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Tout

DU BONHEUR.

out homme, dans tout ce qu'il fait, tend invariablement au bonheur : & s'il eft fi rare. c'eft qu'outre les imperfections de notre nature, on le cherche ordinairement où il n'est point, & qu'un faux jugement, infpirant de faux defirs, nous fait courir après la chimere, croyant pourfuivre la vérité.

Le bonheur eft plus dans le fentiment que dans la pofition, plus dans la maniere de voir que dans les chofes mêmes La fortune peut y contribuer, non l'établir: elle peut en donner l'apparence, non la réalité; fans quoi il feroit proportionel au rang qu'on occupe, & une expérience certaine prouve, qu'il y a plus de contentement dans les claffes mitoyennes, que dans les fupérieures, où les paffions font plus fortes, les befoins plus compliqués & les jouiffances moins naturelles. Comme notre rang ne dépend pas de notre choix, & que l'ambition eft un des premiers fléaux de la vie, il eft de la plus grande importance de nous con

vaincre de cette vérité; & heureufement il en eft peu qu'on puiffe démontrer avec plus d'évidence.

Chaque particulier ne peut être grand Seigneur; & c'eft une chofe affez indifférente. L'équité du fouverain Etre, a mis, entre les diverses conditions, une balance de biens & de maux, qui les rend prefque égales : les plus à plaindre font les deux extrêmes; la plus heureufe eft cette paifible médiocrité; également au-deffous de l'envie & au-deffus du mépris.

Un Grand est toujours en fpectacle; fa liberté fe perd fous l'obfervation publique. Il eft affervi par les farces de l'étiquette & les grimaces de dignité. Son cœur eft contraint dans les jouiffances les plus naturelles, comme celles de la confiance, de l'amitié, de l'amour; des foins de fubfiftance, & des douceurs domeftiques. Il eft blafé fur le fimple, émouffé par le facile, fes peines font vraies, fa gloire imaginaire; les foucis pesent fur fa perfonne, & les refpects portent fur fon titre, dont l'élévation mème multiplie les foins, les accidens & les dépendances. Le point de vue du bonheur des Grands, comme trop fouvent celui de leur mérite, eft en raifon inverfe du coup d'œil phy

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fique de loin ils nous paroiffent des coloffes; mais à mesure qu'on s'en approche, ils fe chan gent en pigmées. Si l'on pouvoit lire dans les cœurs & apprécier le contentement feroit fouvent furpris de voir où tombent les gros lots.

on

Une couronne n'empêche pas de vieillir cha que jour de vingt-quatre heures, & fi c'eft avec plus d'éclat, c'eft ordinairement avec moins de gaieté & de repos. Le campagnard ou le petit bourgeois, qui au foir d'une journée bien employée, prend le frais fur le feuil de fa porte, auprès de fa femme & de fes enfans; s'il pouvoit comparer & fouftraire la fomme des fentimens, tant pénibles qu'agréables, qu'ont éprouvé dans ce même jour la plupart des Monarques, il feroit étonné de voir que fon restant l'emporte fur le leur : & c'eft cependant la feule maniere de calculer fon fort; car de quoi peuton être envieux fi ce n'eft du bonheur?

Relativement à la vie commune, les richeffes n'ont pas des avantages plus affurés: elles font relatives à la claffe avec laquelle on eft obligé de vivre, & le plaifir de l'acquifition eft proportionel au bien déja poffédé. Un Roi jouit moins véritablement d'une province qu'il

joint à fa couronne, qu'un Marquis d'une paroiffe dont il étend fes terres, ou qu'un manœuvre de quelques arpents, qu'il ajoute à fon verger. Une petite fille elt plus heureuse par fon ruban, qu'une Princeffe par fes pierreries; & le faftueux, dont la table eft entourée de parafites, éprouve des plaifirs moins vrais que ceux du garçon de métier, qui, le diman che, dans une cave, paie bouteille à fon camarade.

Il y a jufques dans les conditions les plus déplorables de petits dédommagemens, dont on ne peut fe former d'idées fous un meilleur fort. Le prifonnier, l'indigent, le malade, ont des plaifirs inconnus à 'homme libre, riche, ou bien-portant; mais ils connoiffent auffi des fouffrances, dont l'horreur doit faire frémir d'être caufe.

Si on remonte à la fource des maux les plus communs aux hommes, on verra qu'ils proviennent pour l'ordinaire de leurs propres foibleffes. Prefque tous fe plaignent; & s'ils s'examinoient avec impartialité, ils trouveroient fouvent,, qu'en fe corrigeant eux-mêmes, ils

euffent corrigé leur fortune". Sans doute qu'une partie des revers dépend du fort: mais qu'on

qu'on pénetre dans les détails des fiens, & on fera prefque toujours forcé de convenir, qu'on y a beaucoup contribué: du moins y a-t-il toujours une reffource, qui devroit être en notre pouvoir; celle de les fupporter avec cette conftance & cette tranquillité qui caractérise les grandes ames. La plupart des maux ceffent d'ètre des maux, lorfqu'on refufe de les envifager comme tels. Qui eft ce qui fouffre le plus de la tempête? Eft-ce le lâche, qui, réfugié à fonds de cale, gémit, tremble, fe défefpere; ou bien l'intrépide, qui, du haut du tillac, fourit à la fureur des flots, & les défie de s'élever au def fus de fon courage? Si les mats fe brifent, file vaiffeau fe fracaffe, l'un s'engouffre à l'instant; mais l'autre voit encore des reffources, & peut même échapper: il faifit une planche, il joue avec ces vagues dont il eft le jouet; il brave froidement leur couroux, perfuadé qu'il eft foumis aux loix d'une providence équitable, & que ce qu'elle permet, ne peut être que bien. Au refte, quel mal peuvent elles lui faire? périr! Eh! vaut-il la peine de traiter si sérieufement une auffi petite chose.

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Epicure définiffoit le bonheur, Corps fans doulcur; Ame fans trouble. Nous ne pouvons

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