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» n'a de chalumeaux en sa flûte. Et comment te puni>> roit-il, lui qui chaque jour fait amour nouvelle? Jure» moi par ton troupeau, et par la chèvre qui te nourrit » et allaita, que jamais tu ne laisseras Chloé tant qu'elle » te sera fidelle ; et là où elle te fera faute et aux Nym» phes qu'elle a jurées, fuis-la et la hais ou la tue, » comme tu ferois un loup. >>

Daphnis prit plaisir à ce doute, et debout au milieu de son troupeau, tenant d'une main un bouc et de l'autre une chèvre, jura qu'il aimeroit Chloé tant qu'il en seroit aimé, et que si elle en aimoit un autre, il se tueroit au lieu d'elle; dont elle fut bien aise, et s'en assura plus que du premier serment, croyant les brebis et les chèvres être Dieux propres aux bergers et aux chevriers.

LIVRE TROISIÈME.

MAIS les Mityléniens apprenant comme ceux de Méthymne avoient envoyé dix galères à leur dommage, et mêmement étant informés, par gens qui venoient de la campagne, comme on avoit couru leurs terres et pillé leurs biens, estimèrent que ce seroit lâcheté d'endurer un tel outrage des Méthymniens, et délibérérent promptement prendre les armes contre eux. Si levèrent incontinent trois mille hommes de pied et cinq cents chevaux, et envoyèrent par terre leur capitaine général Hippase, craignant de les mettre sur mer en temps approchant de l'hyver.

Le capitaine parti aussitôt avec ses gens, ne fourragea point les terres des Méthymniens, ni n'emmena le bétail des laboureurs et paysans, parce qu'il estimoit cela être le fait d'un larron et non pas d'un capitaine; ains tira droit vers la ville, espérant la surprendre les portes ouvertes et sans garde. Mais quand il en fut près environ six lieues, un héraut lui vint au devant, qui lui demanda trève au nom des Méthymniens. Car ayant entendu depuis par leurs prisonniers, que ceux de Mitylène ne sçavoient du tout rien de ce qui s'étoit passé, mais que c'étoit

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une querelle entre paysans et jeunes gens, où ceux-ci avoient eu des coups pour quelque insolence par eux faite, ils regrettoient fort d'avoir si à la légère offensé leurs voisins, et n'avoient autre désir que de rendre et restituer ce qui auroit été pris, pour pouvoir trafiquer et hanter comme devant les uns avec les autres sans crainte ni danger. Hippase envoya le héraut porter ces paroles au Sénat des Mityléniens, combien qu'il eût tout pouvoir et autorité absolue, et cependant alla camper à demilieue de Méthymne, attendant les ordres de sa ville. De lá à deux jours ordre lui vint de recevoir les restitutions et s'en retourner sans faire nul dommage. Car ayant le choix de la paix ou de la guerre, ils avoient pensé que la paix valoit mieux. Ainsi se termina la guerre entre Méthymne et Mitylène, finie comme elle fut commencée par soudaine résolution.

Et là-dessus survint l'hyver plus fâcheux que la guerre à Daphnis et à sa Chloé. Car incontinent la neige, tombant en grande abondance, couvrit les chemins et enferma les laboureurs en leurs maisons; les torrents impétueux tomboient aval du haut des montagnes, l'eaù se geloit, les arbres sembloient morts, on ne voyoit plus la terre, sinon alentour des fontaines et de quelques ruisseaux; ainsi ne se pouvoient plus mener les bêtes aux champs, ni n'osoient les gens mettre seulement le nez hors la porte; mais demeurant tous au logis, faisoient un grand feu, alentour duquel, dès que les coqs avoient chanté le matin, chacun venoit faire sa besogne. Les

uns retordoient du fil, les autres tissoient du poil de chèvre, ou faisoient des collets à prendre les oiseaux. Le soin qu'il falloit lors avoir des boeufs, étoit de leur donner de la paille à manger en la bouverie, aux chèvres et brebis de la feuillée en la bergerie, aux pourceaux de la faîne et du gland en la porcherie.

Étant ainsi chacun contraint de garder la maison pour la rudesse du temps, les autres, tant laboureurs que pasteurs, en étoient aises, parce qu'ils avoient un peu de relâche en leurs travaux, faisoient bons repas et long somme; tellement que l'hyver leur sembloit plus doux que non pas l'été, ni l'automne, ni le printemps avec. Mais Daphnis et Chloé se souvenant des plaisirs passés, comme ils s'entrebaisoient, comme ils s'entr'embrassoient, et de leurs joyeux passetemps emmi ces champs et ces prairies, toute nuit soupiroient en grande peine sans pouvoir dormir, attendant la saison nouvelle ne plus ne moins qu'une seconde vie après la mort. Chaque fois qu'ils trouvoient sous leur main la panetière dont ils souloient tirer leur manger, cela leur mettoit deuil au cœur; apercevant la sébile où ils étoient coutumiers de boire l'un après l'autre, ou bien la flûte, qui étoit un don d'amourette, jetée à terre quelque part sans que l'on en tînt compte, cela renouveloit leur regret. Si prio'ent aux Nymphes et à Pan qu'ils les délivrassent de ces maux, et leur remontrassent enfin à eux et à leurs bêtes le soleil beau et clair, et quant et quant faisant ces prières aux Dieux, cherchoient quelque invention par

laquelle ils se pussent entrevoir. Chloé de soi n'y eût sçu que faire, et aussi n'avoit guère moyen; car celle qu'on estimoit sa mère étoit tout le jour après elle, lui montrant à carder la laine et à tourner le fuseau, et lui parlant de la marier; mais Daphnis, comme celui qui avoit plus de loisir et plus de sens aussi que la fillette, trouva pour la voir une telle finesse.

Devant le logis de Dryas, tout contre le mur de la cour, étoient deux grands myrtes et un lierre; les myrtes bien près l'un de l'autre et quasi joints par le pied, tellement que le lierre les embrassant tous deux, et s'étendant en guise de vigne sur l'un et sur l'autre, y faisoit une manière de loge fort couverte, tant les feuilles étoient épaisses et tissues, s'il faut ainsi dire, les unes avec les autres, par dedans pendoient force grappes noires, comme raisins à la treille; à l'occasion de quoi y avoit toujours, mêmement l'hyver, grande multitude d'oiseaux qui lors ne trouvoient rien ailleurs, force merles, force grives, force ramiers, force bisets, et de tous autres oiseaux aimant à manger grains de lierre. Daphnis sortit de la maison sous couleur d'aller tendre à ces oiseaux, ayant plein son bissac de fouaces et de gâteaux au miel, et portant aussi, afin qu'on le crût mieux, de la glu et des collets. La distance de l'une des maisons à l'autre étoit d'environ demi-lieue, et la neige, non encore durcie par le froid, lui eût fait avoir bien de la peine, n'eût été qu'Amour passe partout et franchit le feu, l'eau, la neige, voire même celle de la Scythie. Daphnis fit le chemin

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