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repréfente, nous le fommes cependant beaucoup plus que notre amour propre ne l'imagine; même affez pour jetter du ridicule fur les lumieres que nous n'avons pas, & pour que la vraie fcience, qui eft un appui ailleurs, devienne fouvent chez nous un motif d'exclufion. On y poffede affez communément un favoir de petits détails & de circonftances locales, dont l'ufage ne s'étend pas au-delà du diftrict de la métropole, & qui font d'un homme très-fenfé chez lui, un homme très-borné quelques pas plus loin; parce que fa capacité n'embraffant que quelques lieues d'étendue, ignore ces principes généraux, qui s'appliquent à tous les tems & tous les lieux.

L'hiftoire littéraire de la Suiffe, particuliérement celle de ce fiecle, offre à la fois un contrafte bien humiliant & bien honorable. C'eft que, quoiqu'il eft peu de pays, où les lettres trouvent moins de gloire & d'encouragement; peu, où cet efprit philofophique, qui eft l'ame des fciences, ait moins pénétré; peu, où le coeur foit plus froid, l'imagination plus lente, il n'en eft cependant point, qui, en proportion d'une circonférence auffi rétrécie, ait produit autant de grands hommes. Haller, Lambert,

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Gessner, Tiffot, Lavatter, Zimmermann, Euler a), font des génies du premier rang, aux quels il feroit facile d'en ajouter une foule du fecond on peut auffi joindre Rouffeau, Bonnet & d'autres, nés chez nos alliés; mais Geneve feroit ici une exception, étant probablement la ville de l'Europe où il y a le plus de lumieres, & peut-être une de celles où il y a le plus de vigueur morale, fi l'efprit mercantil, le luxe & la foibleffe qui les accompagnent n'en réprimoient pas l'effor, & fi l'abus de la Philofophie & le relâchement de certain principes, n'y fomentoient l'égoïfme, & n'y détruifoient pas la confiance réciproque.

a) Il faut cependant obferver, que la plupart des génies de la Suiffe fe développent dans l'étranger. Il y a une certaine dureté d'organisation, & âpreté de climat, qui femble mettre des entraves à la penfée. Dans les pays où l'on digere vite, on penfe lentement, & la délicatesse de l'efprit femble être deftructive d'une fibre forte. On remarque à Berne, que cinq à fix des hommes d'étude, qui fe diftinguoient le plus par leur application & leurs talens, font morts dans la premiere vigeur de l'âge. L'Auteur commençoit déja à regarder sa vie comme très - incertaine : mais fes concitoyens l'affurent fi fouvent indirectement, que ce danger ne peut le concerner, qu'il faut bien les en croire. D'ailleurs, il eft probable, que l'accueil qu'ils feront à cet ouvrage, le raffurera entiérement.

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Mais tout en confidérant nos défauts, rappellons-nous auffi des vertus, que le confentement unanime des Peuples femble nous accorder: comme la franchife, la droiture, la fidélité, la bravoure, l'efprit d'indépendance & l'activité dans le travail. Puiffent nos defcendans être encore dignes de la réputation de nos ancêtres à cet égard! puiffent nos contemporains ne pas perdre de vue, que ce font là les qualités qui leur font propres, & les feules dans lesquelles ils peuvent fe diftinguer. Quand ils voudront fubfti. tuer le brillant au folide, le luxe à la fimplicité, les airs monarchiques aux républicains, & les faux calculs d'une politique fubalterne aux grandes combinaifons du courage, de la juftice & du défintéreffement; ils ne feront que fe rendre ridicules, foibles & méprifables, Aulieu que rien ne les empêche, malgré leur petiteffe, de fe rendre le peuple de l'Europe le plus digne de respect. La plus fûre défence que leurs divers Gouvernemens puiffent fe ménager, c'eft, outre l'union mutuelle, de gouverner avec tant de douceur & d'équité,

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fous aucune autre Puiffance, le fujet ne puiffe espérer plus d'avantages; que tout Prince

ambitieux rougiffe d'attaquer le bonheur d'un peuple, qui, tenant le premier rang entre les félicités publiques, femble leur fervir de modele, & que tout Prince généreux croie fa gloire intéreffée à ne pas leur refufer fon fecours. En grand comme en petit, l'eftime générale devient à la longue une des meilleures protections.

Mais c'étoit de l'art de plaire en parlant que nous voulions traiter : peut-être auroit-il mieux valu s'y tenir; & il eft affez probable que j'offre ici l'exemple d'un moyen bien directement oppofé à ce but. Revenons.

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SUITE.

Une des mal-adreffes les plus communes dans

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la converfation eft celle de vouloir toujours primer. L'efprit, (difoit Bacon, fouvent répété & peu fuivi) confifte bien moins à en ,, montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres: qui fort de votre entretien content de foi,

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Teft de vous parfaitement. Les hommes , n'aiment point à vous admirer; ils veulent l'être ils cherchent moins à être inftruits & même réjouis, qu'à être goûtés & applaudis. Cet empreffement (dit auffi Mon,, crif) qui cherche à faire valoir fon mérite,

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fans aucun égard à celui des autres, cet éta,, lage hafardé de fon efprit & de fes talens, les difcréditent, quelque diftingués qu'ils ,, puiffent être, parce qu'il mêt à découvert l'excès de bonne opinion qu'on a de foi,, même, & l'intention de s'arroger une espece ,, de fupériorité.,,

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L'Histoire nous apprend, que les Ephéfiens bannirent un de leurs Princes, avec cette fentence: Ne laiffons perfonne entre nous afpirer à plus d'excellence que fes freres que quiconque y prétend, s'en aille dans une autre ville, & vive fous d'autres mœurs. Cette maniere de voir eft clandestinement la dévise de la plupart des fociétés particulieres.

La maxime qui prefcrit une retenue trop févere à cet égard, quoiqu'affez fûre en géné ral, l'eft cependant moins dans les détails qu'on ne paroît la reconnoître: il eft nombre de gens à qui il faut donner le ton fur ce qu'ils

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