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& de fe plaindre des autres. Il y a en outre un plaifir attaché à jouer gros jeu, & en effet c'en est un bien grand, que celui de tourmenter fes amis, fes parens, rompre avec eux, & devenir la terreur & fouvent l'objet de la haine de tout ce qui nous environne.

Comme le corps n'eft pas fain, dit Speziano en d'autres termes, lorsque chaque écart de régime en dérange l'harmonie, de même l'ame eft malade lorsque chaque petite contradiction en trouble la férénité; ou pis encore, lorfque les bons procédés font pris en mauvaise part.

Les perfonnes les plus colériques ne font pas toujours les plus intraitables. Il n'y a qu'à favoir les prendre, fe rappeller que leurs injures ne font pas de mal; laiffer évaporer la premiere fougue, feindre de s'offenser affez pour éloigner l'idée du mépris, & pas affez pour bleffer l'amourpropre. Les blâmer fortement fur la forme, & les indulger a) fur le fond, tourner en ridicule l'importance qu'elles attachent à l'objet contesté,

a) Si ce verbe n'eft pas françois, il mérite de l'être, comme nombre d'autres expreffions, qu'on pourroit avantageufement tirer des autres langues, & que le pédantifme exclut pourquoi deux mots, où l'un fuffit?

couper le férieux de la querelle par quelques mots de gaieté, ou de flatterie indirecte; enfin, lorsque la bile s'eft bien exhalée, faifir l'inftant d'épuifement & d'humiliation, pour les amener à un confentement, qu'on obtiendroit avec moins de facilité, s'ils euffent confervé leur fang froid. - Mais cette marche, presque affurée auprès des perfonnes qui nous font indifférentes, devient des plus difficiles à fuivre envers ceux qui nous font chers, & dont les torts nous affligent plus qu'ils ne nous irritent.

La colere eft rarement utile, & un feul de ces courts accès de folie peut troubler le reste de nos jours.,, On peut, fans emportement,

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foutenir fes droits avec vigueur,, & certainement il y a plus de dignité & de fûreté. Envers un inférieur il avilit, envers un égal il est dangereux, envers une force fupérieure c'est un ridicule, & envers tous une injuftice; car s'il a tort, il faut le plaindre, s'il a raison, pourquoi l'injurier? Un proverbe ufé, mais vrai, répete souvent: Tu te faches? tu as donc tort.

La colere eft auffi deftructive de la fanté; chaque accès fait paffer dans le fang une partie de bile, qui le corrompt à la longue, & déffeche le fluide nerveux. Marc- Aurele

dit, & l'expérience le démontre, que lorsqu'elle s'irrite fouvent, elle change tout le vifage, & ternit fi bien fa beauté, qu'elle ne revient plus. Il en eft de même de toutes les affections nuifibles de l'ame, qui laiffent toujours quelque impreffion défagréable fur les traits, qui prévient les autres contre nous, & femble les avertir de fe tenir en garde. On peut s'af furer de cet indice extérieur par une obfervation facile. Qu'au milieu d'une foule d'inconnus, on les fixe tour-à-tour, on fentira de la prédilection pour les uns, de l'éloignement pour les autres; & cette impreffion fera indépendante de la beauté, de l'âge, ou de la parure qu'on en recherche la caufe en foi-même, & l'on trouvera qu'elle eft produite par les diverfes expreffions de caractere, que chacun porte dans fes formes, fon gefte, ou le fon de fa voix a). Il n'eft rien de fi impercep

a) Comme l'ame influe fur l'apparence extérieure du corps, de même je crois remarquer, que le jeu des mufcles a quelque influence fur les fentimens. Quand je m'cfforce de fourire, il me femble qu'une légere impreffion de gaieté accompagne ce fourire quand je feins un air doux & tranquille, il me femble qu'intérieurement je me trouve plus calme. Lire à haute voix, eft auffi

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tible où l'homme ne fe peigne plus ou moins: mais nos fentimens à cet égard ne prononcent pas toujours avec équité fur ce qui les fait naître, & lorsque telle perfonne nous déplaît au premier coup d'œil, c'eft fouvent plus notre faute que la fienne, parce que nous n'eftimons en elle que les qualités analogues aux nôtres. — Une phyfionomie de réflexion fera une des moins revenantes pour un être frivole, & une d'austere intégrité aura quelque chofe d'effrayant pour l'homme fans principes.

Combien de motifs divers pour nous engager à réprimer ces mouvemens fougueux, qui nous emportent hors des bornes de la raifon? Ajoutons; qu'il eft peu de spectacle plus agréa ble pour l'homme à fentiments, que de voir oppofer la douceur à la violence, la politeffe à la groffiéreté, & le raifonnement à l'injure.N'eft-on pas für de foi & de fa réponse? Le meilleur parti eft le filence.

un moyen de fuppléer au défaut de converfation. Un Médecin anglois confeilloit cet ufage modéré comme utile aux perfonnes qui vivent dans la folitude, ou qui font fujettes aux hypocondres. Il eft affez probable que tous nos organes, doivent s'exercer pour prévenir l'en, gourdiffement, & maintenir l'harmonie de l'enfemble,

Ce

DE LA PARESSE.

e penchant, qui affervit fouvent tous les autres, paroît être, au premier coup d'œil, une chofe affez innocente; un fecond, plus réflechi, le place au rang des vices. Il eft en général plus de paresseux d'esprit que de corps. Les premiers font incapables de cette continuité d'attention, qui feule perfectionne l'intelligen ce & conduit à la fageffe. Les feconds privent la fociété du tribut de leur travail, fur lequel elle a des droits inconteftables. On a dit, que tout oifif eft un frélon qui vit aux dépens des abeilles. Qui n'a point d'occupations doit s'en faire. On n'eft pas toujours dans une claffe à couper du bois, labourer la terre, ou exercer un métier; mais il eft des moyens plus étendus de fervir le genre humain: & lors même que par jeuneffe, ou défaut de circonf tances, on n'eft pas encore revêtu d'un em ploi actif, on a du moins l'obligation de chercher à s'en rendre capable pour la fuite; & tant qu'il reste une connoiffance utile à aqué

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