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d'eux se sent exister. Recherchons après cela si Dieu ou l'homme existe individuellement. Si c'est Dieu, ne nous occupons plus de l'homme; comme tout le reste, il est en Dieu, et comme Dieu veut qu'il soit. Si c'est l'homme, déduisons de sa réalité, son essence, son devoir et l'ordre éternel. Et dès lors, deux et deux feront bien réellement quatre, puisque un, qui répété quatre fois prend cette dénomination, est réel.

ABÊTIR (S').

Pascal a dit que, pour se rendre propre à croire, il fallait commencer par s'abêtir. C'est vrai pour accepter, sans le vérifier, en d'autres termes, sans le soumettre au creuset de l'examen, un fait ou un raisonnement posé par d'autres, il faut avoir fait soimême abnégation de la raison. « La foi est un don, disent les croyants, demandez-la à Dieu, et il vous l'accordera; priez et vous croirez. » Fort bien, répondrons-nous, mais la prière est déjà un acte de foi, et la croyance en Dieu implique l'inutilité de demander à y croire.

Restent les questions de savoir si la foi sociale, c'est-à-dire si l'abêtissement de toute une société n'est pas nécessaire à l'établissement et au maintien de l'ordre dans cette société pendant l'époque d'ignorance de la vérité; si, pendant cette époque, l'abêtissement ou la renonciation sociale à l'usage de la raison, ne finit pas par devenir impossible; enfin si la démonstration de la vérité n'est pas le seul moyen d'ordre et de conservation, après que la foi a succombé devant l'impossibilité sociale de comprimer la libre discussion.

ABOLITION.

Le socialisme absurde de nos jours procède par d'absurdes abolitions.

Si l'on prend le mot mariage dans le sens de contact nécessairement prolongé entre deux êtres susceptibles d'intelligence, contact indispensable pour qu'il en surgisse le développement du langage, condition sine quâ non de la conscience individuelle, du sentiment de soi, la suppression, supposée possible, du mariage serait celle de la société, de l'humanité. L'abolition de la famille serait l'élimination de l'élément social. L'abolition de la propriété serait la négation de la personnalité réalisée. L'abolition de la concurrence entraînerait après elle celle de la liberté. L'abolition du salaire, rétribution du travail, serait l'abolition du travail même, demeuré sans stimulant et sans but.

Ce qu'il faut abolir, c'est l'organisation défectueuse de la propriété, de la famille et du mariage, afin que ce soient, non comme aujourd'hui, des

moyens de corruption et des causes de désordre, mais des garanties essentielles pour la conservation de la société. Ce qu'il faut abolir, c'est la rétribution du salaire faite arbitrairement par le fort au faible, c'est le prolétariat. Mais pour cela, il faut abolir avant tout l'ignorance qui rend la domination de la force nécessaire, le triomphe de la justice impossible. Car il n'y a exclusivement que deux moyens d'ordre, la force et la raison : nous défions de signaler un troisième principe organisateur. Aussi longtemps que la société ne possédera pas la raison, elle devra conserver la force, et la conserver soigneusement, sous peine d'anarchie, de mort. Vouloir donc l'abolition de la force, actuellement que la société avoue sa complète ignorance quant à la raison, c'est vouloir l'abolition de la société actuelle.

ABSOLU. Indépendant, existant par lui-même; l'opposé de relatif.

Il faut affirmer de l'absolu (s'il y a réellement un absolu) qu'il est tout ce que le relatif n'est pas. Il faut dire qu'il est indépendant, éternel, immatériel, hors de toute possibilité de succession et de division, sans modification ni qualification d'aucune sorte.

Il n'y a d'absolu possible, au propre, que les âmes; au figuré, que les vérités qui en sont déduites par enchaînement d'identités.

- La négation de l'absolu (et au point de vue des connaissances actuellement acquises à la société, l'absolu est nécessairement nié) équivaut à la négation de toute réalité, de toute intelligence et de toute liberté réelles. L'homme qui n'existe pas par lui-même, qui n'est pas, par essence, absolument indépendant, qui est le résultat de la volonté de Dieu, son auteur, ou d'une combinaison de la matière, ne diffère plus que par sa forme accidentelle du chien qu'il nourrit, des légumes qu'il cultive et des matériaux dont il se bâtit une maison.

ABSOLU (Raisonnement). Raisonnement qui part d'un principe incontestable, et qui y ramène, par un enchaînement de propositions identiques, la vérité qu'il cherche à établir.

Le raisonnement absolu est le seul bon raisonnement, le seul qui puisse donner la vérité entière, c'est-à-dire la vérité réelle. Celui qui ne repose que sur des faits, sinon contestés, du moins contestables, ou bien qui procède par propositions analogues, quelque plausible qu'il soit, n'a pour conclusion que la vérité relative aux faits admis, ou approchant de cette vérité, vérité aussi réelle, ou à

peu près aussi réelle, que celle de ces faits mêmes, mais jamais plus.

Cependant la plupart des gens qui croient raisonner, crient à tue-tête : « Des faits, des faits! Donnez-nous des faits! Pas d'absolu! » Ils ne savent donc pas ce qu'est un raisonnement? Ils ignorent donc que si le raisonnement n'avait pas l'absolu pour base, ni eux ni personne ne raisonnerait? L'homme, en parlant, résonnerait, comme fait une cloche, chaque fois que le marteau de la nécessité frapperait sa tête creuse; et chaque homme aurait un son prédéterminé; et tous ces sons réunis formeraient le concert qu'aurait voulu le chef d'orchestre, soit la nature, soit Dieu.

M. Proudhon dit que « la négation de l'absolu est proprement la négation de la vérité, » et que « les systèmes sont la marche de l'esprit vers l'absolu. » Il a raison : les systèmes qui sont le résultat du raisonnement, partant d'un fait hypothétique, tendent tous à la démonstration de la vérité, de l'absolu.

ABSTENIR (S').

Se priver pour donner aux autres, cela se conçoit de la part de celui qui sait ou qui croit qu'il lui importe de se sacrifier pour les autres, de se dévouer au bonheur des autres. Mais se priver pour se priver, c'est de la mysticité, du non-sens. Poussons le raisonnement que nous critiquons jusqu'en ses dernières conséquences, et l'absurdité en deviendra palpable.

Renoncer à une jouissance, c'est se procurer une douleur. L'homme qui se rend volontairement malheureux, c'est-à-dire qui se prête plus ou moins à toutes les fantaisies de bourreau, suggérant des tortures, des supplices, jusques et y compris le suicide, s'attend ou ne s'attend pas à une ample compensation de ce sacrifice au devoir présumé. S'il ne s'y attend pas, il est stupide de sa part d'abréger sa vie qu'il dépend de lui de rendre plus ou moins agréable, comme il est stupide d'ôter à cette vie, pendant qu'elle dure, les agréments qu'elle offre. Si au contraire, il voit dans la vie présente l'indispensable condition d'une existence future, sa raison doit repousser l'intervertissement brutal d'un ordre que son raisonnement suppose, et qu'il ne peut concevoir que comme étant, dans toutes ses conséquences, conforme à la raison.

ABSTRACTION. Séparation, distinction.

Toute idée est une abstraction, l'abstraction d'une sensation, d'une modification de soi; toute abstraction personnalisée est une figure, n'est rien de réel, si on la prend au sens propre. Une abstrac

tion peut être vraie ou fausse; une réalité est toujours vraie. Trois égalent un est une abstraction fausse; un égale un est une abstraction vraie, bien entendu si un est une véritable réalité.

ABSURDE. Ce qui est démontré impossible.

L'opposé de l'absurde est la vérité. Si trois égalent un est absurde, trois n'égalent pas un est vrai. Nous avons dit que le vrai est le contraire de l'absurde, mais non ce qui n'est pas telle ou telle absurdité. Les absurdités sont sans nombre; la vérité est une. De ce que trois égalent un est absurde, gardons-nous de conclure que trois égalent deux ou quatre soit la vérité. Il n'y a de vrai que un égale un, et ce qui peut être ramené à cette proposition, comme deux (ou un et un) égalent deux (ou encore un fois un et un), trois égalent trois, etc. >>

« Quand un principe mène à des conséquences absurdes, c'est qu'il est mauvais, » a dit l'abbé Sieyes. Nous ajouterons: Les conséquences déduites par enchaînement d'identités d'un principe vrai, sont vraies également et au même titre.

Si l'anéantissement est absurde comme son corrélatif la création, l'impossibilité de créer et d'annihiler, le rien ne vient de rien ni ne retourne à rien, est la vérité.

Tout ce qui est absurde est impossible. Ce qui est possible, doit encore être démontré vrai avant qu'on l'accepte comme tel.

ABSURDITÉ. Impossibilité démontrée d'exis

tence.

Voici un exemple d'absurdité: L'identification de l'être et du néant, par les croyants qui supposent que l'âme réelle a été créée; par les matérialistes qui affirment que l'homme qui est réellement rentrera dans le non-être.

On a dit : « Je crois parce que c'est absurde, »> ce qui signifie « Je crois que l'absurdité est la vérité. L'expression est plus que paradoxale : l'absurdité n'est point un motif de croyance, c'est-à-dire de supposition de vérité, pour quiconque fait usage de sa raison, quand même ce serait pour déclarer qu'il renonce désormais à cet usage. L'homme de foi croit sur un raisonnement irréprochable à ses yeux, et il croit ce qui à d'autres paraît absurde, non pas parce qu'ils l'appellent une absurdité, mais quoiqu'ils le qualifient ainsi. Il croit (qu'il se fie d'ailleurs à un sentiment intime, à sa propre inspiration, ou à des autorités qui, pour lui, sont audessus de tout doute possible), il croit ce qui est tellement loin de lui paraître absurde, qu'au contraire il le déclare vrai. Dans ce sens, ce qui, pour

le monde, est folie, est, pour lui, sagesse, raison; et voilà précisément pourquoi il l'accepte avec confiance, il y a foi. « Croire contre sa raison, dit le P. Rozaven, jésuite, ce serait cesser d'être raisonnable. »

ABUS. Usage contraire à la raison, soit à la raison absolue, soit à la raison seulement relative.

Des abus réels, lorsqu'on prend ce mot dans le sens absolu, c'est-à-dire dans le sens qu'il présente aux yeux de l'absolue raison, peuvent avoir été des nécessités relativement à une époque déterminée de la vie humanitaire. Par exemple : la misère, l'esclavage, le prolétariat, la propriété privée du sol, la compression des intelligences, sont évidemment des abus, et sont généralement reconnus pour tels depuis qu'il est loisible à chacun d'en discuter la valeur au point de vue de la société organisée rationnellement. Mais avant que l'examen public eût été affranchi de toute entrave, l'ignorance sociale de la vérité ne faisait-elle pas un devoir de maintenir ces abus comme étant les seuls moyens possibles d'ordre et de stabilité?

Les abus d'un temps sont les usages d'un autre temps, témoin l'esclavage domestique dont l'antiquité croyait ne pas pouvoir se passer et que nous croyons de plus en plus incompatible avec la civilisation. Il en sera de même pour le prolétariat: on ne conçoit pas aujourd'hui comment la société existera sans que le capital domine le travail; le moment viendra où l'on aura peine à se figurer que le travail n'ait pas toujours dicté des lois à la richesse, qui, après tout, n'existerait pas sans lui.

-L'homme de science signale l'abus et en détermine le remède; l'homme d'État ne tente de réformer l'abus et d'appliquer le remède, que quand l'abus, devenu intolérable, n'est plus soutenu par personne, et que tout le monde est convaincu que le remède proposé est le seul efficace.

-«Les abus valent mieux que les révolutions, >> a dit quelque part le comte de Maistre : c'est vrai. Mais d'où naissent les révolutions si ce n'est des abus? contre quoi se font-elles si ce n'est contre les abus? Hâtons-nous d'ajouter néanmoins que ce n'est pas par eux-mêmes que les abus donnent lieu aux révolutions: les abus existent impunément aussi longtemps qu'ils demeurent inconnus. Ce n'est que lorsqu'ils ont été examinés, discutés, dévoilés, qu'ils menacent l'ordre dont ils font partie. Dès qu'on n'a plus la force d'empêcher qu'ils ne soient mis à nu, on est sur le point de perdre celle de les maintenir. Les faire disparaître est alors la seule bonne mesure de conservation. Il faut ne jamais perdre de vue que les hommes ne se sou

lèvent pas par amour pour la révolte, mais parce qu'ils veulent être bien et que par conséquent ils se sentent mal. C'est ainsi que, sans le despotisme, qui cependant vaut mieux que l'anarchie, l'anarchie n'éclaterait jamais, ce qui, pour le dire en passant, serait fort à regretter puisque l'anarchie seule, lorsque le despotisme sera devenu, même transitoirement, impossible, fera désirer l'ordre réel et découvrir la vérité sur laquelle cet ordre doit être assis.

Despotisme et anarchie sont l'expression de la force le despotisme est la force concentrée dans les mains d'un seul ou de quelques-uns pour maintenir l'ordre parmi tous les autres; l'anarchie est la force aux mains de tous à la fois, sans ordre possible. Il y a également abus des deux parts: mais avec le despotisme on vit, tandis que l'anarchie tue. L'abus de la force, imposant un ordre faux, est donc incontestablement préférable à la force renversant cet abus, mais n'y substituant rien du tout, jusqu'à ce que l'ordre reparaisse sous la même forme ou sous une forme nouvelle, toujours abusive du reste, et par conséquent ramenant toujours, par les révolutions, à l'anarchie.

ACADÉMIE. Réunion d'hommes qui sont ou se prétendent savants.

Les académies sont actuellement des associations de vanités s'assurant les unes les autres contre les vanités en dehors d'elles.

ACCAPAREMENT.

Les sociétés existantes étant organisées dans le but d'accumuler le plus possible de richesses dans le moins possible de mains, l'accaparement, honni de nom, est nécessairement favorisé de fait. La prospérité sociale a pour condition la puissance des moyens auxquels elle est due; cette puissance est la richesse concentrée, ce qui équivaut à la misère étendue, en d'autres termes, l'accaparement d'une part, le dénûment de l'autre.

ACCEPTER. Recevoir volontairement : être forcé de recevoir ne peut pas s'appeler proprement accepter.

Accepter est un acte éclairé, motivé, libre. Dira-t-on que les livres qu'on place dans les rayons d'une bibliothèque, acceptent l'ordre qui est mis entre eux? Non certes. Mais on doit dire que des soldats, même servant contre leur gré, acceptent l'ordre qu'ils subissent dans les rangs, parce que, tacitement du moins, ayant pris connaissance de ce qu'on leur impose, et sachant d'ailleurs la peine qu'ils encourraient s'ils n'obéissaient point, ils ont,

après comparaison, préféré se soumettre plutôt que d'être punis. C'est là ce que nous avons nommé une acceptation improprement dite, parce que, bien que dérivant d'un raisonnement, elle n'est pas libre. Les prolétaires aussi, qui, dans l'état actuel des choses, reçoivent un salaire insuffisant et d'ailleurs iniquement déterminé, pour ne pas mourir de faim, ne peuvent être considérés comme acceptant librement cet état des choses dont ils sont les victimes.

ACCIDENT. Phénomène.

L'accident est la chose perçue, sentie; il suppose nécessairement des sensibilités qui la perçoivent. Un accident qui se percevrait lui-même, en vertu de son essence d'accident, semble être l'opposé d'une substance qui ne se percevrait jamais, qui ne pourrait se percevoir; mais, au fond, c'est la même chose, savoir une déraison, une absurdité, comme trois égalent un, ou un et un font trois. Car il n'y a que le sentiment même de l'existence, ou l'être et le sentir confondus, qui puissent constituer la substance; et il ne faut à celle-ci pour se sentir elle-même que la possibilité de se sentir mue, modifiée au moyen des variations, des accidents dont elle perçoit la succession, c'est-à-dire au moyen de son union, dans les conditions voulues, avec un organisme, partie de matière, série de mouvements, force particulière que la force générale modifie.

Les accidents ne sont rien autre chose que les modifications de cette partie de matière organisée, unie à une substance, modifications converties par cette substance en sensations, en idées, en langage, et dont les incessantes variations forment pour l'être sentant qui les résume dans son unité de sentiment, ce qu'on appelle la conscience de soi.

ACCOMMODEMENTS.

Il est avec le ciel des accommodements, est passé en proverbe. Mais cela n'est vrai que pour celui qui ne croit plus très-positivement au ciel, et qui n'a de confiance dans les paroles censées venir de là-haut, que pour autant qu'elles ne contrarient que jusqu'à un certain point ses intérêts et ses passions. Si l'on donne au mot ciel la signification de devoir, les accommodements ont lieu, lorsque, ne connaissant pas la sanction qui rend ce devoir réellement obligatoire, ou du moins ne croyant pas à la réalité de cette sanction, on fait fléchir la règle sous toute tentation un peu forte de ne pas s'y conformer.

- Les accommodements avec le ciel seront préconisés et maintenus en honneur, aussi longtemps que les interprètes de la volonté du ciel pourront

en tirer avantage. Ils en sont les intermédiaires, et le prix dont les dévots les payent, passe par leurs mains et y reste.

ACCOMPLIS (Faits).

Le fait accompli est le droit actuel. Cela est logique; car il faut un droit commun pour constituer la société, et celle-ci, qui a cessé de croire à la réalité du droit révélé, n'a pas encore accepté, ne connaît même pas encore le droit démontré réel. La société en conséquence s'en réfère, en dernière analyse, à la force, que cependant, par une espèce de pudeur d'habitude, elle cherche à farder d'une apparence de raison. Dès lors, tout fait accompli par la force ou par la ruse, et que nul de ceux qui étaient intéressés à ce qu'il ne s'accomplit point n'est assez fort ou assez habile pour renverser, est légitime,... comme le sont le feu qui consume, l'eau qui asphyxie, le rocher qui écrase.

ACCORD. Communion d'idées.

C'est comme qui dirait société. Deux hommes qui ont des idées communes forment par cela seul une société. Quand l'accord est rompu, la société est dissoute. Le lien de la famille, qui est l'élément social, est l'accord, l'entente. Sous ce point de vue, on peut dire qu'il y a eu accord parmi les hommes, puisqu'il y a encore, tellement quellement du moins, société; mais puisque cet accord ne dure plus, on doit dire que la société puise ses conditions d'existence dans l'accord sur lequel elle avait été fondée. C'est l'état présent.

« Un cri général s'élève, écrit M. Louis Veuillot : que faire? Mille voix répondent, chacun ouvre un avis différent, que réprouvent unanimement les autres. Le seul accord possible de tant de doctrines, leur œuvre commune et uniforme, est de miner dans ses bases les plus profondes l'ordre actuel, qui croulera un jour tout d'une pièce; il n'en restera rien. » Cela est vrai. Mais restera le besoin qu'il reste quelque chose. Or, ce besoin ne pouvant plus être satisfait par aucune des doctrines en désaccord entre elles depuis que toutes, également dénuées de preuves, ont le droit de démontrer leur mutuelle contestabilité, il faudra bien qu'il le soit finalement par l'application de la vérité, demeurée seule en possession de l'intelligence après la chute des opinions diverses qui l'avaient envahie, demeurée seule capable de maintenir l'accord social que la diversité des opinions allait renverser complétement.

ACCROISSEMENT DE LA POPULATION.

Au XVIIe siècle, les philosophes accusaient la religion de restreindre la population; au XIXe, les

économistes l'accusent de ne pas permettre qu'on la restreigne. Les philosophes étaient mus par un sentiment dont ils ne se rendaient pas compte; les économistes sont poussés par l'empirisme de la pratique qu'ils comprennent à merveille. L'accroissement de la population n'est pas la conséquence du paupérisme; il a au contraire l'accroissement du paupérisme pour conséquence actuellement.

Aussi est-ce là l'éternel cauchemar du bourgeois, qui sait fort bien que, dans l'état donné des choses, les prolétaires, jetés sur la place en sus du nombre strictement nécessaire à sa consommation, sont irrésistiblement poussés à la révolte, aux révolutions, à moins que, faibles et timides, ils ne se laissent débonnairement consumer par la misère et le désespoir, ou que, doués de l'énergie qui mène du désespoir au crime, ils ne se fassent décimer par le bourreau. C'est pour cela que le génie bourgeois se torture dans le but de trouver le moyen d'empêcher que le prolétariat ne sorte des limites posées à la multiplication de l'espèce par l'économie politique. Si c'est sur cette découverte que le doctrinarisme libéral fonde l'espoir d'un meilleur avenir, nous ne saurions trop déplorer son inqualifiable aveuglement.

ACTE, ACTION. Mouvement, effet: au propre, causé par un être libre; au figuré, provenant d'un être qui agit nécessairement.

L'expression acte est figurée quand elle est relative à la matière. Au propre, il n'y a pas d'acte physique; il n'y a que de la force, du mouvement, de la matière, des faits. Tout acte implique connaissance; toute connaissance suppose l'union d'un sentiment réel avec une partie de la force générale, au moyen de laquelle le sentiment puisse être modifié.

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Cette règle est ce que les moralistes appellent la conscience. Si la règle des actions était un effet de l'organisme, ou d'une intuition, d'une révélation, d'une grâce particulière, l'individu ne serait point libre. Qui peut être responsable de ce qu'il est né conformé de telle ou telle façon, de ce que telle chose lui a été inspirée plutôt que telle autre, de ce que ceci lui a été dit et non cela, de ce qu'il a été favorisé ou abandonné par une puissance supérieure? La conscience est toujours et exclusivement un acte de raisonnement, même lorsque

l'individu accepte sur parole la règle d'action que le raisonnement d'autrui a établie, et que le sien lui fait adopter passivement.

- Chaque homme a son système, d'après lequel, sauf les entraînements du moment, il règle ses actions. Demandez à quelqu'un le pourquoi de ses actes; il vous répondra : « C'est ma manière de voir, c'est ma conviction, c'est ma religion, » ou bien « je suis organisé ainsi; cela tient à ma nature, etc., etc. » Ces réponses prouvent une chose, savoir, qu'il n'y a point d'action sans motif, point de conduite sans un plan arrêté, aucun acte sans une idée préalable. Une société donc qui, comme la nôtre, laisse forcément les intelligences errer au hasard, et se trouve dans la nécessité de subir toutes les sottises dont le raisonnement est susceptible, pour ne s'attacher qu'aux actes qui en sont la conséquence et qu'elle déclare nuisibles, est une société sans raison, existant uniquement parce qu'elle existe, et menant fatalement à un résultat inévitable qui est la désorganisation des choses par la confusion des idées.

ACTIVITÉ. L'activité réelle ou proprement dite est l'immatérialité; l'activité illusoire ou figurément dite est la force.

L'immatérialité, source de toute intelligence, est essentiellement immuable. La matière est la causalité physique, le mouvement même, la modification. Elle est toujours susceptible de qualification, et par conséquent de plus et de moins; elle est divisible par essence et ne saurait être absolue. Pour que l'âme soit active, c'est-à-dire pour qu'il y ait activité intelligente, il faut une âme et de la matière organisée. Sans organisme, l'âme est purement sentiment d'existence, mais sentiment qui a besoin de moyens d'activité, de modificabilité, pour pouvoir se sentir.

ADULTÈRE.

Avant tout, nous devons poser en fait que l'union qu'on appelle mariage n'est pas seulement charnelle, physique, organique, et que par conséquent l'adultère n'est pas uniquement la rupture charnelle, physique, organique de cette union. L'adultère mène à cet acte coupable, mais il n'est pas cet acte exclusivement. L'adultère est le mensonge au moyen duquel un des époux trompe l'autre, en le frustrant de ses droits acquis en conséquence de leur union, et dont il gratifie une autre personne. Or le droit de chacun des époux est de résumer sur lui seul tout l'amour, toute la tendresse, toute la confiance, indispensables pour que la famille soit heureuse, prospère, existe et se conserve.

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