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cultes, comme liberté de la parole et de la presse, les libertés dont nous parlons sont tout à la fois, par l'application qui en est faite, les signes infaillibles que la société est en progrès de dissolution, et les causes les plus efficaces de dissolution sociale. Qui dit opinion, foi, dit époque d'ignorance. Et l'ignorance n'est compatible avec l'ordre que sous le despotisme. Quand ceux qui ne savent pas sont libres de juger et d'agir, ils ne décident que des folies et ne font que du désordre. Aucune opinion, mise en présence d'autres opinions, et librement discutée par ceux qui professent celles-ci, ne peut se soutenir. Il faut donc le despotisme pour conserver l'ordre. Mais le despotisme, avec la liberté d'examiner à ciel ouvert, ne saurait luimême se conserver; et désormais la liberté d'examen et de discussion est de droit social, droit que plus aucun despote ne viole impunément. Les libertés que nous avons énumérées sont imposées à la société par la nécessité, par la force des choses, par les lumières socialement acquises, par le besoin irrésistible de prospérité, de progrès matériel.

Voyons quel serait le résultat inévitable de leur application franche et entière. La liberté des opinions, professée sans hypocrisie et respectée dans une société, enlève à l'État tout droit à professer lui-même une opinion, à en avoir une et surtout à la manifester. Est-il possible qu'un gouvernement soit sans idées? Peut-il ne pas avoir l'idée de gouverner, et s'il l'a en effet, peut-il ne pas avoir celle de diriger la chose publique dans un sens déterminé plutôt que dans tout autre? La liberté de l'enseignement, dans les mêmes conditions, oblige l'État à laisser tout enseigner et à ne rien enseigner lui-même s'il fait enseigner les sciences, les lettres, l'histoire, la philosophie, la médecine, le droit, il faut que son instruction ne trahisse aucune doctrine, aucune croyance, aucune opinion. Cela est-il praticable, cela est-il possible? La liberté des cultes, non pas nominale, mais sincère et réelle, suppose l'indifférence absolue de l'État sur tout ce qui est culte, religion, l'absence de toute religion, la négation de tout culte; elle suppose le même soutien matériel, la même protection morale pour toutes les sottises imaginables que l'intelligence a décorées jusqu'ici et qu'elle décorera à l'avenir du nom de culte et de religion. Que deviendrait l'État s'il prenait ce parti résolûment, sans restriction d'aucune sorte?

Qu'on juge et qu'on prononce. La question se pose en ces termes : Qu'est-ce qu'une société qui en est réduite à devoir accepter toutes les libertés sous peine de succomber dans les étreintes du despotisme, et qui ne peut en appliquer compléte

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Le lien social est un raisonnement quelconque, établissant la réalité démontrée ou supposée du droit; mais un raisonnement commun à tous ceux qu'il doit unir. S'il était indépendant du raisonnement, le lien serait mécanique, matériel: une chaîne, le cimeterre, ne sont pas de vrais liens sociaux. Tout lien qui ne relève que d'une volonté, de l'arbitraire, ne lie personne; c'est la contrainte physique exclusivement. Pour qu'il y ait lien social, il faut, lorsque l'ignorance n'est pas socialement dissipée, que les prisons et les supplices viennent en aide au raisonnement qui établit le droit, afin de l'empêcher d'être contesté. Mais, quel qu'il soit, le raisonnement implique l'intérêt à satisfaire de celui qui raisonne; et cet intérêt, pour être réel, doit être ultra-vital. Le lien social est donc exclusivement, pour chacun et pour tous, la conviction de la réalité du lien religieux.

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On fait imprimer, comme on écrit, en vue d'être lu; comme on parle, en vue d'être écouté, en vue de persuader ou de convaincre. Ce sont les moyens indispensables de propagation pour la vérité, aussi bien que pour l'erreur. Il est donc pour l'homme qui sait, ou du moins croit qu'il possède la vérité, et que son devoir est de la faire connaître, de contribuer à son triomphe, il est de la plus haute importance de donner à sa parole et à ses écrits la forme qui convient le mieux pour attirer et fixer l'attention. Aujourd'hui, on lit généralement les journaux quotidiens, et beaucoup les publications périodiques; on ne lit guère les ouvrages volumineux et de longue haleine. Quand par conséquent la matière qu'un auteur a entrepris de traiter exige impérieusement des développements dont le résultat est un livre, il doit soigneusement interroger le sentiment, le goût du public, et surtout se conformer le plus possible, bien entendu pour la manière de présenter son sujet, aux opinions, nous dirons même aux caprices de ceux sur lesquels il a quelque chance de produire l'effet qu'il attend. S'il néglige ce savoir-faire, pur accessoire, nous le voulons bien, mais qui neutralise souvent le principal, le savoir, son livre restera inaperçu, ses idées auront été émises à pure perte, et la cause de la vérité comptera un échec de plus.

LOGIQUE. Méthode qu'il faut suivre pour arriver à la découverte de la vérité.

La logique se résume tout entière en un seul précepte, savoir: partir d'un fait incontestable,

pour n'en déduire que des propositions susceptibles d'être ramenées à l'identité avec ce fait primordial. Les plus simples comprendront cela, aussi bien que les savants les plus exercés, et peut-être mieux; ils le comprendront du moins plus vite et l'accepteront sans rechigner.

LOGIQUE DES OPINIONS.

Il n'y a qu'une logique réelle; mais chaque secte, chaque parti se fait une logique de convention à son usage, afin que, dans l'application, elle puisse lui servir à soutenir l'opinion qu'elle a embrassée. Cela seul suffit pour prouver qu'aucune secte, aucun parti n'est réellement logique, et que toutes les opinions placées sous la sauvegarde d'une logique de parti ou de secte, sont également mal fondées. Le matérialiste, par exemple, met de côté la nécessité qui gouverne toute matière, pour établir la liberté de l'homme, qui, dans l'hypothèse, n'est cependant qu'une combinaison matérielle; et les déistes lèvent les épaules. Le déiste fait abstraction de la dépendance inévitable de tout être subalterne, et déclare l'homme, que Dieu a créé, libre de ses actions; les matérialistes sifflent. Démontrez que le criterium de la certitude, puisé dans la révélation, est usé sans retour, les libéraux applaudiront; démontrez ensuite que le criterium tiré des décisions des majorités ne saurait produire que l'anarchie, les catholiques seront d'accord avec vous c'est pourtant la même vérité exprimée en différents termes, signifiant également, qu'arrivée à l'époque d'ignorance et de liberté, la société n'a plus à espérer d'autorité réelle que par l'adoption et l'application de la raison. Demandez à chaque parti un raisonnement qui puisse être accepté par les autres, on vous rira au nez, et on ne vous répondra pas. Demandez à chaque individu pourquoi il tient à telle opinion plutôt qu'à toute autre « Parce que, répondra-t-il, c'est la bonne ; » et si vous apportez quelques arguments en faveur de l'opinion opposée : « C'est égal, dira-t-il, je sens que j'ai raison. » Comment lui faire sentir le contraire?

Appliquez les règles de la logique aux matières religieuses, et vous serez forcé de conclure que, plus aujourd'hui on se rapproche de l'Église romaine sans cependant vouloir se laisser absorber par elle, plus on est absurde. En fait de foi chrétienne, il n'y a de logiquement conséquent que le papisme le plus absolu. Hors de là, à moins qu'on ne nie tout, on se contredit à chaque pas. Les unitaires rejettent la Trinité, soit; mais pourquoi admettent-ils leur Dieu unique? Les réformés ne veulent pas de la transsubstantiation; à la bonne

heure mais sur quoi fondent-ils le Dieu un et triple qu'ils conservent? Les jansénistes et les gallicans acceptent tout; fort bien: comment alors ne se prosternent-ils pas devant l'infaillibilité du souverain pontife, laquelle seule fournit un argument sans réplique en faveur du reste?

LOGOMACHIE. Dispute de mots.

Dans toute discussion où l'on se sert d'expressions indéterminées, chacun combat pour le sens qu'il leur attribue; personne ne comprend les autres, et la dispute, qui n'a roulé que sur des mots, ne donne que des mots pour résultat et jamais de sens commun.

LOI. Morale, la loi est l'expression du droit; physique, elle exprime la marche que l'observation fait connaître, comme étant régulièrement suivie par les faits matériels.

Toute loi, dit-on, suppose un législateur. La loi faite, la loi relative, personnelle, oui; mais la loi absolue, éternelle, réelle, impersonnelle en un mot, non celle-ci est la négation de tout législateur. Il suffit de constater son existence.

Pendant l'époque d'ignorance, la loi fait le droit à celle de connaissance, le droit légitimera la loi. Tant que l'examen peut être empêché, la loi est acceptée comme étant le droit; dès qu'il est libre, la loi n'est plus qu'un fait sans cesse attaqué au nom d'un droit que rien encore ne détermine et qui par conséquent est toujours attaquable.

La loi n'est puissante que pour autant qu'on la suppose stable, immuable même, c'est-à-dire, pour autant qu'on la croit l'expression infaillible de la raison. Dès qu'elle ne représente plus que l'arbitraire, que la force, elle tombe dans le domaine des simples faits sans droit, que d'autres faits viennent bientôt renverser brutalement. La loi, pour avoir une valeur réelle, doit être acceptée, non-seulement comme loi, mais surtout comme juste; non-seulement comme une force imposant la nécessité de se courber devant elle, mais essentiellement comme un devoir obligeant en conscience d'y obéir cela a lieu à l'époque de foi en l'autorité révélée qui sert de base à l'ordre social; cela ne pourra être autrement quand la réalité de l'autorité souveraine sera démontrée à l'intelligence de tous. Aux temps d'examen, de doute, toute loi est nécessairement considérée, par les sujets qui la subissent, comme une mesure utile aux maîtres qui la font et ne la font que dans leur intérêt. La morale dès lors perd, aux yeux de qui ellé est prêchée, son caractèré dé garantie du bonheur de chacun et de tous;

elle ne paraît plus qu'un moyen à l'usage des dominateurs de la société pour faciliter et assurer les avantages de leur exploitation. Aussi n'obéiton aux lois à cette époque que lorsqu'on n'est pas assez fort pour se soustraire à leur action, et ne reste-t-on moral que pour autant qu'on n'a pas l'occasion d'être immoral avec profit et sans se compromettre.

De la définition que nous avons donnée du mot loi physique, il suit évidemment que les lois de la nature aveugle, nécessitée, n'ont et ne peuvent rien avoir de commun avec les lois de la raison.

L'ordre de force et l'ordre de raisonnement sont opposés. Vouloir que les intelligences soient soumises à la force, c'est nier le raisonnement, la raison même. L'intelligence ne nie point la force; elle l'accepte pour ce qu'elle est, et l'applique où il le faut. Une chose prouve à la dernière évidence que le moral n'est aucunement dépendant de ce qu'on appelle la nature, en d'autres termes, qu'il n'y a point de lois naturelles en morale, c'est que ce qui passe pour bien aujourd'hui, passera pour mal demain, et que l'on condamne ici ce qu'on approuve ailleurs; c'est le contraire des corps qui tombent partout et toujours exactement comme ils ont tombé depuis l'origine des siècles.

Dans l'état actuel des connaissances acquises, l'opinion seule détermine le bien et le mal, et aussi longtemps qu'il n'y aura point un principe de justice ou de raison universellement reconnu, le raisonnement personnel multipliera et fera varier les opinions à l'infini.

La loi physique est absolue; elle est ce qui est : la loi morale est relative au temps, aux circonstances, c'est-à-dire, aux lumières acquises par là société; elle est ce qui doit être.

LOISIR.

On appelle loisir le temps qui reste à la libre disposition de quelqu'un, après qu'il a travaillé pour la satisfaction de ses besoins organiques. Le loisir est donc, devant la raison absolue, un droit aussi réel que l'est celui aux choses indispensables pour le maintien de la vie.

Devant la raison relative à l'époque d'ignorance sociale, il faut que le loisir manqué au plus grand nombre possible d'hommes, afin qu'ils ne tournent pas le développement de leur intelligence au détriment de l'ordre, qui est l'existence de la société. Il faut donc que le travail soit le plus possible rétribué par une main cupidè et avare, afin qu'il reste incessant le plus possible aussi, et demeure de cette manière un frein efficace aux passions perturbatricés.

L'ignorance évanouie socialement, chacun aura le loisir nécessaire pour l'exercice de son intelligence, dans n'importe quel but d'utilité qu'il lui plaira de se proposer.

LOT.

Le devoir de chaque homme est d'accepter son lot comme l'ayant mérité par ses actes antérieurs, et de se préparer un lot meilleur par ses actes présents. C'est bien simple, et cependant toute la morale se trouve résumée dans ce seul précepte.

- L'époque où nous vivons est celle du libre développement des intelligences. Les intelligences devraient donc se classer elles-mêmes, se faire leur lot social. Est-ce le cas? Non. C'est au contraire la naissance, le hasard, comme on s'exprime, qui assigne à chacun la part de facilités ou d'obstacles qu'il rencontrera dans la vie. Donc notre époque à laquelle l'intelligence devrait faire la loi, est encore, sans réserve, sous la domination de l'ignorance. Le raisonnement peut-il perdre les droits qu'il a acquis? En aucune façon; mais l'ignorance doit disparaître pour que l'intelligence exerce le droit qu'elle a à se faire son lot.

LOYAUTÉ.

Pour être loyal, il faut, non de la force, mais du courage. L'homme fort peut être hypocrite, c'est-àdire dissimuler sa force sous les dehors de la justice et de la raison, afin de l'exploiter plus commodément et surtout plus sûrement. Il y a de l'audace à dire « Je domine exclusivement parce que je suis le plus fort; » il y a de l'héroïsme pour le faible à repousser les moyens que lui offre la ruse pour échapper à la force et même pour en triompher.

LUMIÈRES.

Éclairer, ont dit les uns, n'est pas moraliser; il faut habituer à la vertu. Cela signifie: il faut faire des machines morales. Selon d'autres, l'homme éclairé est nécessairement bon. La vérité est ce que nous allons exposer: supposé que les lumières passées dans l'éducation et l'instruction soient réelles, ce qui ne sera vrai qu'à l'époque de connaissance, elles ne forceront pas mécaniquement à

être juste, mais elles mettront l'homme qui les possédera et qui raisonnera, dans la position intellectuelle la plus favorable pour qu'il ne s'égare point, pour qu'il reste dans le droit chemin: elles le contraindront moralement à éviter le mal et à faire le bien.

LUXE.

Le mot est indéterminé. Ce qui est luxe pour l'un est devenu besoin pour un autre. Celui à qui il ne fallait qu'un abri, éprouve bientôt le besoin de rendre cet abri commode, puis de l'orner; finalement le velours, le brocart, les dorures dont il s'entourera, ne seront plus du luxe que pour ceux qui en sont privés, tandis qu'à ses yeux ce seront des nécessités de la vie. Les objets de luxe forment ce qu'on peut appeler le côté brillant des agréments de la société actuelle.

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Qu'y a-t-il d'étonnant alors qu'à une époque où les plaisirs de cette vie sont la seule réalité à laquelle l'intelligence aspire, et la vanité le grand moyen de les faire valoir, toutes les pensées du siècle, comme s'en plaignent si amèrement les organes du catholicisme, sont aux folies de l'industrie, aux rêves du luxe, à l'unique amour des richesses? Ils concluent de là que « la justice de Dieu doit s'amasser sur cette société rebelle. » Et néanmoins ils se vantent d'être les conservateurs par excellence de cette même société rebelle! C'est à s'y perdre.

Nous aussi nous prédisons la dissolution prochaine d'une société que le luxe et l'industrie corrodent si profondément. Mais nous soutenons que cette société ne peut plus vivre sans la liberté, bien qu'elle ait été établie pour ne pouvoir vivre que par la suppression de tout exercice de la liberté, de tout travail de l'intelligence. Et nous demandons que cette société contradictoire, absurde, disparaisse au plus tôt devant la démonstration de la vérité suivante, savoir que le luxe et l'industrie doivent toujours, dans leur essor, demeurer soumis à la raison, parce que la vie présente a, pour chacun de nous, un tout autre but que celui de lui procurer le plus possible de jouissances, fût-ce au prix des souffrances du reste de l'humanité.

M

MACÉRATIONS.

MAC

Se priver pour l'avantage des autres est un acte de dévouement. Se priver pour ne pas trop lâcher la bride aux passions qui, cessant d'être modérées, finissent par ne plus connaître de frein, est un acte de prudence, de sagesse. Se priver pour mériter, par des souffrances préventives, le bonheur futur, serait un acte injurieux pour la Providence s'il y avait une Providence, et qu'avec une Providence il fût possible de s'accorder quelque chose ou de se priver de quoi que ce fût sans que cette force suprême y eût consenti, l'eût voulu, l'eût imposé. Se priver enfin pour se priver exclusivement, est un acte de déraison: c'est de la folie.

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MAG

MAGNÉTISME ANIMAL.

Que des frictions, des attouchements, un fluide même, émané d'une organisation particulière et absorbé à distance par une autre organisation prédisposée à cet effet, produisent des résultats organiques ou physiques, le raisonnement n'y répugne point, et le raisonnement doit toujours être prêt à accueillir et à tenir compte des faits de tous les genres qu'il parvient à dûment constater. Mais il y a loin de là à ce que prétend la science mystérieuse du magnétisme, savoir qu'un individu puisse, par la seule force de sa volonté, agir sur la volonté d'un autre individu qu'il est censé s'être magnétiquement soumise; qu'il puisse faire pénétrer dans une autre intelligence que la sienne, sans le secours des signes, sans l'intermédiaire indispensable d'un langage commun quelconque, les idées, les désirs, les intentions, auxquels il lui plaît de la faire servir d'instrument, et qui engendreront tels ou tels actes déterminés par le magnétiseur; qu'il réussisse à faire exécuter par son patient, sinon malgré celui-ci, du moins sans qu'il y coopère sciemment et volontairement, des choses contraires aux lois du raisonnement, des choses que lui-même, magnétiseur, ne ferait pas, que le patient ne ferait pas s'il était éveillé, si en un mot il disposait de lui, mais qui lui deviennent faciles parce qu'il dort, c'est-à-dire parce qu'il est temporairement sans intelligence et sans volonté à lui cela est inepte, ridicule, impossible; c'est le renversement de toute morale comme la négation de toute raison; c'est la suppression du bon sens, du sens commun, de la société, de l'humanité.

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