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DE L'AMITIÉ.

Ceft un fentiment de préférence,

vers.

produit

par un rapport de caracteres, ou quelquefois par un contrafte animant, & foutenu par les douceurs du commerce. C'eft un échange d'attachement, de complaifance, d'égards récipro ques; de confeils dans l'embarras, de fecours dans le befoin, de confolations dans les reL'amitié double l'existence, les forces, les lumieres, l'appui. Rien de plus doux que ce libre épanchement de penfées, d'opinions, de craintes & d'efpoir, dans le fein d'un ami fûr & éclairé : les paffions s'y calment, les idées prennent plus d'ordre, la raifon s'y fortifie, les peines deviennent plus légeres, & les plaifirs plus touchans. On n'eft presque dans le monde que ce que nos amis nous y font.

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Ariftote a défini l'Amitié une ame dans deux corps: mais Marmontel l'a peinte d'une maniere plus conforme à l'égoïfme & au relâchement de

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nos mœurs.

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J'appelle amis ceux qui aiment

à me voir, qui, difpofés à me pardonner ,, mes foibleffes, à les diffimuler aux yeux

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d'autrui, me, traitent absent avec ménage,, ment, préfent avec franchife: & de pareils amis ne font pas fi rares.

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Notre ton de fociété eft trop répandu pour favorifer ce fentiment. On a trop de connoiffances fuperficielles pour fentir le befoin des liaisons intimes. On eft libertin & volage en amitié comme en amour: ce n'eft que dans la folitude ou dans le malheur, que ces paffions, & fur-tout la premiere, acquierent leur force naturelle. Il eft facile, dans les deux, de faire des conquêtes; mais bien difficile de les conferver. On ne maintient un fentiment que par les mêmes moyens qui le firent naître; mais l'on fe néglige peu à peu: au lieu que la politeffe devroit adoucir la familiarité, prévenir l'inattention, & ne jamais exiger comme un tribut les complaifances qu'on veut bien accorder.

On ne doit point fe borner aux fervices effentiels; les petites prévenances font d'un ufage journalier, & il eft certaines preuves indirectes d'attachement, auxquelles on eft

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plus fenfible qu'à d'autres plus marquées; parce qu'on peut moins les fuppofer d'être feintes. & qu'elles femblent plutôt échapper au senti ment, que réfléchies par Padreffe, ou dictées par le devoir.

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L'intimité découvre néceffairement une fou le de petits défauts, fur lesquels elle doit jetter le voile de l'indulgence, en fe rappellant les fiens propres. C'eft en fupportant, qu'on acquiert le droit d'être fupporté. Un autre devoir, que l'infamie feule diffout, c'eft la difcrétion fur les fecrets confiés. Cette obli gation n'eft point détruite par la rupture, fut elle fuivie de la haine la plus méritée. Il y a une autre difcrétion, qui confifte à ne se permettre ni exiger plus qu'on ne fe doit ré ciproquement: elle fe fent mieux qu'elle ne fe définit, & fes préceptes font d'un genre fi délicat, qu'ils ne pourroient être compris par ceux dont le tact moral ne les devine pas.

Plus l'amitié eft précieufe, plus fon choix eft important. On nous juge en partie fur nos liaifons d'ailleurs les maladies de l'ame font auffi épidémiques que celles du corps. On prend peu-à-peu les opinions, les vices & les vertus de ceux qu'on fréquente habituellement.

On devient foible avec le lâche, dur avec le méchant, & défintéreffé avec le magnanime. » Les mauvaises connoiffances ne fervent à rien, tant qu'on les conferve, & nuifent lorfqu'on veut y renoncer a). Eft-on réfolu à cette féparation? Il faut amener les chofes de loin; éviter l'éclat, perfuader que c'eft elles qui vous quittent. Les fots fe brouillent, les gens fenfés ceffent de fe voir.

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Le choix de nos liaisons ne depend pas toujours de notre arbitre. On fe trouve fouvent, par emploi, par naiffance, & par parenté, lié à très mauvaise compagnie. Il n'en eft pas de plus dangereufes que celle des efprits faux ou méchants, fous l'autorité defquels on eft obligé de vivre, & auxquels on eft, par - là même, plus intéreffé à plaire. Leur exemple eft prefque irréfiftible. Celui du prétendu bon ton eft pref que auffi dangereux, d'autant plus que le défaut de jufteffe, & le hideux des principes, est coloré des grâces de l'efprit, & d'un air d'affurance qui en impofe. On redoute en outre le ridicule dont on cherche à couvrir toute penfée qui n'eft pas au ton du jour. Les travers

a) Dialogues Socratiques.

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du vulgaire font moins communicatifs : on les obferve avec peu de prévention, de defir de plaire, ou d'imiter. Nombre de perfonnes ne voient dans leurs inférieurs, foit de rang, foit d'efprit, que des pies qui jafent, des finges qui fe répetent leur caquet ou leurs grima ces, ne laiffent que peu d'impreffion. On peut les aimer & les méprifer, les fervir & les plaindre, & fouvent fe croire feul au milieu de la foule.

Les claffes qu'on fréquente devroient fe varier. Un commerce continuel avec des fupérieurs avilit à la longue, lorsque l'autorité, la dépendance, l'air de protection, ou pire encore, Pair de dédain de tout ce qui nous environne, concourt à nous abaiffer: on devient poli, fouple & agréable; mais foible, rampant, flatteur & ambitieux. Le commerce avec nos égaux n'eft pas affez foutenu par le defir de plaire, il fait tomber facilement dans la froideur, l'indolence & l'envie; & celui avec nos inférieurs rend tranchant, décifif, haut, impérieux leur flatterie nous perd, l'orgueil nous égare, & l'habitude de dominer rend toute autre fociété difficile. En outre, dans les

rangs fubalternes, quel que foit le mérite des

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