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La poésie expositive, plus communément et moins exactcment nommée didactique, contient un grand nombre de poèmes d'espèces différentes, qui tous ont été cultivés avec des succès divers pendant l'époque impériale: d'abord, le poème didactique proprement dit, dans lequel on se propose d'établir les préceptes d'un art, ou quelque vérité morale ou philosophique; ensuite, les discours en vers sur des sujets champêtres ou mélancoliques; c'est dans cette division que rentrent les idylles, les éclogues, les élégies, les héroïdes; en troisième lieu, les discours critiques ou l'épître ordinaire, et la satire sous toutes ses formes; puis l'apologue ou la fable; enfin les petites pièces de tout caractère, parmi lesquelles on distingue surtout les épi

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grammes et les madrigaux, destinés ceux-ci à louer, celles-là à blâmer les hommes ou les choses. Parcourons rapidement les productions de l'époque impériale dans ces divers genres, en commençant par le poème didactique proprement dit; rappelons toutefois, avant tout, que ce poème qu'on appelle souvent descriptif, par allusion aux nombreuses descriptions que les auteurs y accumulent à droit ou à tort, a, dans le siècle dernier, occupé assez souvent nos poètes: sans parler de Delille, que nous verrons montrer, à l'époque impériale, une fécondité extraordinaire, Bernis, né en 1715, mort en 1794, avait fait les jolis petits poèmes des Quatre Parties du jour et des Quatre Saisons, tous les deux en vers octosyllabes; il y joignit plus tard (1) la Religion vengée, en alexandrins et en dix chants, où l'on n'a guère qu'à regretter l'absence de toutes les qualités qui distinguent les poètes.

Saint-Lambert, né en 1717, mort en 1803, s'est fait une réputation méritée et durable par son beau poème des Saisons, où il a répandu à profusion les riches couleurs de la poésie sur les tableaux que lui offrait la nature.

Ducis, né en 1733, mort en 1817, a fait le Banquet de l'Amitié en quatre chants; Lemierre, né comme Ducis en 1733, a composé, en s'appuyant sur un poème latin de l'abbé de Marsy, un poème de la Peinture, qui est loin de manquer de mérite; c'est même son chef-d'œuvre au jugement de La Harpe (2).

Dorat, né en 1734, mort en 1780, qui, dans sa courte carrière, nous a donné cinq romans, six tragédies, sept comédies, cinq poèmes, vingt-sept héroïdes, une centaine de fables et plusieurs centaines d'odes, épigrammes, madrigaux, essais, etc., le tout à peu près oublié aujourd'hui, a pourtant fait sur la Déclamation théâtrale un poème

(1) C'est un poème posthume qui n'a paru qu'en 1797.

(2) Cours de Littérature, t. VIII, p. 59.

en quatre chants, fort recommandable, et qui peut passer pour un des jolis ouvrages de notre langue; la tragédie, la comédie, le chant et la danse, sont les sujets des quatre livres de ce poème ; et partout l'histoire de l'art, mêlée aux préceptes les plus utiles, donne à cet ouvrage une grande valeur. Les vers suivants que je cite au hasard, et pour donner une idée d'un poème trop peu connu, prouveront ce que j'avance: c'est la comparaison de deux célèbres tragédiennes, dont les talents divers partageaient à peu près également l'admiration des amateurs à la fin du dernier siècle, Mlle Dumesnil et Mlle Clairon :

Déjà la Parque avide, au milieu de leur cours,
Charmante Le Couvreur, avait tranché tes jours:
Un poignard sur le sein, la pâle Tragédie,
Dans le même tombeau se crut ensevelie,
Et foulant à ses pieds les immortels cyprès,
D'un crêpe environna ses funèbres attraits.
Une actrice parut : Melpomène elle-même
Ceignit son front altier d'un sanglant diadême :
Dumesnil est son nom; l'amour et la fureur,
Toutes les passions fermentent dans son cœur;
Les tyrans à sa voix vont rentrer dans la poudre,
Son geste est un éclair, ses yeux lancent la foudre.
Quelle autre l'accompagne, et parmi cent clameurs,
Perce les flots bruyants de ses adorateurs?
Ses pas sont mesurés, ses yeux remplis d'audace,
Et tous ses mouvements déployés avec grâce :
Accents, gestes, silence, elle a tout combiné;
Le spectateur admire et n'est point entraîné ;
De sa sublime émule elle n'a point la flamme:
Mais à force d'esprit elle en impose à l'âme.
Quel auguste maintien! quelle noble fierté !
Tout jusqu'à l'art chez elle a de la vérité.
Vous devez avec soin consulter l'une et l'autre ;
Et puiser dans leur jeu des leçons pour le vôtre :
Mais votre premier maître est surtout votre cœur (1).

Lisez les chants suivants sur la comédie, l'opéra et les (1) DORAT, la Déclamation théâtrale, ch. I.

ballets, vous y trouverez des préceptes aussi excellents que ceux-là, exprimés dans un français toujours pur, dans des vers toujours harmonieux, et, selon le cas, sous les couleurs les plus poétiques.

Colardeau, né en 1735 et mort en 1776, a donné sous le titre les Hommes de Prométhée, un poème didactique dont il avoue avoir pris le fond, l'ensemble et le dessin dans un morceau de M. de Querlon, aujourd'hui tout-à-fait inconnu. Il est probable qu'il s'est inspiré de Milton, autant au moins que de l'auteur qu'il cite. Il suppose qu'un sage lui explique un tableau où est représenté Prométhée ayant auprès de lui Pandore et l'homme qu'il vient de créer. Le poème est un peu trop long; l'intérêt faiblit à la fin, au lieu de croître, comme cela devrait être; c'est un grave défaut; mais il y a, dans le commencement surtout, des passages d'un telle vérité, d'une expression si poétique et si harmonieuse, qu'il est impossible de rien trouver de plus fini. Je citerai comme exemple quelques vers de la création de l'homme:

A leur affreux supplice échappa Prométhée.
Il frémit en voyant la terre inhabitée,
Et ses fils malheureux à jamais engloutis,
Replongés dans les flancs dont ils étaient sortis;
Mais à s'humilier rien ne peut le résoudre,
Il relève son front sillonné par la foudre :
« Des Dieux qui m'ont vaincu soyons encor l'égal,
Dit-il dût mon orgueil me devenir fatal,
De ces Dieux détestés bravons la tyrannie!
Sans le feu de l'audace il n'est point de génie :
Osons tout; repeuplons ce globe désolé ».
Il projette, exécute, et l'homme est modelė;
D'abord, pour affermir l'édifice fragile,
En solides appuis il façonne l'argile;
Du sang prêt à couler il creuse les canaux,
De la fibre mobile il unit les faisceaux;
Il les unit entre eux; entre eux il les oppose,
Des mouvements divers il assure la cause.

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