Page images
PDF
EPUB

défense dans fes principes. On bouleverfe tou tes fes idées, émeut toutes fes paffions, entre-choque tous fes fentimens. On l'étourdit, l'endort, & la tendre victime ne peut comprendre à fon réveil, comment elle a pu pasfer fi rapidement à une condefcendance fi peu prévue. D'autresfois les gradations de fa défaite font fi infenfibles, qu'elle atteint la derniere fans s'être prefque apperçue d'avoir fait un feul pas bien hafardé.

Une

Heureufement que ce n'eft pas dans l'adolefcence qu'on eft le plus dangereux. marche fine & fuivie eft au-deffus de la préfomption, de la fougue, & de l'inexpérience du jeune homme, qui eft plus fouvent féduit qu'il ne féduit lui-même. - Il est encore dans cet art des artifices bien plus déliés, plus irrésistibles; mais, outre le danger de les indiquer, ils ne font pas du reffort de notre fexe: il faut être femme pour les fentir, & avoir leur délicateffe pour les peindre. Ce n'est cependant qu'en leur découvrant les nôtres qu'on leur apprendra à les parer.

Les écarts de vertu en tout genre, ont àpeu près la même progreffion, que la plus commune en volupté. Une jeune innocente fe ré

volte d'abord contre une indécence, dont l'idée feule la fait frémir; mais cette image eft fi répétée, qu'elle devient moins hideufe: elle cede enfin avec répugnance; la douleur combat le fentiment, & la crainte le plaifir. Chaque nouveauté la révolte, & ne s'obtient qu'avec peine; mais dans peu elle s'y habitue; fa complaifance n'a plus de bornes, fa pudeur n'a plus de voile. Elle parvient à confidérer comme une chofe très- fimple, ce qui l'eft peut-être en effet. Elle va plus loin encore: elle raffine, invente, feconde, & va même quelquefois jufqu'à afficher le bonheur dont elle jouit, & tirer gloire d'une publication, dont l'idée feule l'eût d'abord mise au défespoir. De même

dans la plupart de nos foibleffes, les paffions reffemblent au féducteur qui attaque, la raifon, à la pudeur qui réfifte, & malheureufement elle n'eft guere moins fragile. Rien n'eft plus éloquent que l'homme qui cherche à fe tromper lui-même.

Ce feroit ici l'endroit d'indiquer les préfervatifs contre des fens trop inquiets ou les dangers d'une paffion forte; mais la morale ne connoit malheureusement que quelques palliatifs momentanés, dont les principaux font, le tra

vail, la fobriété, fe lever matin, fe refufer aux penfées, aux difcours, aux lectures, & fur-tout aux regards voluptueux; chi non mira, non fofpira; fe rappeller fouvent qu'un moment de plaifir peut fe payer par des années de regrets; s'efforcer d'étouffer une paffion dans fa naiffance, en fuir l'objet, éviter la folitude, rechercher le commerce de femmes auffi aimables ou plus belles. Enfin je ne fais fi pour éviter de plus grands maux, on ne pourroit pas avoir recours à un libertinage honnête &raifonné, qui, d'accord avec la prudence & la probité, cherchat un remede contre l'amour, & contre des écarts qui pourroient troubler le refte de la vie. En fatiguant fes fens, on repofe fon cœur; .

[ocr errors]

l'on fe ménage un inftant de froide raifon, dont l'effort peut prévenir notre perte. L'heure la plus propre à réfléchir fur le projet d'époufer ou de féduire une fille, feroit peut-être celle ou l'on fortiroit des bras d'une autre a).

Avant de terminer ce chapitre je dois honnêtement prévenir mon lecteur, que je viens

a) On m'a affuré à Venife, qu'il n'étoit pas rare qu'un pere entretint une fille à fon fils, pour le préferver des dangers du libertinage, ou de ceux d'une paffion forte,

de traiter les objets relatifs à ma foibleffe dominante, & qu'il eft affez probable que l'égoïfme fe mèle dans ma maniere de voir. Je l'engage à fe défier de mes conjectures, & à ne les admettre qu'après mure réflexion. J'ai cherché à être vrai je fuis prefque fûr d'avoir été fincere; mais quel homme eft parfaitement équitable lorsqu'il juge fa propre caufe?

VIE DOMESTIQUE.

TOUTI

OUT nous renvoie naturellement au centre de notre famille. C'eft la premiere & la derniere des liaisons. On y naît, on y meurt: malheur à qui ne fait pas y vivre ! Les maladies, les revers, la vielleffe nous y fixent. Plus on avance en âge, plus on en fent le befoin: plus on eft raisonnable, & plus on en connoît le prix. C'est une fociété habituelle, une retraîte fimple, un afyle contre les dégoûts du grand monde, &, imprudens que nous fommes au lieu d'embellir, d'étendre, d'affurer ce paifible refuge, nous le faliffons, nous le

devaftons, & en rendons l'accès de plus en plus difficile.

Le traît le plus hideux de dépravation moderne, eft celui du mépris affecté envers les jouiffances domeftiques. Le prétendu bon ton étouffe la nature, & voulant fe mettre au-deffus d'elle, fe place au-deffous. Malgré tous les farcafmes d'ames mortes pour le vrai, pour le fimple, & qui envient aux autres ce qu'elles ne peuvent plus goûter, les plaisirs intérieurs du ménage feront toujours la fource la plus naturelle du bonheur. Mais telle eft la loi févere du deftin, que les plus grandes jouiffances coûtent le plus d'efforts pour les acquérir.

La continuelle obfervation fous laquelle on vit dans la vie privée, démafque néceffairement une foule de foibleffes qui diminuent l'estime de celui qui les découvre, & la confiance de celui qui les étale. L'efprit comme le corps ne fe montre en public qu'après avoir fait toilette; au lieu que, dans le particulier, il cache difficilement fes rides, fa paleur, fon chauve, & le flafque de fes formes. D'un côté on a moins de difpofitions à admirer; de l'autre moins d'efpoir de l'ètre: & comme on ne se plait qu'au-près de ceux auxquels l'on croit

« PreviousContinue »