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nuifible? On répond plus utile. Eh bien ! qu'on l'imprime.

Si quelque ame forte me reprochoit d'avoir été par fois trop circonfpect, trop retenu, ou d'avoir fupprimé certaines vérités d'éclat,

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qu'elle fe rappelle, que le même degré de,, lumiere, qui pouvoit l'éclairer, en eut aveuglé d'autres ". Si quelque ame fevere me reprochoit quelque écart de décence, un ton de légéreté fur des objets férieux, un excès d'indulgence fur des devoirs de fecond ordre, ou quelques traits de faux brillant qui nuisent à la fimplicité qu'elle penfe, que, pour inf truire, il faut plaire, que, pour perfuader, il faut être lu, & que l'indulgence fur les petites chofes donne plus de poids à la févérité sur les grandes.

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Pour à tout autre Critique, je n'ai qu'un mot à répondre : Faites mieux, & je vous lirai avec plaifir, avec reconnoiffance.

PRINCIPES

PHILOSOPHIQUE S.

INTRODUCTION.

Craindre & defirer font les deux grands ref

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forts des actions humaines. Toute crainte fuppofe un mal. Tout defir fuppofe un bien. Quels font les vrais maux & les vrais biens? Quels font les moyens d'éviter les premiers, d'obtenir les feconds? Cette recherche fait l'objet principal de la philofophie, qui, fans exclure aucune vérité, a effentiellement l'homme pour étude, la fageffe pour but, la morale pour moyen, & peut s'appeller l'École du bonheur ou PArt de vivre.

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Les autres fciences n'ont qu'une utilité momentanée: celle-ci en a une conftante. — Elle est de tout pays, tout âge, tout état. Il n'eft aucun moment de notre vie, où elle ne puiffe nous fervir de guide, en indiquant, des devoirs à remplir, des plaifirs à goûter, des écueils à craindre. Elle annoblit notre exif

tence, éleve l'ame à fa fource, & la détache

Tome I.

A

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de ces pitoyables minuties, dont le vulgaire s'occupe & fe tourmente. Ses contemplations fourniffent fans ceffe à l'efprit, un aliment qui le fortifie, l'amufe & le confole. Son indépendence de l'opinion, fecoue la fervitude des préjugés, & celle des befoins imaginaires : elle enseigne à jouir des voluptés innocentes fans en être affervi, & prévient les regrets par la prudence. C'eft elle qui affure nos deffeins, qui rend notre profpérité plus douce, nos maux plus fupportables, &, qui alliant notre félicité avec celle d'autrui, verfe fur des fouffrances néceffaires les confolations de l'avenir. C'est elle qui apprend à fe foumettre avec réfignation aux décrets d'une Providence irréfiftible; à conformer fes vœux & fa conduite à fa fituation; à vivre en paix, en fûreté, avec foi & les autres; à fe pardonner fes propres inépties, & fouffrir avec douceur les injuftices des hommes, en les aimant, les plaignant, & les fervant.

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Comme tout s'altere fous la rouille des tems, le mot Philofophie a presque entiérement changé de fignification. De nos jours, la physique & les mathématiques ont ufurpé fon trône, déja envahi dans les fiecles paffés par l'obscure scho

laftique. Si Socrate, Epicure, ou Zénon revenoient fur la terre, & fi les Sages pouvoient s'étonner, ils feroient furpris d'avoir moins de prétentions au vrai favoir, qu'un Algébrifte ou un Distillateur (a).

Les anciens ne connoiffoient ni attraction, ni prifme, ni électricité, ni air inflammable; mais ils s'occupoient davantage du vrai & du jufte, du bien & du mal, du bonheur particulier & public, de l'origine des êtres & de leur tendance; mais en quoi ils nous furpaffoient fur- tout, c'étoit d'ofer joindre l'exemple, aux préceptes. Il est remarquable que le plus grand des législateurs, Licurgue, le plus grand des poêtes, Homere, un des premiers moralistes, Confucius, & la religion naturelle, la mieux fondée fur les notions de phyfique & de métaphyfique les plus abftraites, celle des Chaldéens, remontent également jufqu'aux bornes les plus reculées de notre certitude historique. En comparant les erreurs mêmes de la plus ancienne philofophie connue, avec la marche de l'efprit humain, on trouvera que fes écarts tiennent plus de la caducité du favoir que de fon ado

(a) Nous avons un traité sur le falpetre, intitulé : Fragmens philofophiques.

lefcence. Cela porteroit à croire qu'il a existé des peuples plus éclairés que nous.

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Nos découvertes modernes font intéreffantes, quoique moins prouvées qu'on ne le croit communément. Newton fut le premier des calculateurs, Boerhave un profond chymifte, Montgolfier un génie heureux; mais, dut on crier au profane, je leur refuse à ce titre feul celui de Philofophe. Newton fut auffi foible dans fes raisonnemens métaphyfiques, que profond dans fes calculs; il n'ofa rien conjecturer fur le premier mobile de cette attraction dont il fixoit les loix: il partit d'une caufe obfcure, dont les effets connus expliquoient peu, & replongea la phyfique dans les qualités occultes du péripatétifme, d'où fes prédéceffeurs s'étoient efforcés de la tirer.

L'obfcurité des matieres qu'il traitoit, la préfomption nationale des Anglois, & les éloges outrés de Voltaire, qui n'aimoit louer que les genres oppofés au fien, contribuerent plus à fa réputation que fon mérite intrinfeque.

Le vrai rang des ouvrages philofophiques, n'eft point fixé par le degré d'invention; mais par celui de l'influence fur le bonheur & la perfection du genre humain. C'eft fans

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