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Anglois compromettent leur dignité, & nour riffent la haine & le mépris envers des voifins dont ils font fi bien reçus, & qui, dans leurs rivalités les plus irritantes, s'honorent par les égards & la considération dont ils les accompagnent. La littérature Britannique s'est auffi avilie par ces ignobles pafquinades, & elle a peu d'auteurs, jufqu'à l'honnête Adiffon même, qui ait pu résister au defir de plaire par ces faux ridicules, & à flatter cette préfomption nationale, qui, du haut de fa grandeur, jette un œil de pitié fur tous les autres peuples, & fait que les étrangers ne font guere mieux vu à Londres que les Juifs ailleurs.

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Le rang que les Anglois occupent dans l'échelle d'eftime, quoiqu'équitable à plufieurs égards, paroit cependant dans l'enfemble au deffus de la diftance réelle. - Plufieurs caufes doivent y avoir contribué. D'abord l'éclat de leur liberté, qui refplendit au loin, & dont les abus ne fe font fentir que de près. L'ori ginal & le fublime de leurs productions littéraires, qui provient moins de la fupériorité morale, que de cette hardieffe de génie qu'inf pire naturellement le droit de tout dire, tout imprimer, & prefque tout faire; mais qui met

en

la réputation de chaque individu à la merei de chaque calomniateur. L'étendue de leur commerce, qui pourra difficilement fe foutenir, & leur opulence précaire, qui menace, par l'augmentation des dettes, la diminution des reffources & la mauvaise administration des finances, de recevoir dans peu une tache, ou de fubir une révolution. La cherté exceffive des denrées, qui étant à peu-près en proportion de 4 à 10 avec le courant des prix du refte de l'Europe, fait que, lorfque l'étranger y fait une fortune indéterminée de 40, elle e vaut 100 à fon retour dans fa patrie. Cette cherté a auffi contribué à la réputation de libéralité que leurs voyageurs ont acquife, parce que le prix de l'argent n'étant que repréfentatif, ils font habitués à n'attacher pas plus de valeur à un fchelling que nous à quelques fols. -Mais ce qui a fur- tout conftitué cette eftime générale, c'eft en partie leurs défauts mêmes: c'eft le bourru du commun peuple, & le manque de vertus fociales; c'eft la difficulté de leur langue, dont l'inflexion, fe prête difficilement à en apprendre d'autres; c'eft l'excès de préfomption & de licence nationale; c'eft le particulier de leur genre de vie, & de leurs alimens. On

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ne comprend pas d'abord quelle influence cela peut avoir; mais elle eft des plus directe, en ce que cela rend le peuple anglois préfque incapable de fe plaire ou de réuffir chez aucun autre peuple, & que fa roideur ne pouvant fe plier fous d'autres ufages, il ne peut en fupporter la différence & encore moins la contrainte: auffi n'en voit-on que bien peu qui s'établiffent ailleurs. - Ils n'envoient chez l'é tranger que l'élite de leur nation; gens de naiffance ou de fortune, qui voyagent pour voir ou fe former; au lieu que la France y jette en partie fon rebut; & c'est par ces deux extrêmes

que nous comparons.

La nation allemande femble être celle qui eft le plus folidement eftimée, & qui mérite le plus de l'être fa bonhommie, fa loyauté, fa bravoure, & dans peu fes lumieres, lui affignent un rang d'autant plus refpectable, que les bigarrures de fes gouvernemens, dont plufieurs font très-defpotiques, n'ont pu parvenir à l'a baiffer. On la refpecte en Hongrie, on l'imite en Pologne, on la loue en Dannemark, on ne la hait pas en Hollande, on la méprise moins en Angleterre, on l'aime en Suiffe. En France on l'appelle lourde, mais brave & honnête; en Tome I.

R.

Efpagne on les croit prefque Chrétiens; en Italie on s'y fieroit fi l'on pouvoit s'y fier à foi-même: enfin, d'un bout de l'Europe à l'autre, le titre d'Allemand en eft un de prévention favorable: ce qui prouve en grand ce que nous avons dit ci,deffus, que les qualités du cœur l'emportent à la longue fur celles de l'efprit.

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Il eft rare qu'une réputation nationale n'ait pas des fondemens folides, & ne foit le résultat d'une multitude de faits, raffemblés, comparés & pefés à la longue par l'expérience. Chaque individu devroit s'attacher à connoître cette réputation, pour corriger dans fon perfonnel ce qu'elle a de défectueux: chaque Gouvernement devroit en réflechir profondément les causes, pour renforcer celles des effets honorables, & détruire les autres: ce mépris des peuples voifins, lors même qu'il ne réfide que dans les claffes inférieures, n'en a pas moins une in fluence directe fur la profpérité des frontieres, les reffources de nombre de particuliers, & les rapports politiques du général. Il feroit auffi bien digne des Lettres, de remonter à la fource de ces différens degrés d'eftime nationale, d'en combattre les obftacles, & d'en inftruire le public: mais pour cela il faut que les Lettrés com

mencent eux-mêmes par fecouer le préjugé national, qu'ils étudient moins les hommes dans les livres que dans le monde, & il faudroit fur-tout qu'ils euffent le courage d'être vrais au rifque d'offenfer. Je vais joindre l'exemple au précepte, & j'ofe rappeller à mes compatriotes, que les deux vices dominans dont les autres nations nous accufent, font l'avarice & l'ignorance. Le premier dégrade peu-à-peu le fentiment, influe fur les mœurs, & amene la corruption. Point d'argent point de Suisses, est une maxime triviale, dont il ne faut cependant pas chercher bien loin la raifon fuffifante & les fuites malheureufes. La lenteur & le rétreci de nos conceptions n'ont guere moins paffé en proverbe, & lorsqu'on produit quelque lourdaut fur le théatre, c'eft communément un Suiffe qu'on décore de cette fonction. On connoît auffi cette foule d'Hiftoriettes tant vraies que fauffes, où l'on nous fait toujours dire ou faire quelque inéptie: comme celle de la fentinelle à Versailles, qui avoit la configne de ne laiffer entrer perfonne dedans mais je veux entrer dehors lui dit on:- Oh! c'eft autre chofe, répondit-elle. Sans être auffi lourds, auffi matériels & ignorants que notre réputation nous

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