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nations, & les meilleures penfées des fages de tous les tems.

On divife la morale en Théologique & Philofophique. La premiere varie fuivant les croyances admifes: la feconde eft uniforme chez tous les peuples; parce qu'elle ne tire ses preuves que des fimples notions de juftice & de vérité, que l'auteur de notre exiftence grava dans nos ames, ou autrement la Raifon qui eft la faculté de difcerner le vrai du faux: Débile dans l'enfance, obfcurcie par les paffions dans l'âge mûr, refroidie dans le déclin des forces, altérée dans les maladies, & plus malheureusement encore directement oppofée dans la différence d'opinion des plus grands hommes fur les mêmes objets a): tout cela doit nous inspirer contre fes prononcés une fage déffiance. - Où trouver

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a) Ce contrafte dans la maniere de voir n'eft nulle part plus fenfible que dans les débats politiques d'un tribunal nombreux. Mais ici (comme ailleurs) l'oppofition dépend moins du degré d'intelligence que du mobile qui la met en action. L'un avife à ce qui eft profitable; un fecond à ce qui eft jufte, un troifieme à ce qui eft prudent. L'un eft timide, l'autre courageux; l'un ne confidere qu'ane claffe de citoyens, l'autre tout l'état, & le plus grand nombre ne s'occupe que de leur intérêt perfonnel, qui différe fuivant leur paffion dominante.

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une vérité qu'on n'ébranle à force de raifonnemens, ou une proportion abfurde, qu'on ne foutienne avec quelque probabilité.

Mais, malgré les incertitudes de cette raifon, c'eft cependant le feul guide à travers l'obfcurité morale: c'eft elle qu'on emploie pour perfuader de renoncer à elle. Et en effet, fi je ne la confulte, qu'eft - ce qui peut me garantir de l'erreur? Si je ne crois que d'après les ufages reçus, la foi de mes Inftituteurs, l'exemple de mes Ancêtres ou celui de mes compatriotes, mes principes dépendront du hafard de la naiffance. Je ferai antropophage chez le Cannibale, idolâtre chez le Payen, Mufulman en Afie, Chrétien en Europe, Catholique à Soleure & Proteftant à Berne.

Malgré cette étonante variété d'opinions, qui divife les hommes, il eft cependant des points de raison fur lefquels ils s'acordent Aucune nation n'a encore placé au même rang l'oppreffion & la bienfaifance, la probité & la fourberie, le favoir & l'ignorance, le courage & la lâcheté. C'eft dans ce fens qu'il faut prendre l'ancien proverbe: que la voix des peuples eft celle de Dieu.

Une remarque digne de toute attention

c'est que, nonobftant que tous les dogmes ont toujours trouvé plus d'incrédules que d'adhérents, qui les ont réfutés par des dogmes contraires, aucune fecte n'a cependant encore ofé attaquer les principes fondamentaux de la morale toutes les refpectent comme le foutien de la félicité particuliere & publique. Nos livres d'athéisme en offrent même des fragmens admirables.

Il est donc des principes indépendans des lieux, des tems, des circonftances, & de la certitude defquels nous avons pour garants l'unanimité des fuffrages de tous les peuples. C'eft ceux que nous allons chercher à développer.

DE LA VERTU.'

L'objet le plus important en philosophie, c'est

de fe former une idée diftincte de la vertu. Sans cette baze tout l'édifice chancelle, on fubftitue des devoirs imaginaires aux vrais, & l'on devient méchant en voulant être bon.

La Vertu ne peut jamais être que l'exercice du

bien.

Le Bien ne peut jamais être que ce qui contribue au bonheur général. ·

Donc la Vertu eft, tout penchant de l'ame tendant à la félicité publique.

De même. Le vice ne peut être que l'exercice du mal.

Le mal ne peut être que ce qui nuit au bonheur général. Donc le vice cft tout penchant tendant à la def truction de la félicité publique.

Nous difons publique ou général, parce que le petit bien doit être facrifié au grand, & qu'il eft poffible que ce qui eft utile à la partie, foit nuifible au Tout.

Nous difons Penchant; parce que c'est le motif qui nous guide, qui décide du prix de nos actions, & qu'elles peuvent être utiles fans être vertueufes: car fi avec l'intention de faire le mal, on produifoit le bien par igno. rance, on ne feroit guere moins coupable.

fe

Le defir feul, lorfqu'il eft bien déterminé, eft prefque équivalent à l'action. - Ne pas venger faute de moyens, ou crainte du danger; ne pas opprimer parce qu'on manque de pouvoir, font des effets du hafard, qui ne peuvent

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être imputés comme perfonnels, parce qu'ils font hors de nous. - De même une bonne intention, ou le defir fincere de faire le bien, fut il fans effet, eft toujours une Vertu lorfque le défaut d'exécution n'a dépendu que du fort; parce que nous ne pouvons être refponfables que de notre volonté.

Il eft auffi très - important de fixer avec exactitude l'idée de Bien général, qui eft compofé du plus grand nombre de biens particuliers. L'abus de ce mot n'eft que trop commun, & féparant de ce public un individu, puis une claffe, enfuite une autre, on finit par le réduire à rien. Nuire à un feul fans néceffité pour plufieurs, c'eft bleffer tout l'Etat : & fervir un feul ou quelques uns aux dépends du plus grand nombre, c'est crime, non Vertu.

Suppofons, par exemple, que, difpofant de la nomination d'une charge publique, vous l'accordiez à un incapable; vous étes un bienfaiteur envers lui, mais un deftructeur de la fociété, que vous attaquez dans ce qu'elle a de plus précieux, une bonne Adminiftration, & vous participez aux injuftices que l'ignorance ou la baffeffe de votre protégé lui feront commettre. Il n'eft point de regle philofophique qui

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