Ceci démontre incontestablement le peu de fûreté de la maxime commune, qu'il faut fuivre fa confcience. Soyons certains que c'est un mauvais guide, s'il n'eft lui-même dirigé. Lorfque chez les Grecs, les Carthaginois, & prefque tous les peuples du nord, on immoloit des victimes humaines, aux dieux Orus, Agraulos, Kronus, Melech, Thor & Woden, lorfque leurs autels découloient du fang de l'innocence, qu'une mere y facrifioit fa fille, un fils fon pere; ou plus modernement, lorfque dans cette foule de perfécutions religieufes, un compatriote égorgeoit fon compatriote, un frere un autre frere lorfque chez les Albigeois on pendoit, brûloit, mutiloit, lofqu'on empaloit de jeunes filles, qu'on leur arrachoit le fein, le rotiffoit, le mangeoit, c'étoit la confcience que des furieux croyoient suivre. Nous frémiffons au récit du banquet de l'antropophage, qui, après s'être vengé par une mort affreuse, change en aliment son ennemi vaincu: & barbares que nous fommes, nous ne penfons pas que notre hiftoire abonde en époques d'exécration, que nos lumieres & nos motifs rendent plus affreufes encore. - Mais fans remonter à ces fcenes d'horreurs, nous avons fans ceffe fous les yeux des preuves évidentes. de l'infuffifance de ce guide. La vérité n'eft qu'une, & la confcience varie à l'infini: elle eft autre à Rome, autre à Londres, autre à Conftantinople. L'exemple des deux nations les plus éclairées eft des plus frappans. On damne à Calais ce que l'on croit faint à Douvres. Ce qui, d'un côté du détroit, n'est qu'un morceau de bois fculpté a), ou de l'eau & de la farine b) eft de l'autre côté un objet de culte: on l'appelle bon Dieu, on fe profterne devant lui, & on le porte en triomphe. Mais plus en grand, il y a cent millions d'Orientaux, qui feroient dévorés de remords 's'ils avoient blafphémé contre Mahomet, & nous difons chaque jour, qu'il étoit un fripon, fans éprouver le moindre fcrupule De mê me il y a fept cent millions d'ames qui méprifent nos dogmes les plus effentiels; & font auffi perfuadés de la divinité des leurs, que nous des nôtres. Les confciences réunies des trois quart & demi du genre humain ne feroient donc pas un témoignage fuffifant. Le favoir a auffi fes préjugés comme l'igno rance: le Superstitieux croit trop, & l'Esprit fort trop peu. Il eft des erreurs de mode, & des vérités furannées, que l'opinion profcrit: l'homme met du préjugé jufques dans fes moyens de le détruire. Ariftote auroit-il cru que Newton décomposeroit un rayon de lumiere, & ce dernier auroit-il ajouté foi à la poffibilité d'un voyage aërien? Il y a deux ans qu'on plaçoit le projet de voler au rang des chimeres, & on s'éleve fous nos yeux à plus de quinze cents toifes. Qui fait de quel degré de perfection cette découverte eft fufceptible a)? & quels changemens cela peut amener. a) Dans les conjectures, publiées jufqu'ici fur les progrès poffibles de cette invention, il paroît qu'on ignoroit un calcul de Savérien, d'où il s'enfuit, d'après Newton, qu'à la hauteur de 22 lieues, l'air eft quatre fois plus rare qu'à la furface du globe. Si ce calcnl eft exact, on peut conclure avec beancoup d'apparence, qu'on ne parviendra jamais à s'élever jufqu'à une hauteur bien confidérable, puifque tout l'effet eft produit par la difproportion de gravité entre l'air extérieur & l'air contenu. Le payfan croit à tous les faux fignes de l'Almanach, & le demi favant n'ajoute pas même foi à l'influence de la lune: il écoute le premier avec un fourire de pitié, & cherche à lui faire comprendre, qu'un corps à 90 mille lieues de nous, & entiérement féparé du globe, ne peut abfolument pas influer fur lui: mais la conviction des faits eft au-deffus des conjectures. L'accroiffement des plantes fe hâte ou fe rallentit felon les phases de la lune, & l'océan nous donne une démonstration pofitive, que les mouvemens du flux & reflux de la mer, font en rapport avec ceux de cette planette, comme le cours du fang de tout un fexe s'accorde avec fes révolutions; & s'il differe en époques, par la différence du tempérament, il eft du moins égal en intervalles. Chacun le fait, & peu de gens réflechiffent fur ce que cela a d'étrange. Sans remon ter à des causes trop abftraites, il femble qu'on peut en affigner d'affez probables. Plus la lune approche du plain, & plus il y a de refrac tion plus il y a de refraction, plus il y a de lumiere; & il n'eft pas douteux que la lumiere, la chaleur & tout ce qui tient du feu, ne foit un des premiers agents de la nature, & ne puiffe opérer, dans l'air & les fluides, une fermentation productrice de ces effets. La foi a auffi fes contradictions, & une févere orthodoxie. Qui douteroit, encore de nos jours, s'il n'eft pas permis de perfécuter, rougiroit de croire aux infpirés, aux forciers, aux poffeffions, aux extafes, aux fonges &c. quoique leur existence & leur fignification foit établie en divers endroits de l'Ecriture, fans être pofitivement revoquées en nul autre. — Mais, fans entrer dans les détails d'un genre fur lequel je m'impofe un prudent & refpectueux filence, les exemples ci-deffus, auxquels il feroit facile d'en joindre nombre d'autres, doivent nous rendre circonfpects fur nos opinions, en nous perfuadant qu'il y en a moins de certaines que le fuperftitieux ne croit, & plus de poffibles que le commun des Philofophes ne pense. N'admettons rien fans examen, rejettons ce qui revolte la raifon, confions nous en ce qu'elle démontre, & fufpendons nos jugemens fur le refte. Refpectons toute opinion, fut elle fauffe, dès qu'elle contribue au bonheur de la fociété. Un préjugé utile eft plus raifonnable que la vérité qui le détruit. |