Au buste assujetti le bras s'étend soudain ; Au fond de son orbite éclate la prunelle : Un doux voile se ferme et s'entr'ouvre autour d'elle. En deux filets de pourpre est déjà séparée (1). La suite n'est pas moins remarquable; la création de la femme et la naissance de la vie et des sentiments sont deux morceaux achevés. L'art n'obtenait encor qu'un triomphe douteux : (1) COLARDEAU, les Hommes de Prométhée, p. 30, édit. Dabo, 1821. On peut remarquer seulement que Colardeau prend Pandore comme le type de la femme, et qu'il la fait créer par Prométhée, tandis que suivant la Mythologie grecque, elle fut l'œuvre de Vulcain. Rulhières, né en 1735 et mort en 1791, a fait un petit poème sur les Disputes; c'est peut-être son chef-d'œuvre ; aussi Voltaire l'a-t-il recueilli tout entier dans son Dictionnaire philosophique, où il forme à lui seul l'article Disputes. Roucher, né en 1745 et mort, comme André Chénier, sur l'échafaud, en 1794, a fait le long et lourd poème des Mois, dans lequel il y a pourtant des morceaux qu'on lit avec plaisir (1). D'autres poètes moins connus ont produit, dans le genre qui nous occupe, beaucoup d'ouvrages aujourd'hui oubliés. Un nommé Le Vacher de la Feutrie a donné, en 1778 ou 1779, l'École de Salerne ou l'Art de conserver la santé, en vers latins et français : on y lit ces deux vers et d'autres du même acabit: Qui veut bien se nourrir de veau fasse ripaille, Cournand a fait un poème en quatre chants sur les différents genres de style; la seconde édition a paru sous ce titre fort court: Les Styles; l'auteur en compte quatre, le simple, le gracieux, le sublime et le sombre; on remarquait dans la seconde édition une charmante description de Chantilly (3). Guyétant, vers la même époque, a publié le Génie vengé. François de Neufchâteau a donné les Vosges, poème de plus de huit cents vers, comparable à celui d'Ilaller sur les Alpes, et dont on a dit qu'il était la continuation. On y trouve des tableaux imposants, de belles descriptions, (1) LA HARPE, Cours de Littérat., t. VIII, p. 201. (2) Voyez l'Almanach des Muses, pour 1780, dans la notice qui termine le volume. (3) Ibid. parmi lesquelles on distingue celle des Vosges en général et de l'industrie des habitants; celle de Plombières et de ses eaux; on reproche à ce poème de la prolixité, des transitions languissantes, et un peu de monotonie dans les descriptions (1). Ricard (Dominique) a fait un poème en huit chants sur la Sphère: il y fait entrer toute la nature, l'invention de l'agriculture, le déluge, les systèmes de Ptolémée et de Copernic, la description du zodiaque, celle des planètes, l'attraction de Newton, les éclipses, les vents, l'arc-en-ciel, le flux et le reflux, la boussole, etc. Il n'y a point de verve dans ce poème indéfini ; la versification y est peu travaillée; à peine y trouve-t-on à louer quelques détails heureux (2). Boisjoslin, né à Alençon en 1760, mort tout récemment, a publié en 1798, sous le titre La Forêt de Windsor, une traduction du poème que Pope publia en 1715, lors de la paix d'Utrecht. C'est, dit-on, de tous ses ouvrages celui dont il estimait le plus le style. Boisjoslin l'a traduit dignement sous ce rapport. Malheureusement la Forêt de Windsor est entièrement dénuée d'intérèt, et l'art de Pope n'a pas pu y mettre celui que son sujet ne comportait pas. Rien de plus soporifique qu'une description perpétuelle comme celle de cette forêt. Les vers suivants donneront, du reste, une idée de la manière du traducteur; ils sont d'autant plus agréables, qu'ils représentent très-poétiquement, et pourtant sans aucune prétention à la poésie, ce que tout le monde a vu dans la pêche à la ligne : Au retour du printemps, sous une ombre incertaine, (1) Almanach des Muses, lieu cité. (2) Même endroit. Windsor offre en ses eaux tout un peuple écaillé, Et le tyran des eaux, le brochet affamé (1). De Piis, que nous avons vu être l'un des chansonniers les plus féconds de l'époque impériale, avait fait, quelque temps avant la révolution, en 1788, un poème sur l'Harmonie imitative de la langue française ; ce poème a obtenu quelque célébrité par son ridicule peut-être, et par la bizarre idée qui avait pu faire chercher au poète des effets harmoniques dans l'accumulation des mêmes lettres ou des mêmes syllabes. Le premier des quatre chants qui composent ce poème est consacré à l'exposition du sujet, et à quelques généralités sur l'harmonie imitative en poésie. Il est, n'en doutons pas, il est une harmonie Qui naît du choix des mots, qu'enchaîne le génie; Vous peindrez à l'oreille aussi vite qu'aux yeux (2)! Je ne m'amuse pas à montrer la fausseté de ces principes, ni combien c'est un sûr moyen de faire de mauvais vers que d'y chercher une harmonie qu'on doit tout au plus accepter quand elle se présente d'elle-même. Je me contente de faire voir où de Piis a été conduit par son système, et ce qu'il en a pu tirer. Après avoir établi que la langue française a une harmonie qui lui est propre (on sait qu'il y a eu des gens assez mal organisés pour le contester), il en vient à ce qu'il nomme (1) Voyez l'Almanach des Muses (2) Harmonie imitative, ch. I. pour 1798, p. 247. l'analyse de l'alphabet; c'est-à-dire qu'il continue et parachève la leçon que le maître de philosophie donne à M. Jourdain, dans le Bourgeois gentilhomme (1). Seulement, au lieu d'examiner précisément comment se forment les différentes voix ou articulations, il tâche d'en déterminer le caractère harmonique par des amplifications qui ne sont pas toujours très-intelligibles. Voilà ce qu'il dit de l'A : A l'instant qu'on l'appelle, arrivant plein d'audace, A l'aspect du Très-haut, sitôt qu'Adam parla, Ces vers, on le voit, ne signifient rien du tout; de Piis y a réuni beaucoup de mots commençant par un A; c'est tout ce qu'on en peut dire : du reste, que tirer de cette réunion? et qu'en conclure sur le caractère de l'A? Ce qu'il dit de l'M et de l'N est bien plus absurde encore : (1) MOLIÈRE, Bourg. gentilh., 11, 6. (2) Harm, imitat., ch. I. |