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obligation de plus de la remplacer par quelque agrément de l'efprit ou quelque qualité du cœur. Elle n'ajoute pas aux dégats des an nées, les dégoûts de la négligence; fa parure, toujours foignée, eft autant au-deffous de la magnificence qu'elle eft fupérieure en goût & en propreté.

Dans leur maison, montée d'un degré au deffous de leur fortune, regne une faine & commode abondance: tout y tend à jouir, & rien à briller. L'augmentation de lumieres n'a fait qu'ajouter plus de zele & d'importance à fes devoirs de mere de famille. C'est en établiffant dans fon ménage beaucoup d'ordre & une fage économie, qu'elle acquit en partie fon afcendant fur fon époux. Cet efprit d'or dre fur des bagatelles femble être peu fignis fiant; mais elle connoît les hommes, & comme ils font incapables de certains petits foins, ils leur plaifent, & leur en impofent; & à l'égard de l'économie elle eft le foutien de l'aifance comme celui de la libéralité; elle l'étend juf ques fur elle-même, & fouvent fe refufa à des dons trop précieux. La fimplicité eft fon fafte, la fageffe fon ornement & la paix fa rés compenfe,

Un devoir plus facré, dont ils partagent les peines, ou plutôt qu'ils ont changés en plaifir, eft celui de l'éducation de leurs enfans. Pour s'y rendre plus propres, ils lifent enfemble les meilleurs traités fur cet objet: en foumettant la théorie à l'expérience, & l'art à la nature. Ils laiffent agir la derniere rélative, ment aux maximes douteufes, & ramenent les autres au principe fondamental, d'élever fon fils comme l'on voudroit avoir été élevé foimême, &,, fa fille comme on defireroit que fa femme l'eût été."

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Ils cherchent à les guider au bonheur par la route de la vertu, & déja dès leur enfance ils s'efforcent d'adoucir cette vie qu'ils ont donnée, qui trop fouvent n'eft qu'un don funefte, & toujours un très-dangereux. Ils s'attachent plus à former leur cœur que leur génie, plus leur raifon que leur mémoire, moins à les rendre favants qu'honnêtes, moins riches qu'heureux; & en leur enfeignant l'art de faire fortune, on leur enfeigue fur-tout l'art de fe paffer de fes dons. On attendrit leurs fentimens par l'amitié ; on hâte leur intelligence par de petites commiffions au-deffus de leur âge; on les éleve à leur propre yeux, par la

confiance

confiance; & cette eftime qu'on leur témoigne, les engage à la mériter. Nul ordre dont on n'indique le but, nul reproche qu'on ne motive; l'exemple fe joint au précepte, & la fermeté à la douceur.

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On exerce leur courage, les aguérit contre l'opinion, tourne le fafte en ridicule, & les familiarife avec l'idée des befoins, de la douleur & de la mort. On développe leur jugement par des objets à comparer, des faits à apprécier, & de petits problèmes moraux à réfoudre. Leur éducation a principalement pour but, de leur former une fageffe, une tranquil. lité, & une vertu d'habitude, qui, jointes à une profonde foumiffion aux décrets de la Providence, leur tiennent lieu de philofophie, également fur les devoirs comme dans les peines de la vie.

Jufques là les mêmes principes peuvent être à-peu-près communs aux deux fexes. La nature y mettra toujours quelque différence dans les effets. L'éducation publique paroît plus propre aux garçons, la privée plus faite pour les filles: l'une hâte l'expérience, l'autre difpofe à la vie fédentaire. L'ufage admet, que les femmes ont moins befoin de connoiffances Tome I. Dd

& en effet, il femble que leur pofition fubordonnée exige moins de lumieres. Il y a tou jours quatre à parier contre un, qu'un mari fera un fot, ou pire encore: malheur à celle qui faura trop bien l'apprécier! Plus faites pour fuivre que pour diriger; la modeftie, la douceur, la complaifance, paroiffent les qualités les plus favorables à leur propre bonheur & à celui de leurs alentours. D'ailleurs trop d'élévation dans les vues pourroit les dégoûter de divers foins domeftiques, qui, malgré leur petiteffe apparente, n'en font pas moins indifpenfables au maintien des familles.

Edmond & Lucile ont partagé leurs fonctions. Le premier dirige l'utile, la feconde l'agréable; l'un ordonne en grand, l'autre veille au détail. Elle est plus aimée, il est plus craint; mais on les eftime tous deux. Les coups d'autorité partent de lui, & fes volontés font plus décifives: il femble être le maître, elle eft l'amie, la confidente, la médiatrice; elle regne plus par attachement que par pouvoir; elle donne plutôt des confeils que des ordres; elle joue un peu la foibleffe, permet d'en abufer, fait toutes les petites fottifes, feint de les cacher, fe charge des excufes, ménage les rac

commodements.

Lucile dit à fon fils :

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faites la révérence, tenez vous droit, lavez vos mains, foyez difcret, poli, délicat. Edmond lui dit: Sois integre, acquiers des lumieres, chéris ta patric, & ne trembles jamais. Lucile dit à fa fille: Etudie les grâces; cache tes fentimens, & redoute les hommes. Edmond lui dit: Devenez bonne ménagere, exercez-vous dans la patience, & fi jamais vous avez un amant, rappellez-vous que votre pere eft votre meilleur ami.

Ainfi s'écoulent leurs jours dans le calme & l'innocence. Ils béniffent l'heure de leur premiere union, contemplent avec un courageux efpoir celle qui les féparera, & un fentiment religieux s'élançant au ciel, y porte fouvent l'hommage commun de leur reconnoiffance, qu'ils témoignent fur-tout en fe rendant chaque jour plus dignes de fes bienfaits.

Fin du tome premier.

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