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ouvrier, qui vivent du jour à la journée, & qui, par ce retard, ou un faux respect, se voient réduits à des expédients ruineux. Enfin on s'avilit & fe rend méprifable, en voulant trop fe faire refpecter.,, La réputation d'a,, vare, dit un obfervateur anglois, s'acquiert plus par l'économie dans de petites chofes, ,, que par l'épargne des plus considérables ".

, que,

C'eft fur les grands objets qu'il faut retrancher, & agir noblement fur les moindres. Payer les fervices de nos inférieurs avec exactitude & largeffe, c'eft une des voies les plus fûres pour s'emparer de leur eftime & de leur confidération. -La libéralité eft un des prémiers indices de grandeur d'ame & de bonté de cœur; mais c'est une erreur de croire, pour l'exercer, il faille être opulent elle eft toujours proportionelle au bien qu'on poffede. Qui a cent fols & en donne deux, eft plus libéral que celui qui ayant cent louis, n'en donne qu'un. Mefquins que nous fommes! nos journaux de Paris & autres, annoncent faftueufement, comme actes de bienfaifance, des dons de dix à vingt écus; & lorfque le plus riche particulier de l'Europe facrifie, dans un hiver rigoureux, la dix millieme partie de fes rentes,

pour rechauffer les miférables qui vont expirer de froid, toutes les gazettes crient au miracle a); pendant que les Turcs, que nous appellons barbares, font, par une loi de religion, contraints de donner aux pauvres la dixme de ce qu'ils gagnent b); devoir dont ils s'acquittent affez exactement, & qu'ils dépaffent quelquefois.

L'art d'acquérir des richeffes, eft en général plus facile que l'art de les dépenfer. Sur un millier de gens qui font fortune, à peine en trouve-t-on quelques-uns qui fachent en faire un usage raisonnable. L'on s'imagine que le rang eft conftitué par la dépenfe, on s'évalue au niveau de fon luxe, & puis on s'étonne que ce vain étalage ne donne point le contentement qu'il fembloit promettre On devroit pouvoir compter les richeffes d'après la fomme des jouiffances, non d'après celle des moyens pour en obtenir & la phrase de faire fortune, de vroit fignifier le changement, qui, d'un infenfé, fait un fage.

a) Ces grands éloges fur de petites chofes, pourroient plutôt fervir à couvrir adroitement de ridicule car s'étqnner d'une générofité des plus fubalternes, c'eft avouer qu'on n'en fuppofoit pas capable la perfonne qui l'exerce, b) Du Rier: Préface de l'Alcoran.

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On peut être à la fois très-prodigue & trèsavare, très-économe & très - libéral. L'un dépense beaucoup, donne rarement & fans choix : l'autre dépense peu, donne fouvent & fait placer fes bienfaits. Probité à part, on devroit, par orgueil, être moins vain; par avarice, moins léfineux, & par volupté plus économe.

Tel homme facrifie annuellement des fommes confidérables à de fauffes idées de repréfentations; il n'ajoute rien par là à fes plaifirs phyfiques: il en impofe à quelques fots; mais fe rend ridicule auprès des gens raisonnables, & paffe fouvent pour un vilain auprès du plus grand nombre. S'il eut placé la dixieme partie de fa dépenfe en libéralités & petits bienfaits, il eût été également admiré des premiers, de plus refpecté des feconds, & fe fut acquis la réputation d'une ame noble & généreufe. Le feul prix de cet ornement fuperflu, ou de ce meuble, de ce bijou, dont la magnificence vous fervira moins que s'il étoit plus fimple, auroit été fuffifant pour arracher une famille à la mifère, un honnête homme au désespoir, un malade à fes fouffrances, un débiteur à sa prison, & peut-être l'innocent au vice.

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Infortuné faftueux, qui languis dans le dégoût, l'ennui, la fatiété, tu cherches en vain à diffiper tes fens détruits & l'illufion de ton orgueil! ton esprit eft blafé, ton corps est épuifé; mais ton ame eft encore neuve, puifque tu n'en fis point ufage, & que tu négliges fes plaifirs les plus purs: tu ne rencontras peutêtre jamais le regard touchant de l'eftime, ni ne vis l'amitié fourire autour de toi; ton cœur ne fe délecta point dans le bonheur d'autrui, qui étoit fon ouvrage, il ne tréffaillit point par l'émotion des fentimens les plus humains ni ne battit avec une délicieufe férénité fous le fouvenir d'un bienfait. Tu ne vis jamais la reconnoiffance tomber à tes genoux, balbutier des remerciemens entrecoupés; douter, dans fa furprise, fi elle veille ou fi elle dort, fi tu es un ange ou un homme, & portant fon œil humide au ciel, en arracher les bénédictions, & l'invoquer de répandre fur toi, le feul retour qu'elle puiffe offrir, c'est le partage du prix de fes fouffrances & de fes vertus paffées. Défais toi un inftant de tout ce cortege pompeux, qui ne pénétra jamais dans les fentiers de la nature, ni dans l'humble refuge de la mifere. La fimplicité

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feule en approche, & plus malheureufement l'expérience feule en connoît les horreurs, & en calcule fagement les fecours. Hâte-toi de faire du bien, répares tant de jours inutiles; la vie eft fi courte, les occafions fi rares, & l'art de les trouver fi peu connu! Que te reltera-t-il à la fin de ces richeffes, que le regret de les voir paffer en d'autres mains. Places dans la bienfaifance & fur l'éternité, tes rentes te fuivront jusqu'au fonds de ta tombe. Ces fouvenirs confolateurs voltigeront autour de toi dant ta derniere heure, & une voix fecrete te diras doucement: Ne crains rien, je t'accompagne, bientôt tu as vaincu; bientôt tes difpofitions généreuses vont t'élever à un grade fupérieur, où elles pourront jouir & s'exercer avec plus d'étendue.

DE

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