Page images
PDF
EPUB

pagne les foins les plus affidus. Après plufieurs années de mariage il en a encore des faveurs. précieuses à attendre: mais elles font d'un genre peu recherché. Il s'agit d'obtenir, ou qu'elle s'efforce de fe défaire de quelque défaut, ou d'acquérir un talent, d'étendre une vertu, ou de donner fon confentement pour quelque procédé généreux. Un amant n'eft pas plus at tentif à plaire à l'objet qu'il veut féduire, qu'Edmond ne l'eft envers celle qu'il veut perfectionner. Au ton d'égards & de politeffe qui regne entr'eux, un étranger devineroit difficilement l'efpece de lien qui les unit: ils pa roiffent fans affectation être l'un pour l'autre ce qu'ils aiment & refpectent le plus, & favent fe donner en public de ces petites preuves de confidération & d'attachement, qui, prefque imperceptibles, n'en font que mieux fenties, & plus flatteufes. Leur préfence réciproque eft un témoin impofant, dont la crainte du blâme éloigne les foibleffes, & l'efpoir d'approbation porte à l'exercice du bien. Un acte de générofité envers quelque malheureux, fut fouvent le fceau d'un petit raccommodement, comme il fut un hommage de reconnoiffance pour le bon heur dont ils jouiffent.

Mais quelque parfait qu'on foit, on a fouvent des torts & des momens d'oubli: ils n'exigent point l'impoffible l'un de l'autre, & font toujours difpofés à fe fupporter, & fe pardonner. Au fortir de leurs plus vives diffenfions on ne les entendit jamais répandre leur humeur dans le public: qu'eft ce qu'il a de commun avec une querelle de ménage? Ils fe rejoignent l'inftant d'après avec autant de calme que s'il ne s'étoit rien paffé entre eux: la paix eft faite fans explication. Ce ton fimple eft un aveu tacite qu'on reconnoît fes torts, ou qu'on les excufe, & cet aveu fut toujours bien reçu. I eft rare qu'elle s'offenfe dans leurs petits différents, encore plus rare qu'elle cherche à le piquer. Qu'y gagneroit-elle que de l'indifpofer davantage? Le filence eft fon injure, la douceur fon arme, & les bons procédés fes reproches. Elle peut lui témoigner de l'afflic tion, non de la colere: la premiere vient du fentiment, la feconde de l'orgueil. Mais évitant les extrêmes, fa complaifance ne tient ni de la fadeur, ni de la crainte, ni de la fervitude. Qui s'abaiffe trop ne flatte plus l'amourpropre, & qui ne fait pas garder fa dignité in vite au mépris.

Edmond n'a pas moins gagné que Lucile à leur commerce réciproque. Sa douceur calme fa promtitude, fa gaieté tempere fon férieux, fes graces brillantent fa raison, fa foibleffe retient fa témérité ; & de leur concours naît la prudence. Elle le rend aimable, il la rend eftimable; il la fait refpecter, elle le fait chérir; elle adoucit fes peines, il éleve fes fentimens. Il fe confole dans le fein de leur amitié & elle repofe doucement fous l'appui de fa force, de fon habileté, de fon courage, & de la confidération qu'on lui accorde. Elle foumet fes principes à fes lumieres, elle fait qu'il peut s'égarer, mais moins fouvent que fon défaut d'expérience. Qu'un Dieu lui demande compte de ses actions, elle répondra, j'ai suivi le guide que vous m'aviez donné.

[ocr errors]

Si commander a fes douceurs, être dirigé a auffi les fiennes: cela fauve le tourment de l'indécifion, qui eft un des premiers fléaux de la vie. Si l'on examinoit de près la plûpart des chagrins, on trouveroit qu'ils fe réduifent à être indécis. C'eft le combat des volontés contraires, qui, s'entre-choquant au-dedans de nous, y porte l'agitation, le doute, l'angoiffe. Qu'une de ces volontés l'emporte fur les au

me.

tres, le calme renaît, & être heureux n'eft le plus fouvent que d'être d'accord avec foi-mêIl n'eft pas rare de remarquer chez les filles, dont la pofition femble être faite pour la dépendance, que lorfque quelque évé nement les y fouftrait, elles ne favent que faire de cette liberté, qui leur paroiffoit un bien fi defirable. Elles s'agitent, s'inquietent; ce font des enfans, auxquels on délie les bras après les avoir longtems tenus emmaillottés, & qui, méconnoiffant leur ufage, gefticulent à tort & à travers, fe heurtent contre le berceau, ou se frappent contre le vifage; puis pleurent, fe fâchent & femblent accufer tout ce qui les environne.

Lucile s'étudie à rendre fa maifon agréable. Edmond y revient toujours avec plaifir; il lui femble, qu'il rentre au port. Elle écoute avec intérêt fes projets d'ambition, le ramene fou vent fur les objets dont il parle volontiers, s'informe quelquefois des affaires dont il s'oc cupe, témoigne du refpect pour fes fonctions, de l'eftime pour fes talens, & encore plus pour fa probité. Elle ne veut cependant pas tout favoir: elle fermeroit même les yeux fur quelquelque écart de galanterie, s'il étoit capable

d'en commettre: elle fait que la différence des fuites ne rend pas les obligations réciproques 'entiérement égales; mais Edmond 'ne met ja nais cette indulgence àl'épreuve.

- Elle recherche fes goûts, les prévient par de petites attentions inattendues, veille fur fa fanté, & étendant ce foin jufqu'au facrifice, elle fait fe refufer avec grâces à l'abus des plaifirs, comme elle fait en relever le prix par une tendre complaifance, par les charmes de la délicateffe, & le touchant de la fenfibilité. Rien de ce qui peut contribuer à fon bonheur, nè Jui paroit au-deffous de fon étude.

Sévérement en garde fur la réputation, Lucile ménage jufqu'à l'apparence. Elle fait qu'il ne fuffit pas à fon honneur & à celui de fon Epoux, d'être fidelle; mais qu'il faut encore être eftimée comme telle. Le danger eft paffé, le fouvenir de fa conduite refte. Le cours rapide de la jeuneffe a enlevé fes appas. Ses dents fe gâtent, fes cheveux tombent, fon teint n'a plus de fraîcheur, fa gorge eft flétrie, fa taille devient lourde: elle peut encore paroître belle; mais fon mari fait qu'elle ne l'eft plus, & elle ignoré qu'il le fait. Au reste chaque beauté qui lui échappe, femble être une

« PreviousContinue »