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DE LA CONVERSATION.

L'art de plaire en parlant est d'un usage continuel. C'est peut-être dans la philofophie qu'il faut en chercher les grands fecrets; & qui n'a pas la force d'en fuivre les principes, devroit, du moins par amour-propre, fe les rendre familiers. Ils font les vrais ornemens du discours, comme les premiers guides de la raifon. Aucune idée, grande ou noble, qui ne s'appuie fur cette bafe; presque chaque phrase qu'on prononce, eft un jugement indirect, dont la jufteffe & l'à-propos décident la valeur. Sans la fcience d'apprécier les objets, on fait de fauffes applications de fes talens, & leur ufage peut devenir plus dangereux qu'utile.

Rien ne donne à la conversation des agrémens plus folides que les traits qui partent d'une bonté éclairée. L'efprit le plus brillantn'obtient qu'une ftérile admiration, que l'envie & une fecrete malveillance accompagnent; aulieu que les qualités du cœur remportent le doux prix de l'amitié & de l'eftime.

Quelque vivacité d'imagination que l'on ait, la bonne plaifanterie ne roule que dans un cercle étroit, dont le retour perd fon piquant. Mais les traits d'élévation, de candeur & de nobleffe, font comme les bons procédés, toujours neufs & intéreffants. Les perfonnes

qui n'ont que de l'efprit, font des connoiffan ces agréables pour quelques jours; les perfonnes à fentimens font des liaisons précieuses pour toute la vie.

La maniere dont on dit les chofes, eft prefque auffi importante que les chofes mèmes.-Pour un homme de fens, qui fait apprécier le réel de vos pensées, il en est vingt autres qui vous jugent encore plus fur le ton dont vous les préfentez. L'attitude, le gefte, le regard, le fon de voix, contribuent auffi beaucoup à la perfuafion, & ne font point à négli ger. Chacun ne peut pas avoir des grâces; mais on peut y fuppléer en partie par un extérieur qui eft toujours en place: c'est le ton doux, affuré & tranquille. Il faut auffi y joindre l'apparence de la plus grande attention, à ce que les autres font ou difent: cela donne un air d'obfervation & de fenfibilité, qui les prévient en notre faveur.

Les difcours, comme les actions, devroient s'accompagner d'un air libre, aifé, fimple, franc, fincere il faut que chaque mouvement femble partir du cœur, & non que le corps femble diriger l'ame. On doit tâcher d'y joindre une certaine aménité & un tact de bienféance, qui ne s'acquiert que dans le commerce des gens polis, & plus particuliérement dans celui des femmes. C'eft peut-être aux égards, aux refpects que les François leur accordent, qu'ils doivent la réputation méritée d'ètre le peuple de l'Europe le plus fociable. Ils ont pris dans la fréquentation familiere des deux fexes, modérément réprimée par la décence, leur douceur, l'enjouement, les grâces, la vivacité, la délicateffe, le goût, la complaifance, & cette fleur de galanterie qui les diftinguent fi particuliérement: mais peut-être qu'ils y prirent auffi les défauts que les autres nations leurs reprochent avec quelque apparence de justice; comme vanité, préfomption, légéreté, fadeur, & fur- tout cet efprit de minutie, qui leur fait facrifier le folide au brillant, l'effentiel à l'acceffoire, & qui, dans ce paragraphe qui les concerne, leur fera moins confidérer ce qui peut y avoir de vrai, que la

négligence du ftyle, & le peu de nouveau du reproche.

Il est bien fingulier que la nation la plus aimable foit la moins aimée de fes voifins. J'ai fi fouvent dans mes voyages été pris pour François, & fi fouvent fouffert de cette méprife, que j'aurois prefque le droit de traiter cet articlé avec un peu d'humeur. En Angleterre, on m'appelloit french dog, en Efpagné gavache; en Hollande on fe défioit de moi; en Allemagne le nom feul eft une efpece d'injure, ou de reproche, qui défigne un homme foible & vain; en Italie, la furia francefe n'eft guere plus en honneur; & les caricatures qui fe font à Rome, à Nuremberg & Londres, portent toujours fur quelque objet de mefquinerie, de fatuité, ou plus injuftement encore fur le défaut de bravoure. Les plattes eftampes qu'on voit affichées tout le long du Strand, de Fleet Street & Holborn, repréfentent toujours le François magnifiquement paré; mais d'une maigreur étonnante, pendant que l'Anglois eft fimple & de l'embonpoint le plus maffif: ce qui fous - entend que le premier facrifie le néceffaire à l'étalage. J'en ai une fous les yeux, où un Parifien vient de prendre querelle avec l'hôteffe d'un caba

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ret, pour l'augmentation d'un liard fur le pot de bierre, qu'il refuse, ou qu'il n'a pas de quoi payer elle le roffe tranquillement avec un manche à balet, pendant que, la terreur peinte fur tous les traits, & le tremblement dans tous les membres, il a mis l'épée à la main, dont un petit garçon d'environ huit ans, tout auffi tranquille que fa mere, l'empêche de fe fervir: elle a déja voulu le faifir par une longue queue, qui étant fauffe, comme les boucles, lui font reftés à la main: elle lui a déchiré le pan de fon habit & ouvert fa vefte; ce qui montre qu'il n'a que des bouts de manches avec des dentelles; mais qu'il n'a point de corps de chemife, & que le derriere de fes culottes, pour épargner l'étoffe, eft de morceaux de diverfes couleurs, ajustés enfemble. Du coin de fa poche entr'ouverte, on voit fortir un morceau de pain, un vieux peigne, & un petit miroir.- Dans le fonds du tableau eft un gros fermier, qui, affis à côté de fa bouteille, regarde froidement cette fcene: il tire une guinée de fa poche, la donne à la fille d'auberge, & lui dit : payeż vous du liard, & donnez lui le refte.

C'est par ces farcafmes exagérés, & qui font rarement auffi ingénieux que celui-ci, que les

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