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Il existe une traduction française de l'Oceana, 3 vol. in-8°, Paris, 1795; ainsi que des Aphorismes, in-12, ib., an III. Enfin toutes les œuvres politiques d'Harrington, avec sa biographie, par Toland, ont été traduites dans notre langue par Henry, 3 vol. in-8°, ib., 1789. X.

HARRIS (James), métaphysicien anglais, né en 1709 à Salisbury, mort en 1780, appartenait à une des familles les plus honorables de l'Angleterre, et avait pour oncle lord Shaftesbury, l'auteur des Caractères, dans la société duquel il puisa sans doute le goût des études sérieuses. Membre de la Chambre des Communes, lord de l'amirauté, puis secrétaire de la reine, et enfin chargé d'une mission diplomatique en Russie, il consacra aux lettres le loisir que lui laissaient les affaires. Il débuta en 1744 par la publication d'un recueil de traités sur l'Art, sur la Musique, sur la Peinture, sur la Poésie, sur le Bonheur, qui le placent parmi les philosophes qui ont cultivé avec le plus de succès l'esthétique et la morale. Il publia en 1751 l'Hermès ou Recherches sur la Grammaire universelle, ouvrage qui est le principal fondement de sa réputation. Conduit par ses études grammaticales à des recherches sur la métaphysique et la logique, il entreprit un grand ouvrage où il devait exposer et rajeunir la logique péripatéticienne; mais il n'en exécuta que la première partie, qui devait être comme le frontispice d'un vaste monument c'est le livre qui parut en 1775 sous le titre assez peu significatif de Philosophical arrangements. Il termina sa carrière par un ouvrage qui appartient plus à la littérature qu'à la philosophie, les Recherches philologiques, qui ne parurent qu'après sa mort (1781): il y traite de l'origine et des principes de la critique littéraire, puis il passe en revue et apprécie les plus célèbres écrivains en ce genre, tant anciens que

modernes.

Comme c'est principalement à ses recherches sur la grammaire générale qu'Harris doit sa réputation, et que c'est à ce titre qu'il doit de figurer dans ce Dictionnaire, nous donnerons une analyse succincte de sa Grammaire universelle, qu'il a intitulée Hermès par honneur pour l'inventeur du langage.

« C'est par l'étude de la proposition que doit commencer la grammaire; car c'est là le premier élément que donne l'analyse du discours. Mais la proposition elle-même se résout en mots. On distingue vulgairement une dizaine d'espèces de mots; mais en examinant attentivement ces derniers éléments du discours, on reconnaît qu'on en peut former deux grandes classes, les mots significatifs par eux-mêmes ou principaux, et les mots significatifs par relation ou accessoires. Les premiers sont l'objet du premier livre de l'Hermès; les seconds, du second livre.

« Comme il n'existe que des substances ou des attributs, les mots principaux ne pourront être que substantifs ou attributifs. Pour les mots accessoires, ils servent soit à mieux désigner, à déterminer les êtres, soit à unir entre eux les êtres ou les faits : dans le premier cas, ils sont dits définitifs; dans le deuxième, connectifs.

« Sous le titre de substantifs, il faut comprendre le nom et le pronom, qui n'est qu'un substantif secondaire. L'auteur étudie le nom sous le

rapport de ses différentes espèces, de ses différentes propriétés; en parlant du genre, il explique d'une manière ingénieuse, mais quelquefois subtile, par quelle assimilation des substances qui n'ont par elles-mêmes aucun genre ou aucun sexe ont été assignées au sexe masculin ou au sexe féminin.

« Les attributifs sont d'abord le verbe, qui exprime soit seulement l'attribut général de l'existence (c'est le verbe être), soit l'existence avec un attribut particulier (ce sont les verbes ordinaires); puis l'adjectif et le participe qui expriment les diverses qualités ou quantités des êtres, mais sans affirmation. »>

En traitant du verbe, Harris donne une théorie savante des temps, se fondant sur une analyse approfondie des idées de durée et d'espace; des modes, où il s'appuie sur l'analyse psychologique de la pensée et de la proposition, qu'il distingue en proposition perceptive et proposition volitice, la première donnant naissance au mode indicatif, la deuxième à tous les autres modes. A l'appui de ses opinions, il invoque ou discute l'autorité des plus grands grammairiens de l'antiquité et des temps modernes, Aristote, Apollonius, Théodore de Gaza, Priscien, Scaliger, Sanctius.

Les adjectifs et les participes ne sont guère pour lui que des résultats d'abstractions qu'a subies le verbe : dépouillé de l'affirmation, mais conservant encore les idées d'action et de temps, le verbe donne naissance au participe; dépouillé en outre des idées d'action et de temps, il forme l'adjectif.

Outre le verbe, le participe et l'adjectif, qui sont des modificatifs du premier ordre, il est un second ordre d'attributifs, qui modifient les attributs eux-mêmes : ce sont les adverbes ou attributs d'attributs.

Les mots accessoires (qui forment l'objet du second livre) sont, a-t-on dit plus haut, définitifs ou connectifs. Les définitifs sont l'article, soit défini, soit indéfini, qui naît à la fois de l'impossibilité où est l'homme de donner un nom à chaque substance, et de la nécessité où il se trouve d'individualiser les termes généraux que sa faiblesse lui a fait créer. A l'article il faut joindre les mots qu'on appelle improprement pronoms démonstratifs, possessifs, indefinis.

La classe des connectifs comprend la conjonction et la préposition. La préposition, dans certaines langues, peut être remplacée par les cas: ce qui donne lieu à l'auteur d'exposer la théorie des cas, à parler de leur usage, de leur nombre.

Dans un troisième livre, Harris traite de quelques questions générales qui ne font plus aussi essentiellement partie de la grammaire: de la matière du langage (de la voix, de l'articulation, etc.), de la forme du langage, ou du sens des mots : envisagés sous ce second aspect, les mots sont des symboles, et non, comme on l'a dit, des imitations des choses ou onomatopées; ils ont pour mission de représenter des idées générales bien plutôt que des idées particulières. L'auteur se trouve par là entraîné à une digression sur les universaux et sur l'origine des idées. Il reconnaît que, si l'on considère le point de départ de nos connaissances, on devra dire: Nihil est in intellectu quin prius fuerit in sensu ; mais il ajoute que si l'on envisage l'ordre des choses prises en ellesmêmes, et que l'on réfléchisse que tout ce qui existe, œuvre de la nature

ou de l'art, n'a pu être produit que par une cause intelligente et d'après des types préexistants, idées intérieures ou innées, on devra alors retourner l'axiome scolastique, et dire: Nihil est in sensu quin prius fuerit in intellectu.

Si l'on en croit le docteur Lowth, l'Hermès de Harris est le plus beau modèle d'analyse philosophique qui ait été offert depuis Aristote. En réduisant l'exagération de cet éloge, on peut dire que cet ouvrage renferme beaucoup d'idées justes, sur lesquelles l'auteur se trouve d'accord avec les maîtres de la science, non-seulement chez les anciens dont il exhume et confronte les témoignages, mais chez les modernes, tels que Port-Royal, Dumarsais, Beauzée, dont il paraît cependant avoir ignoré les écrits; qu'on y trouve, en outre, des idées entièrement neuves, dont plusieurs, adoptées ou reproduites par Domergue, de Tracy, de Sacy, sont depuis entrées dans la science.

Les Arrangements philosophiques, quoique moins connus, sont cependant aussi dignes d'attention. L'auteur y annonce le modeste dessein d'exposer les idées des anciens sur la science des principes en commençant par les idées élémentaires; et, en effet, il suit fidèlement le cadre tracé par Aristote dans son traité des Catégories; mais il relève ces matières arides par d'intéressants rapprochements ou par des recherches philosophiques qui ne font pas moins briller son érudition que la profondeur et la subtilité de son analyse. De ces définitions si stériles en apparence, il tire des conclusions irréfutables contre les doctrines dangereuses qui, au dernier siècle, avaient faveur en Angleterre comme en France, le matérialisme, le fatalisme, l'athéisme.

On le voit, Harris, qu'on ne connaît guère que comme grammairien, doit être compté aussi parmi les métaphysiciens, et il occupe un rang distingué entre ces philosophes anglais trop rares au dernier siècle qui ont professé des doctrines spiritualistes.

Les OEuvres de Harris ont été réunies en 4 vol. in-8°, Londres, 1780, et en 2 vol. in-4°, 1801, par les soins de son fils, John Harris, comte de Malmesbury, diplomate distingué. L'Hermès a été traduit en français par Thurot, sur l'invitation de Garat, alors préposé à l'instruction publique, et a été imprimé aux frais de l'Etat, in-8°, Paris, an IV (1797). M. Thurot y a joint un excellent discours préliminaire, et de savantes notes qui complètent ou rectifient les idées de l'auteur. N. B.

HARTLEY (David) naquit à Illingworth, en 1704. Il étudia à l'université de Cambridge la philosophie et la médecine, et, s'étant fait recevoir docteur en médecine, il exerça successivement cette profession à Saint-Edmund's-Bury, à Londres, et à Bath, où il mourut le 28 août 1757. On a de lui plusieurs ouvrages de médecine; mais ce qui a fait sa réputation et lui a valu une place dans l'histoire de la philosophie, c'est son livre intitulé Observations sur l'homme, son organisation, ses devoirs et ses espérances (Observations on man, his frame, his duty and his expectations, in two parts), 2 vol. in-8°, Londres, 1749, réimprimé, en 1791, par les soins de son fils, avec des notes et des additions traduites de l'allemand de Pistorius, et une esquisse de la vie de l'auteur.

Par sa doctrine philosophique et même par son caractère personnel Hartley a beaucoup d'analogie avec Charles Bonnet. Ainsi que l'auteur de l'Essai analytique sur les facultés de l'âme, il a essayé de concilier une psychologie moitié sensualiste, moitié matérialiste, avec des convictions morales et des croyances religieuses très-arrêtées. Tous les phénomènes que nous appelons intérieurs, toutes les modifications de notre âme peuvent se réduire, selon lui, à deux classes: les sensations et les idées. Celles-là sont la source, et la source unique de cellesci. La réflexion, que Locke nous représente comme une faculté distincte d'où dérivent exclusivement quelques-unes de nos connaissances, n'est rien qu'un produit de nos sens, et rentre dans les deux ordres de faits que nous venons de distinguer. Cependant, malgré l'identité de leur origine, toutes nos idées ne présentent pas les mêmes caractères. Les unes se rapportent directement à des objets sensibles, les autres n'en présentent que des rapports abstraits et généraux. De là la distinction des idées de sensation et des idées intellectuelles. Mais il ne faut pas oublier « que les idées de sensation, pour nous servir des expressions mêmes de Hartley, sont les éléments dont se composent toutes les autres.» (Observ. on man, introd., p. 2.) Par conséquent, toute idée générale, tout ce que nous regardons comme des principes universels et nécessaires, directement émanés d'une faculté supérieure, n'est que le résultat d'une association entre plusieurs notions sensibles. Sur ce point, Hartley se montre aussi résolu, quoique moins profond, que Hume, et il est permis de supposer que sa doctrine n'a pas éte sans influence sur son illustre compatriote. Il exprime l'espérance (ubi supra, p. 75 et 76) « qu'en développant et en perfectionnant la doctrine de l'association, on pourra parvenir un jour, lui ou quelque autre, à décomposer cette variété infinie d'idées complexes que nous appelons idées de réflexion ou intellectuelles, c'est-à-dire à les ramener aux idées de sensation dont elles sont formées. »><

Après avoir établi que toutes nos idées, ou plutôt toutes nos manières d'être, ont leur origine dans la sensation, Hartley explique la sensation elle-même et tous les faits qui en dérivent par la vibration des nerfs et du cerveau, sous l'action d'un fluide particulier, de la nature de l'éther. Cette hypothèse a été réfutée par Haller, au point de vue physiologique. En philosophie, si on la rapproche de la théorie sensualiste à laquelle elle sert de complément, elle a pour conséquence inévitable le matérialisme. Cependant Hartley n'est pas matérialiste. Il reconnaît expressément « que la matière et le mouvement, quelque division qu'on puisse en faire, de quelque manière qu'on en raisonne, ne donneront jamais que de la matière et du mouvement. » En conséquence, il demande qu'on ne tire de ses paroles aucune conclusion contraire à l'immatérialité de l'âme (ubi supra, p. 511 et 512). Les mêmes principes aboutissent nécessairement au déterminisme, c'est-à-dire au fatalisme, au moins dans la sphère des actions humaines : car, si notre existence tout entière n'est qu'une simple association d'impressions sensibles, il est clair qu'il ne reste aucune place pour la volonté, la liberté. Hartley accepte en partie cette seconde conséquence de son système; mais en même temps il laisse à l'homme tous ses devoirs et l'espérance d'une autre vie. Pour dissimuler ce qu'il y a de contradictoire entre ces deux

opinions, il a recours à une distinction imaginaire entre la liberté psychologique, qui consiste dans la faculté de choisir, d'agir d'après des motifs, et la liberté philosophique par laquelle on entend le pouvoir d'agir ou de ne pas agir dans les mêmes circonstances. La première, selon lui, nous appartient réellement, et suffit pour sauver notre responsabilité morale; la seconde n'est qu'une chimère, également contraire à l'idée de la toute-puissance et de la prescience divine. Mais la faculté de faire un choix entre plusieurs déterminations, n'est-ce pas la même chose que le pouvoir d'agir ou de ne pas agir? Et si, d'un autre côté, l'on admet une différence entre la détermination et le motif qui la provoque, l'homme ne demeure-t-il pas absolument maître de ses actions? Il n'y a donc pas de milieu entre le fatalisme et la croyance à la liberté humaine. Hartley cherche vainement à s'en défendre, il est fataliste, et avec d'autant plus de raison, si l'on se place à son point de vue, que le bien et le mal moral ne sont pas autre chose, dans sa pensée, qu'une certaine manière d'exprimer le rapport de nos actions avec notre bienêtre, ou le bien et le mal physique qui en peuvent résulter pour nous (ubi supra, p. 196 à 198).

par

Enfin, quoique nous ne puissions pas, selon lui, nous élever au-dessus de l'expérience des sens, et que toutes nos idées générales, tous les principes que nous donnons pour base à la morale et à la métaphysique doivent se résoudre en images sensibles ou en simples sensations, il reconnaît au-dessus de cet univers matériel un être spirituel, infini, toutpuissant, qui existe de toute éternité. Il démontre l'existence de Dieu les preuves de Clarke, et ne paraît pas même se douter que cette démonstration est la ruine de ses propres principes. Mais Dieu, pour lui, n'est pas seulement la cause unique et universelle des phénomènes de la nature; il est aussi, dans le sens propre du mot, l'auteur des actions bumaines. Le vice et le péché sont des maux naturels dont il faut chercher la cause dans la volonté divine; mais le mal est effacé et comme absorbé par le bien car le bonheur universel est la fin de la création. Une doctrine qui réunit autant de contradictions est, dans son ensemble, au-dessous de la critique, et se réfute suffisamment elle-même. Le livre où elle est exposée est moins un seul ouvrage qu'un recueil de dissertations entièrement indépendantes les unes des autres, et dont il est impossible, sous le rapport de la composition comme sous le rapport de la pensée, de former un tout.

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HASARD. C'est le nom que nous donnons à un événement ou à un concours d'événements qui ne paraît être le résultat ni d'une nécessité inhérente à la nature des choses ni d'un plan conçu par l'intelligence. Le même mot s'applique aussi à la cause inconnue et imprévue des faits qui nous offrent ce caractère. « Ceci est un hasard; c'est le hasard qui a fait cela, » disons-nous indifféremment, en parlant d'une même chose. Le lien qui existe dans notre pensée entre la cause et l'effet suffit pour expliquer cette confusion, dont le langage offre plus d'un exemple. Mais dans l'un et l'autre cas, l'idée que nous voulons exprimer est une idée purement négative. En admettant le hasard, nous excluons à la fois la liberté et la nécessité, c'est-à-dire l'ordre, la durée, de quelque source qu'ils dérivent; soit qu'ils viennent de l'intel

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