans la poëfie qu'une forme de convention, imaginée pour foulager la mémoire, et à laquelle l'habitude feule fefait trouver des charmes. Dans fes lettres imprimées à la fin d'Oedipe, il avait déjà combattu le même poëte qui regardait la règle des trois unités comme un autre préjugé,

que

« PreviousContinue »