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DE LA MODÉRATION.

Cette aimable vertu, fille de la fageffe & du courage, forme la partie principale de l'empire fur foi-même, fans lequel il n'est point de vraie Philofophie. On la peut divifer en Morale & Physique. L'une dirige les defirs de l'ame l'autre tempere ceux des fens. L'une a pour dévife content de peu, l'autre, plaifirs fans regrets. La premiere calcule les jouiffances, & se refuse à celles dont la fomme des maux furpaffe celle des biens la feconde tient toujours le milieu entre les excès.

Il eft remarquable que tous les extrêmes fe touchent, & forment un cercle continu. Comme le plaifir, qui devient douleur; la liberté, licence; la grandeur, esclavage; le plus haut degré d'efprit tient à la folie, parce que la multitude d'idées approche de la confufion, & la plus vive fenfibilité de la mélancholie; le comble du favoir mene au doute, parce qu'il connoît notre foibleffe: le doute conduit à l'ignorance, l'ignorance à la fuperftition; & l'excès Tome I.

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de ftupidité d'un fiecle, fut fouvent la caufe des lumieres du fuivant. L'infortune force à la réflexion, qui produit la fageffe, d'où renaît le bonheur. Il faudroit parcourir presque tous les objets phyfiques & moraux, pour défigner tous les cas, où l'excès du mal ramene au bien, & l'excès du bien au mal a).

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Un fruit précieux du rétréciffement des befoins, eft de calmer l'ambition, l'avarice, & autres fources des plus grands maux de l'humanité. — Qui vit content de peu, n'eft ni injufte, ni oppreffeur; quel intérêt auroit-il à l'être? Il fent mieux la néceffité de fa propre eftime, & de celle des honnêtes gens, & s'efforcera de la mériter. Il remplira fes devoirs plus courageufement, parce qu'il offre moins de prise aux coups d'une fortune, qu'il porte en lui-même.

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a) D'où par une fuite de longs raifonnemens pourroit conclure, que nous fommes plus gouvernés par des loix générales que particulieres: fuppofition qui s'accorde auffi d'avantage avec la liberté individuelle. Mais cette généralité ne peut s'étendre qu'à l'enchaînement des circonstances: elle ne peut pas concerner le prix de nos actions, toujours proportionel au degré d'influence, bonne ou mauvaise. La balance d'une juftice fuprême doit néceffairement hauffer & baiffer avec celle de notre mêrite.

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La modération & le défintéreffement, qui en est la suite, eft, fous quelle condition qu'on fe trouve, un des plus fûrs garants de probité. Elle eft auffi une défenfe contre la fervitude, les rivalités, les artifices, & les petiteffes humiliantes, qui déshonorent si souvent ceux qui placent leur bonheur dans l'éclat & la faveur des Grands. On devient prefque leur égal lorf qu'on n'a rien à leur demander: on peut même être leur fupérieur, parce qu'il n'existe plus entre vous & eux de rapports directs, que celui du mérite perfonnel. fourit des airs de protection de fes Lords: Si tu es bon patriote & honnête homme, lui dit-il, je te respecte, je t'eftime; mais fi tu n'es qu'un fripon ou un fat décoré, je te hais & te méprife: nous n'avons de commun que nos loix, & devant elles nous fommes égaux.,, Défions-nous, dit un

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Le bourgeois anglois

Poëte, de ces mots : les befoins de la vie: on les étend jufqu'au luxe, jusqu'à la débauche". Le vrai néceffaire fe réduit à peu de chose; & fi on approfondiffoit fouvent les fecrets motifs qui l'étendent & le multiplient, on feroit humilié de fes découvertes.

Un homme doit s'affranchir, dès fa jeu neffe, d'une foule de petites aifances, incom◄

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patibles avec certains états, comme le militaire & autres. C'étoit un objet effentiel de l'éduca tion des anciens, d'endurcir le corps aux fatigues, au froid, au chaud, à la faim, à la foif, aux privations: outre que la fanté y gagne, cela ajoute beaucoup au contentement & à la liberté d'efprit a) en plufieurs occafions, & à l'indépendance en toute autre. Qui fe borne au néceffaire, fait qu'il peut fe le procurer par-tout: il craint moins le danger lorfque le devoir l'exige: il redoute moins la pauvreté, fi les accidens l'amene & quel homme eft certain de ce que le fort lui prépare.

On dort par habitude auffi-bien für la paille que fous l'édredon : & c'est un préjugé de croire, qu'on dîne mieux avec trente plats. qu'avec deux, lorfqu'ils reviennent chaque jour.. Ne difons pas qu'une chambre ornée par tous les raffinemens de l'art, ne foit plus

*) On remarque en campagne, que les Officiers les plus délicats, font dans les tems de difette, de pluie, on de marches forcées, tellement abattus & épuifés, qu'il nè leur refte ni les forces ni le jugement néceffaire, pour vaquer à leur emploi avec quelque diftinction. Tel paffe pour une femmelette, qui eût été un héros avec un corps plus endurci.

gaie qu'un taudis ; qu'une parure de goût. n'ajoute pas aux graces naturelles; qu'un ortolan n'ait une faveur plus délicate qu'un navet. Convenons auffi que des hôtels fomptueux, des équipages brillants, font de très jolis meubles, & que le profond refpect d'un imbécille, qui nous juge fur le faux éclat de ces bagatelles, peut par fois être fort amufant, Jouiffons de ces avantages, fi notre pofition le permet ; mais n'ayons pas la foibleffe d'y mettre plus de prix qu'ils n'en méritent: & croyons qu'on peut en être privé fans être moins heureux.

Il faut diftinguer d'entre les faftueux, celui qui envifage fon luxe comme un droit au ref pect, ou celui, qui, fe prêtant aux illufions vulgaires, s'en fert pour parvenir à fes fins, & en imposer à la multitude. Qu'un jeune hom me, pour plaire à de jolies femmes, fouvent moins capables de juger la perfonne que l'habit, releve les agrémens de fa figure de tout ce que l'art de la toilette peut y ajouter; ou qu'un Grand cherche à éblouir des inférieurs, fur lefquels il ne peut dominer plus directe ment: ces deux moyens peuvent être des plus raifonnables, & celui qui les emploie est moins vain que prudent. Il eft d'autres: pofitions,

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