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aux paffions; mais il les dirige, au lieu d'en' être dirigé. Il n'eft point libre au milieu des fers; mais fon ame refte noble & indépendante. Il n'eft pas riche dans la pauvreté; mais le rétréci de fes befoins la rend moins onereuse. Il n'eft pas impaffible dans la douleur; il fent les maux, les craint, les évite; mais il n'y ajoute pas ceux de l'imagination & de la lâcheté. Enfin fon courage & fa fageffe ne font point inaltérables: il fuccombe & s'égare quelquefois parce qu'il est homme; mais il s'égare moins fouvent, moins long-tems, & fes écarts mêmes portent un caractere de force & de grandeur.

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Malheureusement nous avons en général plus d'aptitude à la peine qu'au plaifir: les grandes fouffrances peuvent être très-longues, les grandes jouiffances font pour l'ordinaire très-courtes; l'habitude les émouffe, & leur excès même se change en douleur. Il est peu de fituation plus difficile à fupporter pour les perfonnes les plus fenfibles que le comble de leurs vœux, fur-tout lorfqu'il eft inattendu : l'ame & le corps fuccombent à la fois fous les fecouffes réitérées d'un fentiment trop vif, & presque étranger à notre nature: on fe fatigue,

on fe tourmente, & on ne retrouve le repos que dans l'épuisement.

Le point central de notre vrai bonheur tient plus du calme que du transport: il forme la nuance entre une douce férénité & un petit attendriffement fur nous-mêmes. - Quels que foient nos efforts, nous ferons fouvent au deffous ou au deffus de ce point intermédiaire; mais, en cherchant toujours d'y rentrer, rappellons-nous que l'auteur de notre existence ne nous deftina point au repos : il a mis en nous un mobile d'activité, qui ne nous permet d'être heureux que lorsqu'il eft en mouvement. Le monde moral, comme le monde physique, eft fondé fur un principe de fermentation continuelle, dont les effets font auffi connus, que les causes incertaines & le but ignoré. Que l'homme ne fe flatte point d'un calme constant lors même qu'il eft le plus en paix avec lui & les autres, il faut qu'il foit remué par le fentiment même de fa tranquillité & de fon indifférence. Sans agitation, l'efprit tend vers la ftupidité, & fans mouvement,

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le corps tombe dans la langueur : un mélange modéré des deux, eft l'état de nature, & celui du bonheur.

Enfin, à ces altérations inévitables, n'en ajoutons qu'avec prudence de notre propre choix, outre que nos befoins & nos plaifirs different à mefure qu'on avance en âge a). Tout changement eft dangereux, & c'eft furtout en fait de pofition que le mieux eft fouvent l'ennemi du bien. On pourroit appliquer à la fortune perdue de beaucoup de gens, cette épitaphe angloise.

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I was well, would be better, took Phyfick, and died.

J'étois bien, voulus être mieux, pris médecine & mourus.

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a) Pour fervir à l'histoire de cette inconftance dans notre maniere de voir, je puis citer le paragraphe fuivant, extrait du journal d'un ami, & concernant une réfolution qu'il place aujourd'hui au premier rang des fottifes de fa jeuneffe. Si ton projet réuffit, n'oublies jamais l'ardeur avec laquelle tu en defirois le fuccès; le défefpoir où te mettoit l'idée feule des obftacles; la perfpective touchante que tu te formois de ce genre de vie. Ne te repends jamais de ta réfolution, & fi de nouveaux defirs d'un autre genre de bonheur, venoient s'emparer de ton imagination rappelle-toi, qu'il perdroit de même fon prix dès que tu l'aurois atteint. Jouis de ce que tu poffedes, penfes que la fource du bien-être eft au-dedans de nous, & fois de plus en plus perfuadé, que c'eft la vertu qui le donne que ton ambition fe borne à acquérir chaque jour quelque nouvelle perfection, & ta vanité en donner

à celle que tu chéris au deffus de tout.

CONSOLATIONS DANS

Vous

L'INFORTUNE.

ous étes malheureux, dites-vous. Exami minons impartialement fi vous l'étes en effet.Permettez que je queftionne, & que nous parcourions enfemble diverfes gradations d'adverfité.

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D'abord étes-vous malade, avez-vous faim, avez-vous froid; étes-vous fous le joug de la fervitude, ou expofé aux privations du premier néceffaire, ou, au danger de le perdre fi vous ne pouvez foutenir la continuité d'un travail pénible. Non, dites-vous: mais c'eft un bonheur de populace. J'en conviens, mais vous conviendrez auffi, que ces manants, ces ouvriers, ces efclaves, font des hommes comme vous; qu'ils ont même origine, mêmes paffions, mêmes droits au bonheur, & que plus des trois quarts du genre humain fe croiroient heureux s'ils pouvoient jouir a ces avantages auxquels vous n'attachez aucun prix. Si vous dépaffez cette claffe, commercez par ren

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dre graces à la Providence, de ce qu'elle vous a placé au deffus du niveau du bien-être com mun, dont notre efpece eft fufceptible.

Mais outre la position générale, il est des particularités affligeantes. Vous avez, ditesvous, le néceffaire de la nature, non celui de la condition. Pur préjugé! Votre condition eft exactement celle où le fort vous a placé : c'eft votre individu qui la fixe, & non la pouffiere de vos ayeux; fa mesure n'est pas ce qu'elle pourroit être, mais ce qu'elle eft en effet, & il eft impoffible que vous foyez jamais ni au deffus, ni au deffous. — Il ne faut pas toujours prétendre à être de la claffe de fon pere a). Si la fortune, qui fe plait à élever ce qui eft bas, & à abaiffer ce qui est haut, vous a donné moins de bien, moins de pouvoir qu'à

a) Cette opinion, qui détruit le bonheur d'une foule de perfonnes, qui font encore dans une pofition digne d'envie, eft plus particuliérement dangereuse pour un fiecle où l'égoîfme & le luxe, fecondés par les rentes viageres, immolent la poftérité, & facrifient le néceffaire des defcendans, aux besoins d'un vain étalage. Nos ancêtres 'confommoient leurs revenus: nous dévorons encore les capitaux. Cette manie doit nécessairement altérer le bonheur des familles, bouleverfer les rangs, augmenter l'inégalité, & amener ces révolutions, dont un fubit accroiffement de fafte, fut prefque toujours le préfage,

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