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nalisée. Tout ce qui se fera avant cela et sans cela sera inutile. Les atermoiements, les faux-fuyants, la ruse, le temps lui-même ne pourront rien pour l'ordre et pour la stabilité, pas plus que ne pourra le despotisme blanc, trico

lore ou rouge.

Il faut que la société soit l'expression de la raison absolue, l'application de la justice entière, en toutes choses et pour tous. Mais avant cela, il faut qu'il y ait une raison socialement reconnue et par conséquent un droit socialement réalisable, une conscience sociale en un mot, qui soit aussi la conscience de chacun, et qui ait pour chacun une incontestable et inévitable sanction. Avec des consciences personnelles, différant d'un individu à l'autre et à chaque circonstance chez le même individu, l'ordre aussi longtemps qu'il est possible, n'est possible que par la force. La raison alors ne sert le plus souvent qu'à tromper; la justice expose presque toujours à se faire tromper.

On le voit nous nous exprimons franchement, durement peut-être; c'est parce que nous savons avoir raison. Nous nous faisons fort de le prouver Nous attendons qu'on nous réfute, ou du moins qu'on nous réponde.

25 mai 1848.

PRÉFACE DU DICTIONNAIRE RATIONNEL (1).

Il faut qu'il y ait des sectes, des partis.

SAINT PAUL et M. PROUDHON.

Non pas. Mais il y aura des sectes et des partis aussi longtemps qu'il y aura des opinions, et des opinions aussi longtemps que la vérité sera ignorée socialement. Quand la société deviendra impossible avec les partis et les sectes et par les opinions, il faudra bien l'établir sur l'unité et par la vérité. COMMENTAIRE.

Depuis dix ans qu'a été écrite la préface qu'on vient de lire, les choses autour de nous n'ont pas changé, au fond du moins. Seulement, une forme de plus a été essayée et rebutée : la république a reculé devant l'obstacle qui avait arrêté la monarchie. C'est au tour du despotisme à faire éclater son impuissance.

Les partis réformistes ont prouvé de plus en plus leur nullité. Il fallait organiser sur un terrain soigneusement déblayé et d'après un plan radicalement neuf. On n'a pas osé le tenter et on a fort bien fait; car le terrain est encore encombré de toutes parts de pierres d'achoppement, et l'on n'a aucun plan que tout le monde agrée et que tous regardent comme devant nécessairement être exécuté.

Il a donc fallu se réfugier sous le vieil abri social, sauf à le replâtrer tellement quellement, à l'étançonner plutôt mal que bien, et à passer par-dessus le tout une couleur autant que possible uniforme et plus ou moins fraîche.

(1) Il est peut-être utile de faire remarquer que ce livre contient nécessairement beaucoup plus de répétitions encore que n'en offrait l'A, B, C. Si l'on voulait néanmoins y réfléchir un instant, on comprendrait que le principal mérite d'une œuvre pareille consiste précisément à n'être qu'une perpétuelle répétition. La vérité est une; force est donc de présenter et de représenter toujours la même vérité sous un nouvel aspect et en d'autres termes.

Le bouleversement avait été complet; quel en est le résultat final? Des désastres publics sans fin ni terme, du sang généreux inutilement répandu, la somme des maux de chacun enflée outre mesure, le nombre des malheureux augmenté cruellement, et en perspective un long avenir de douleur et de désespoir (1).

Le travail d'étayement et de recrépissage ne tiendra guère, sapé qu'il est avec l'édifice dont il dissimule la caducité, par les mêmes hommes en face des mêmes difficultés, sommés comme leurs prédécesseurs de les résoudre dans le sens de l'ordre et de l'humanité, entraînés par les passions égoïstes et anarchiques de leurs émules en démolition, obéissant en un mot à la fatalité sociale qui fait sans cesse progresser le mal comme seul moyen de faire avenir le bien.

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Et le mal, en effet, progresse rapidement; avouons-le-nous sans hésiter devant les ravages, tantôt des maladies épidémiques ou endémiques, tantôt de la périodique cherté des subsistances, qui déciment la génération de misérables auxquels la société n'octroie qu'un sang vicié, la faim, le dénûment de tout ce qui entretient la vie, et une éducation de corruption, de débauche et de brutalité. Si ces misérables continuent, comme on ne cesse de les y convier, comme on les y force pour ainsi parler, - eh! avaient-ils besoin pour cela d'un autre stimulant que celui de leur intérêt actuel, palpable? si, disons-nous, ils continuent à s'instruire, notre société est perdue. Dès que les prolétaires combineront les deux idées si simples que voici : « Nous, les plus nombreux, et par conséquent les plus forts, nous souffrons tous les maux, tandis qu'une faible poignée de nos semblables jouit de tous les biens; les sources du bonheur s'ouvrent pour eux seuls, et nous, nous sommes toujours une proie facile pour toutes les calamités possibles » dès qu'ils combineront ces deux idées et en déduiront la conséquence logique, ceux qui exploitent actuellement la société seront bientôt exploités à leur tour.

Essayons de faire comprendre ce que nous pensons des efforts qui sont tentés chaque jour pour amener l'ère d'une société nouvelle quelconque, et de la force que leur opposent ceux qui veulent per fas et nefas soutenir la société ancienne, n'importe sous quelle forme. A cet effet, nous résumerons en peu de mots la doctrine que nous professons et dont ce Dictionnaire est le manuel.

Si l'on jette un regard sur l'état des choses et le mouvement des esprits relativement à la question sociale, que remarque-t-on?

Les conservateurs de toute espèce se sont usés à la besogne : les prédicateurs de la foi d'abord, puis les moralistes, les politiques, les économistes, les progressistes, les néo-chrétiens, les philanthropes. Les principes d'ordre se sont évanouis les uns après les autres dans le tourbillon du doute, de la négation et du découragement : avant tous les autres, la croyance à une autorité révélée, ensuite la force sous tous

(1) Ceci a été écrit en 1852.

les masques possibles de raison et de justice dont on a cherché à la couvrir. Pourquoi? Parce que les idées émises se sont, quelles qu'elles fussent, heurtées au raisonnement qui en a eu bon marché; parce que les conservateurs, ou ont refusé de raisonner, ou ont mal raisonné, et par conséquent sont demeurés exposés aux attaques d'un raisonnement meilleur qui, par chacun de ses arguments, les frappait de mort.

C'est donc toujours le raisonnement, en premier et en dernier ressort. Et ce ne peut être que le raisonnement, puisque la société, la morale qui en constitue le lien, la religion qui est la sanction du devoir, sont nécessairement formulées par l'intelligence, enchaînant une série d'idées, soit d'ailleurs que la raison impose la soumission aveugle, l'obéissance passive, soit qu'elle ordonne l'examen, la discussion et l'action motivée.

Venons à l'application.

La foi répudie l'usage du raisonnement; après donc que le raisonnement l'avait fait admettre, elle n'a pu avoir d'existence sociale qu'aussi longtemps que, du moins relativement à elle, l'examen a été un crime, un sacrilége que la société avait la force de prévenir. Dès que la raison s'est élevée au niveau de la foi, celle-ci n'a plus rien été en droit, et dans l'ordre des faits elle a nécessairement dû céder le terrain devant chaque pas que faisait son adversaire. Depuis lors, les hommes de foi qui avaient raisonné juste en proscrivant, puisqu'ils le pouvaient, tout libre usage du raisonnement, raisonnèrent faux en se figurant qu'ils l'emporteraient par le raisonnement sur les hommes de raison, et même en tâchant, au moyen du raisonnement, de se maintenir à côté des hommes de raison.

La force, à son tour, fonda son empire sur un excellent raisonnement, lorsque ses partisans comprirent qu'elle devait prendre les dehors de la raison. Ils disaient, et à cela il n'y avait rien de sensé à opposer:

« L'ordre ne peut reposer que sur la raison ou sur la force; une troisième alternative est inimaginable. La raison absolue existe-t-elle? en d'autres termes, existet-elle pour nous? Avons-nous les moyens de la déterminer nettement, de démontrer incontestablement la réalité de son existence? Le fait est qu'elle n'a encore jamais été déterminée et démontrée de cette manière pour la société. L'ordre n'y est donc obtenu et maintenu que par la force seule. Mais d'une autre part l'homme raisonne, bien ou mal, ce n'est pas ici la question; il raisonne inévitablement, et son raisonnement est une lutte perpétuelle contre la force en acte, dont cependant il établit lui-même la nécessité virtuelle. Il faut donc, tout en recourant à cette force, élément social indispensable, avoir toujours soin de la dissimuler sous les apparences de la raison, de la justice, élément aussi dont la société, composée d'hommes, doit infailliblement subir les conséquences. »

Nous avons fait remarquer que les croyants ne pouvaient plus avoir rien de concluant, rien de fondé en raison, à répondre, du moment qu'on eut le droit de

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