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ne peut être que l'effet de fa bonté: au moment où mon pied t'écrase, où ma refpiration t'engloutit, tu es également fous les loix de fa juftice: elle n'a pû t'arracher au néant, fi ce néant valoit mieux que l'existence. Celui qui, dans ton inconcevable petiteffe, que l'œil fimple ne peut appercevoir, forma des membres, des os, des chairs, des fluïdés, des mufcles, des tendons & des fibres; celui qui fait circuler ce fang fi délié, ces efprits fi fubtils; celui qui te doua de paffions, d'intelligence & d'organes fi délicats, celui enfin qui fit tant de merveilles, où le Philofophe s'étonne, où le favoir échoue, & l'imagination fe perd. ... Non, il ne déploya pas en vain fa fageffe & fa puiffance! Tu joues ton role dans l'harmonie univerfelle, & entre la place que tu occupes, & celle que l'homme croit fi élevée, la difproportion rélative au tout, eft moins grande qu'il ne pense. Oui, réjouis-toi, fi tu fouffres, quoiqu'innocent; ta douleur étoit fûrement néceffaire à la perfection progreffive de l'ensemble, & chacun de tes maux actuels est un engagement facré, que le meilleur des êtres vient de contracter avec toi, de t'en dédommager fous un ordre futur. Cette con

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jecture n'a rien d'oppofé à la Religion, à moins que ce ne fut une héréfie, de fuppofer le Créateur auffi jufte qu'il peut l'être.

Il eft remarquable que la plûpart des preuves philofophiques de la fpiritualité de notre ame, & même de fon immortalité, s'emploient au même degré d'évidence pour prouver celle des animaux. Que ceux qui les connoiffent, en faffent l'application; ils en trouveront les motifs & les conféquences à peu près uniformes. A l'égard de la fpiritualité, fi nous défignons fous ce titre les perfections qui ne fe rapportent à aucun organe connu, & qui paroiffent indépendantes de la fimple matiere, nous en voyons à chaque inftant chez eux des moins équivoques: &, fans les chercher au loin, mon barbet peut en fournir l'exemple. Je m'habille: il en connoît les fuites; il quitte fon couffin, fe place vis-à-vis de moi, fuit tous mes geftes. Je vais fortir. Viendra-t-il? reftera-t-il? quelle incertitude, quelle impatience! Je prends mon épée & mon chapeau:- fon œil immobile fe fixe étincellant fur le mien. Je le laiffe en fufpends, & il tremble. - Un mot le rani

me:- allons, lui dis-je, &

il part comme un

éclair, leche tout ce qu'il rencontre, & jappe

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fa joie à tous. Mais fi je l'ai affligé par un refus, il fe traîne à pas lents dans un coin; il boude, diffimule fon amitié, & joue l'in-différence. Je fors, je le guette en fecret:

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à peine ai-je fermé la porte, qu'il vient écou
ter fi je ne reviens pas..
Il faute fur la
fenêtre, obferve ce qui fe paffe au-dehors, &.
retourne avec trifteffe s'affeoir près d'un habit
qu'il leche en gémiffant. Mais il a cru en-
tendre ma voix: ... il reffaute, il frémit,
il doute;... mais, oui, oui, c'eft fon maître,
fon cher maître. Quels transports! quelle
émotion! Il accourt, il va, il revient, tourne,
flatte, crie, apporte la pantouffle, fait la ré-
vérence, ou veut donner la patte:
il ne
fait comment fe faire remarquer, comment té-
moigner fa joie; tous fes geftes font convul-
fifs, tous fes fons paffionnés.
Dis moi,

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Cartéfien moderne! à quelles combinaisons de matiere & de mouvement fe rapporte tout ce-. là? quels font les refforts d'une machine qui fe monte fuivant les circonftances, & s'exprime avec autant de délicateffe. Si Zonzon n'étoit pas intelligent, s'il n'étoit pas fidelle, oferois-je, inconnu à trois cent lieues de ma Patrie, fans connoiffance fur ce qui m'envi

ronne, lui confier ma vie au coin de cè bois

folitaire?

Je vais, fans crainte, m'endor

-

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mir fous cette ombre. Zonzon m'éveillera, m'appellera, me défendra jufqu'à ce que, réveillé, je puiffe me défendre moi-même. Zonzon, cher Zonzon! camarade de mes fatigues & de mes dangers, témoin de mes peines & de ma conftance, puiffent les races futures répéter avec ton épitaphe: Il fut fidelle à fon maître, lorfque fon amante le trahijoit, fes amis l'oublioient, fes protecteurs l'opprimoient!

VERTUS SOCIALES.

Toute Vertu eft proprement fociale, parce

que toutes contribuent au bonheur de la fociété; mais on défigne plus particuliérement fous ce titre les qualités aimables, qui, dans la vie ordinaire, font goûter, rechercher & préférer notre commerce. Les principales font, complaifance, douceur, efprit, difcrétion, indulgence, amitié, modeftie, talens, décence.

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On nous juge plus communément fur ces

qualités du fecond ordre que d'après les plus effentielles. Chacun s'entend plus ou moins en politeffe ou en agrémens; aulieu que, pour apprécier une grande ame, il faut avoir foimême l'ame grande: pour en faifir les procé dés, il faut en connoître les fentimens; comme pour prononcer fur fes lumiéres, il faut être foi-même très éclairé. Le vulgaire compare plus par les fens que par l'intelligence: on lui en impofe autant par l'air, la démarche, le ton, les formes, les manieres, que par les actions les plus fages.

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Si les hommes, qui fe croient les plus conféquents, recherchoient avec impartialité la valeur des titres de ceux qu'ils préferent; s'ils examinoient par quelles voies ils acquirent leur bienveillance, pendant que d'autres, également empreffés de leur plaire, n'ont obtenu que froideur & dégoût, ils trouveroient, pour l'ordinaire, que leurs vertus les plus folides y contribuerent moins que quelques agrémens fuperficiels. Mais il eft poffible de réunir les deux; & les premieres donnent plus de prix aux feconds. Ne négligeons point de nous emparer de nos alentours par les mêmes moyens qui réuffiffent auprès de nous. Il ne fuffit pas d'être

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