Page images
PDF
EPUB

fe trompe rarement fur fes fecrets motifs. Il entend presque toujours autrement qu'on ne parle, il voit autrement qu'on ne fait, & lorsque vous paroiffez aller là-haut, il coupe là-bas, & vous attend au détour.

Un role bien neuf, au milieu d'une Cour corrompue, feroit celui d'un homme de lumieres & de crédit, qui, n'ayant rien à craindre ni à espérer, oferoit porter les grands principes du Droit naturel jufqu'aux pieds du Trône, qui, indépendant de la faveur ou de la haine, démasqueroit la feinte, foutiendroit l'innocence, combattroit l'oppreffion, & oferoit en tous tems dire la vérité. ,, J'aime, entre les ga,, lants-hommes, dit Montaigne, qu'on s'expri,, me courageufement, que les mots aillent où va la penfée. Il nous faut fortifier l'ouie & la durcir contre cette tendreur du fon cérémonieux des paroles.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Moins on eft foible, & moins les ménagements dans les discours deviennent néceffaires. Le flatteur ou le timide confiderent comme un mal-adroit, l'ame généreufe, qui ofe penfer haut: elle le feroit en effet, fi fon but étoit le leur, ou fi fon defir de s'élever, n'étoit fubordonné à celui d'ètre juste & vrai. Vous

l'appellez imprudent, parce qu'il vous a déplu; mais qui vous a dit, qu'il cherchoit à vous plaire? Il faifoit mieux, il vouloit vous fervir, ou vos dépendances: il femoit peut-être dans votre cœur des germes d'équité, ou y verfoit le contre-poifon de quelques erreurs dangereuses. Finalement il n'avoit pas befoin de vous ni de votre approbation, & il penfoit peut-être qu'il ne falloit pas tant se gêner, puisque fi peu d'hommes en valent la peine.

Ce qui rend la plupart des conversations si infipides, c'est qu'il y a peu de gens qui aient la force de réfléchir par eux-mêmes, ou le courage de fe répandre avec fincérité. Le plus grand nombre de leurs penfées paroiffent des copies du même original; toutes leurs phrases femblent des jets du même moule; & lâches échos les uns des autres, ils n'oferoient produire leurs propres maximes ou leurs propres fentimens? Heureux fi l'efprit d'imitation & l'habitude d'être dirigés, leur permet d'avoir encore quelques opinions qui leur appartiennent. On peut deviner chez beaucoup de perfonnes, qui elles ont fréquenté le même jour; parce qu'elles changent auffi fouvent de maniere de voir que de compagnie, & que les Ta

derniers qui parlent leur paroiffent toujours les plus judicieux, lors-même qu'elles les ont le plus contredit.

[ocr errors]

La franchife porte avec elle un caractere de force, de bonhommie & de dignité. Elle eft plus tranquille, parce qu'elle ne craint pas d'ètre pénétrée: elle eft plus aifée, plus naturelle; parce qu'il eft facile de paroître ce qu'on eft en effet: elle favorife les affaires.

[ocr errors]

parce qu'elle infpire la confiance:

elle tire d'une foule d'embarras, où la feinte fuccombe, en difant fimplement les chofes telles qu'elles font, les obftacles qui s'oppofent, les motifs qui déterminent: elle eft plus éloquente; parce que la vérité porte la perfuafion avec elle: elle eft prompte dans fes deffeins, parce qu'elle marche droit, où la rufe fe perd en détours. Cette derniere eft au-deffus de l'homme médiocre, parce qu'il emploie mal l'artifice, & au-deffous du grand homme, parce qu'il n'en a pas befoin. Mais la franchise n'exclut pas la néceffité d'une fage difcrétion. fans doute un devoir de ne pas feindre; mais c'en eft auffi un de ne pas fe livrer fans réferve.

6

C'est

Un noble aveu de fes torts, lorsqu'on a

[ocr errors]

[ocr errors]

le malheur d'en avoir, fait partie de la franchife- Voici un trait du feu Maréchal d'Armentieres, qui n'eft conftaté que par des ouidire; mais qui paroit d'accord avec fon caractere violent, ruftre & loyal. Il inspectoit un Régiment, & venoit d'indiquer un nouveau paffage du défilé, dont il fuivoit l'exécution à la fortie de la porte de la ville. Un Officier manqua; le Maréchal va fur lui avec emportement, & lui tint les propos les plus durs. On fe rendit fur la place d'exercice, où, dans un moment de repos, l'Officier navré s'en tretenoit avec un groupe de fes camarades. Mr. d'Armentieres les voit, defcend de cheval, & va vers eux. Ils veulent regagner leur rang: il ordonne qu'ils reftent. Te voilà bien affecté, lui dit-il, (il avoit l'habitude de tutoyer) n'est-ce pas à moi de l'être d'avantage, moi, qui ai tort. Si tu l'exiges, j'oublie mon grade, & je fuis prèt à te donner fatisfaction; mais qu'y gagneras-tu? Si je te donne un coup d'épée, chacun fe f... de toi; fi tu m'en f... un, il n'y a point de gloire à gaguer avec un vieux penard, qui fe remue avec peine..... Crois-moi, fois bon garçon, agrées mes excufes, & viens dîner avec mọi. L'OF

[ocr errors]

ficier touché, ne put répondre que par une larme, qui lui échappa,

DE LA MÉDISANCE.

CE genre de converfation est malheureuse.

ment des plus familiers, & fon influence des plus directe fur le bonheur particulier. Il y auroit fouvent moins de barbarie à poignar der un homme, qu'à prononcer un mot, qui, répété, renforcé, répandu, fe transformera peuà-peu en calomnie atroce, & le perdra d'honneur pour toujours.

Le bien que nous disons d'autrui, eft presque toujours vrai: le mal eft fouvent faux, ou du moins exagéré. Ce dernier fe répand avec une rapidité incroyable; le premier ne fil tre qu'avec lenteur, à travers les obftacles de T'envie & de la méchanceté. Il eft commun de trouver des perfonnes qui ne font difcretes que fur les faits louables, comme il en eft beaucoup d'autres qui font fi prudentes, qu'elles n'ofent ni obliger ni défendre un ami.

« PreviousContinue »