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Tout être qui fent, doit néceffairement être affecté agréablement ou péniblement. Dans le premier cas, il defire la continuation de ce qu'il éprouve; dans le fecond, il en defire l'abfence. Dès qu'il defire, il compare;

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dès qu'il compare, il raifonne: - dès qu'il raifonne, il juge: dès qu'il juge, il penfe. Penfer & fentir n'eft done qu'une même chofe. Les degrés d'intelligence dépendront de ceux de la délicateffe de cette fenfibilité, de la perfection des organes fur lefquels elle s'exerce, & du genre de befoins & de circonstances auxquelles elle s'applique. Si ce principe eft auffi vrai qu'il me paroît probable, il pourroit porter une nouvelle lumiere dans notre cahos métaphyfique, & fimplifier l'abftrait de notre théorie de l'ame.

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Le fyftème qui établit l'amour propre comme feul mobile de nos actions, eft devenu un des écueils les plus funeftes de notre philofophie moderne, en ce qu'il confond le vice & la vertu par l'égalité des motifs qu'il fuppofe. Divers auteurs en ont tiré des conféquences abominables, & fondamentalement deftructive des mœurs & de la probité: mais il femble qu'il eft facile d'oppofer à leurs fophifmes une

réflexion des plus fimples, & cependant des Car élevez votre ima

plus victorieuses.

gination au plus haut degré du fublime; tracez l'image la plus adorable d'un être fuprême; mettez pour base de tous fes décrets, la juftice, la bonté, la clémence, le facrifice de luimême, ou plus encore fi vous le pouvez. Eh bien! l'on peut répondre, d'après ces principes, qu'il n'y a aucun mérite à tout cela, aucun titre au refpect ou à la reconnoiffance; parce que cet être fuprême eft uniquement guidé par fon intérêt perfonnel, qu'il a placé invariablement à être ce qu'il y a de plus grand & de plus parfait dans l'univers. La Rochefoucault, Pafferano, Helvetius & tant d'autres auroient donc confidéré comme une imperfection dans l'homme, ce que nous fommes forcés de fuppofer faire partie de l'effence d'un Dieu même, quelque parfait que nous puiffions nous le représenter.

L'amour de foi ifolé n'eft ni vice ni vertu: c'est le but qu'il fe propose, qui déci de fous laquelle de ces deux claffes il doit être rangé. Tout homme, dont l'amour propre eft dirigé de maniere à contribuer au bonheur de la fociété, eft digne d'estime; comme celui qui

tend vers fa deftruction, mérite notre mépris, ou plus philofophiquement notre pitié.

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Un autre fophifme renouvellé par les modernes, quoique déja détruit par les anciens eft celui qui nous refuse la liberté morale, en fuppofant que nos penchans ne font point foumis à la volonté ni à la réflexion, & que nous fommes auffi néceffairement déterminés par les plus forts, qu'un poids de vingt livres. emporte celui de quinze, lorfqu'ils font en balance. Le faux éclat de ce principe dangereux eft continuellement détruit par la conduite journaliere de fes fectateurs mêmes: car fi tous les événemens ne font que le résultat du ha fard; fi la volonté eft néceffairement affervie par le concours fortuit d'une infinité de circonftances imprévues & inévitables, pourquoi ces indécifions, ces projets, ces calculs, ou ces regles de prudence? Si nous ne pou→ vions influer fur le cours des accidens, il feroit abfurde de réflechir, de combiner, ou même de pourfuivre un deffein quelconque: le plus stupide feroit auffi prudent que le plus fage; le plus fcélérat feroit auffi eftimable que le plus honnête, parce qu'ils ne feroient éga lement que de pures machines, qu'une nécef fité abfolue met en action.

La grande variété des penchans, provient de la différence d'organisation, ou de celle des lumieres. La premiere détermine nos goûts; la feconde nos idées fur le bonheur : l'une tient aux fens, l'autre à l'intelligence; & quoiqu'il y ait unité de tiges, elles fe ramifient à l'infini, fe féparent & fe rejoignent. - Il n'eft point de paffion fans mêlange : la dominante s'entrelace par des liens imperceptibles avec une foulè de fubalternes: C'est un écheveau embrouillé, difoit une femme d'efprit; lorfqu'on croit en devider un fil on caffe l'autre. - Il est probable qu'il n'eft pas deux hommes fur la terre parfaitement du même caractere, & chez lefquels les mêmes paffions agiffent de la même maniere:" mais il eft cependant des mobiles principaux, dont l'impulfion eft à-peu près générale.

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Pour mettre le vulgaire en mouvement, il n'y a que fix grands refforts; la crainte, la haine, la licence, l'avarice, la fenfualité & le fanatisme : il est rare que des motifs plus élévés aient prife fur lui. La plûpart des grandes révolutions fe rapportent à ces chefs principaux, toujours décorés des beaux titres de piété, patriotifme, ou amour de la gloire. Mais ce vulgaire une fois en fermentation, les

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moyens de la diriger deviennent plus compli qués & plus délicats. S'il eft aifé de l'émouvoir, il est bien difficile de le conduire, & furtout de rendre fes réfolutions & fes jugemens ftables. Quiconque forme de grands projets, dont le fuccès dépend de la faveur publique, doit toujours préférer les coups de mains aux longs fiéges, & l'apparence de la témérité à celle de la circonfpection. Etonner la multitude, c'est la fubjuguer à demi.

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On a comparé les paffions,, aux vents, qui

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enflent les voiles du vaiffeau, qui le fubmer » gent quelquefois; mais fans lefquels il ne » pourroit voguer". Ajoutons que la fageffe en eft le pilote, qui le guide à travers les écueils & les tempêtes de la vie. Exiger d'un homme paffionné qu'il agiffe toujours d'après les prin cipes de la timide prudence, c'est prétendre qu'un homme yvre ait la démarche affurée & ne chancele pas. En général les progrès de cette yvreffe reffemblent beaucoup à ceux du vin. On fe livre d'abord au plaifir d'une petite émotion, qui réveille les fens : — elle augmente peu à peu; la raifon devient plus confuse; la gaieté fe change en fougué; la fougue en délire l'épuifement fuccede, la léthargie

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