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timents serviles et corporels (1), ne doivent donc point être employés à l'éducation de ceux que nous voulons rendre sages et vertueux par inclination. Il ne faut y recourir que fort rarement, et seulement dans des occasions importantes, et à la dernière extrémité.

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(1) Montaigne n'avait qu'une fille « qui, dit-il, avoit at<< teint six ans et plus, sans qu'on eust employé à sa conduite, et pour le chastiement de ses fautes puériles, autre « chose que paroles et bien douces. J'eusse été, ajoute-t-il, beaucoup plus religieux vers des mâles, moins nés à servir, <«<et de condition plus libre. J'eusse aimé à leur grossir le « cœur d'ingénuité et de franchise.» ESSAIS, liv. II, ch. VIII.

SECTION IV.

DES RÉCOMPENSES: L'USAGE QU'ON EN DOIT FAIRE
DANS L'ÉDUCATION DES ENFANTS.

S LIII.

S'il faut porter les enfants à leur devoir

récompenses.

par des

D'UN autre côté, il faut éviter avec autant de soin de cajoler les enfants, en leur donnant, sous l'idée de récompenses, certaines choses qui leur plaisent, pour les engager à s'acquitter de leur devoir car celui qui donne à son enfant des pommes, des dragées, ou quelque autre chose de cette nature qu'il aime beaucoup, afin de l'obliger à apprendre sa leçon, ne fait qu'autoriser par-là l'amour qu'il a pour le plaisir, et entretenir en lui cette dangereuse inclination, qu'il devrait tâcher, par toutes sortes de moyens, de mortifier et d'étouffer entièrement. C'est en vain que vous espérez d'obliger votre enfant à vaincre cette passion, si d'un côté vous vous

engagez à le dédommager de la contrainte que vous imposez à son inclination, en lui proposant de l'autre de nouveaux objets capables de la satisfaire. Pour faire qu'un enfant soit un jour sage, vertueux et homme de bien, il faut lui apprendre à dompter ses passions et à réprimer l'inclination qu'il a pour les richesses, pour la parure, ou pour la bonne-chère, etc., toutes les fois que sa raison et son devoir l'exigent. Mais si vous le portez à faire une chose raisonnable en elle-même, en lui présentant de l'argent, si vous le récompensez de la peine qu'il a d'apprendre sa leçon, par le plaisir de manger quelque bon morceau, si vous lui promettez une cravatte à dentelle, ou un bel habit neuf, pourvu qu'il s'acquitte de quelques-uns de ses petits devoirs, n'est-il pas visible qu'en proposant ces choses en forme de récompenses, vous les faites passer pour des choses bonnes en elles-mêmes que votre enfant doit tâcher d'obtenir, et que par-là vous l'excitez à les désirer avec d'autant plus d'ardeur, et l'accoutumez à mettre son bonheur dans leur jouissance? Ainsi, pour engager les enfants à apprendre leur grammaire, à danser, ou à faire quelque autre chose de cette nature, peu capable de contribuer au bonheur ou à la commodité de leur vie, l'on emploie mal-àpropos les récompenses et les châtiments, on

détruit en eux tout principe de vertu, on renverse l'ordre de leur éducation, et on leur inspire le luxe, l'orgueil ou l'avarice, etc. Méthode extravagante, par laquelle un père entretient ses enfants dans de mauvaises inclinations, qu'il devrait étouffer entièrement, et jette dans leur ame la semence de tous ces vices, qu'on ne peut éviter qu'en réprimant ses propres désirs, et en s'accoutumant de bonne heure à se soumettre à la raison.

§ LIV.

Je ne dis pas ceci pour insinuer qu'on devrait priver les enfants des commodités et des plaisirs de la vie, qui ne sont pas contraires à leur santé ou à la vertu. Bien loin de là, je suis d'avis qu'on leur rende la vie aussi agréable qu'il est possible, qu'on leur permette de goûter pleinement tous les innocents plaisirs pour lesquels ils sentent de l'inclination, pourvu qu'on le fasse avec cette précaution de ne leur accorder ces plaisirs que comme des suites de l'approbation qu'ils ont acquise par leur bonne conduite dans l'esprit de leurs gouverneurs, et jamais comme des récompenses de ce qu'ils se sont appliqués à certaine chose pour laquelle ils témoignent de l'aversion, ou qu'ils n'auraient pas voulu faire sans cela.

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S LV.

Mais, direz-vous, « si l'on n'a recours ni à <«< la verge, ni à de petites récompenses, pour porter les enfants à leur devoir, comment << pourra-t-on les gouverner? Otez l'espérance et << la crainte, il n'y a plus de discipline. » J'avoue que la crainte du mal, et l'espérance du bien, les récompenses et les punitions sont les seuls motifs d'une créature raisonnable; que ce sont là les deux grands ressorts de toutes les actions des hommes, et qu'ainsi l'on doit s'en servir à l'égard des enfants. Mais j'avertirai ici leurs parents et leurs gouverneurs de se ressouvenir toujours que les enfants doivent être traités comme des créatures raisonnables.

S LVI.

De quelles récompenses et de quelles peines il faut se servir à l'égard des enfants.

Il faut, je l'avoue, proposer aux enfants des récompenses, et leur infliger des peines, si l'on veut gagner quelque chose sur leur esprit. Mais en quoi on se trompe, à mon avis, c'est dans le choix qu'on fait généralement des peines et des récompenses. On a recours pour cela à des châtiments et à des plaisirs corporels: mais lors

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