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mens les plus nobles. L'Avare juge tout à prix d'argent ce qui n'en rapporte point, lui paroît digne de mépris ; & l'âge qui affoiblit tant d'autres paffions, ne fait que renforcer la fienne.

L'Avarice n'exclut pas toujours la jouiffance. Il fuffit, pour en être coupable, d'avoir un grand defir des richeffes, & d'être peu fcrupuleux fur les moyens d'en acquérir. Cette fureur, toujours fomentée par le luxe, est une des principales caufes de cette mifere, dans laquelle languiffent la plupart des peuples, pour affouvir la foif infatiable d'un petit nombre d'individus. L'Avare n'eft pas non- plus, comme il le prétend fouvent, un homme fans befoins. Il réunit au contraire tous les penchans coûteux: il accumule fans ceffe les moyens de les fatisfaire; mais, par pufillanimité, il n'ôse jamais en jouir; comme le Savant, qui amaffe tous les fecours de la fageffe, & n'a pas le courage de fe rendre Philofophe.

Les richeffes n'étant que la proportion entre les defirs & les moyens de les fatisfaire, on peut avec beaucoup d'or être dans l'indigence. Celui qui jouit de cent mille écus de rente, & dont les befoins en exigent deux cents, est quatre

fois moins riche que celui qui n'a que cent écus, & fait vivre avec cinquante. Le plus court chemin vers l'opulence, est, de restreindre fes defirs. Les vrais befoins fe réduifent à peu de chofe, au-lieu que ceux de l'Avarice. & de l'Ambition ne connoiffent de frein que l'impoffibilité. A-t-on un million, on veut en avoir plufieurs. Eft-on Prince, on voudroit être Roi; & fi on y parvenoit, on ne feroit pas encore content.

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Soyons

Ne difons pas avec Séneque; que les richeffes font un mal. Ne difons pas avec le peuple, qu'elles font le premier des biens; mais prenons un jufte milieu, & foyons perfuadés qu'elles ne font un vrai bonheur, que lorsqu'on les a acquifes par des voies légitimes, & qu'on fait en faire un bon ufage. avares des biens qu'on ne peut ni ravir ni donner, de ceux qu'on emporte par-tout avec foi, même au-delà des bornes de cette courte vie encore quelques momens, & tous les autres nous paroîtront méprifables. Ne comptons nos tréfors que d'après le nombre de nos vertus & de nos bienfaits. Accumu kons les fans relâche, & chaque jour que nous n'y aurons pas ajouté, répétons l'au

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gufte mot, qu'on ne peut trop répéter: aujourd'hui, j'ai perdu ma journée.

DE L'ÉCONOMIE.

ON confond fouvent l'Avarice avec cet ef

prit d'ordre, qui fait fe prêter aux néceffités d'une pofition rétrécie & proportionne fa dépense à fes revenus. Cette qualité eft une des plus effentielles au bonheur domestique, à la paix intérieure, & au maintien de l'indépendance.

Le travail, la fobriété, l'arrangement, joint au mépris des préjugés de luxe & de molleffe, trouvent des reffources où d'autres n'en voient plus; ils deviennent les fupplémens d'une petite fortune, les moyens d'une grande, l'appui de la confidération, & fouvent les défenfeurs de la probité.

Le défordre affoiblit l'ame par l'inquiétude; il endurcit par l'obligation des refus; il avilit peu-à-peu par les humiliations, les artifices &les expédients, auxquels on eft réduit; &

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C

ontre cette influence fur un âge avancé, l'inconduite peut dans la jeuneffe mener aux plus grands crimes. Un Obfervateur, qui étudioit l'homme dans les cachots de Newgate, & qui converfoit confidemment avec plus de cinquante condamnés à mort, s'étonnoit, en remontant aux premieres caufes de leurs écarts, de trouver, qu'ils provenoient le plus fouvent des erreurs de la vanité & du défaut d'économie. Si j'avois fu un peu plus d'arithmétique, lui difoit l'un, on ne me pendroit pas demain.

Comme les femmes font par état presque réduites aux perfections de fecond ordre, l'économie eft chez elles une vertu des plus véritables. Montaigne l'eftimoit dans une épouse au-deffus de toutes les autres; peut-être parce que fon ufage eft des plus fréquens, & fa durée pour toute la vie. En effet, la

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chafteté a peu de mérite à un certain àge, aulieu que l'efprit d'ordre ne ceffe d'influer fur les familles, & d'affurer dans l'intérieur l'aifance que l'époux acquiert au-dehors.

Dans nos mœurs actuelles un des écueils de fortune, contre lequel on ne peut déclamer fans trivialité, & qu'on ne peut cependant fupprimer fans omiffion importante, c'est le

Jeu; paffion funefte, qu'il faut étouffer dès fa naiffance; qui, outre qu'elle abforbe toutes nos facultés penfantes, détruit la capacité, altere quelquefois l'honneur, expofe à des querelles, des haines & à un danger continuel. Il n'eft point de joueur affez fûr de lui-même, pour répondre, qu'il ne viendra pas un fatal moment, où, irrité par la perte, il la centuplera en voulant la réparer, & fe ruinera fans reffource. Un jeune homme devroit fe faire un principe, de ne jamais jouer qu'avec les femmes, dont le jeu eft, pour l'ordinaire, plus modéré. Un autre principe auffi effentiel, eft celui de ne jamais anticiper fur des richeffes en perfpective: il faut vivre fur ce qu'on a, non fur ce qu'on aura. Les efpérances les mieux fondées, font fujettes à être déçues, ou du moins à fe faire attendre fi long-tems; que tout calcul fur cet objet devient des plus hafardé. Julien a mangé dans fa jeuneffe, à groffe ufure, la fucceffion probable d'un parent maladif, & qui avoit plus de foixante ans : aujourd'hui l'oncle en a quatre - vingt - dix, & vient d'enterrer fon neveu, mort à la fuite d'une maladie occafionnée par les chagrins de fon dérangement.

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