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pénétrer au-delà de l'écorce et des simples apparences; et enfin à conserver, à la faveur d'une conduite civile et obligeante, une honnête liberté avec les étrangers et avec toute sorte de personnes, sans perdre leur estime. Un jeune homme qui commence à voyager dans un âge raisonnable, et dans le dessein de profiter, peut s'entretenir et faire connaissance avec les personnes de qualité qui sont dans les lieux où il va. C'est là, sans contredit, l'une des choses les plus avantageuses à un gentilhomme qui voyage dans des pays étrangers; mais, je vous prie, parmi nos jeunes gens qui voyagent avec des gouverneurs, en voit-on un entre cent qui, dans les pays étrangers, rende visite à des personnes de qualité? Moins encore arrive-t-il qu'ils fassent connaissance avec des gens de qui ils pourraient apprendre en quoi consiste la politesse de ces pays-là, et ce qui s'y trouve de plus remarquable; quoiqu'avec de telles personnes on puisse plus apprendre en un jour qu'en courant un an ça et là d'hôtellerie en hôtellerie, comme font la plupart de nos jeunes voyageurs. Et dans le fond ce n'est pas là une chose fort surprenante : car des gens d'esprit et de mérite ne sont pas fort portés à recevoir dans leur familiarité, de jeunes enfants qui ont encore besoin d'être sous la conduite d'un gouverneur.

Mais si un jeune gentilhomme étranger, qui a l'air et les manières d'un homme fait, témoigne avoir envie de s'instruire des coutumes, des mœurs, des lois et du gouvernement des pays où il voyage, il trouvera par-tout un favorable accueil auprès des personnes les plus distinguées par leur politesse et par leur savoir, qui sont toujours prêtes à bien recevoir un étranger, honnête homme et curieux, à l'obliger, et à le faire valoir dans les occasions.

§ CCXXII.

Quelque certain que soit tout ce que je viens de dire, je doute fort que ce soit capable de faire changer la coutume qu'on a prise, de faire voyager les jeunes gens dans le temps de leur vie le moins propre à cela, pour des raisons qui ne sont assurément pas fondées sur leur avancement. Il ne faut pas, dit-on, exposer un jeune enfant à voyager dans des pays étrangers à l'âge de neuf ou dix ans, à cause des accidents qui pourraient lui arriver dans un âge si tendre et si délicat; quoiqu'il coure alors dix fois moins de risque qu'à l'âge de dix-sept ou de dix-huit ans. Il ne faut pas non plus, à ce qu'on croit, attendre à envoyer un jeune homme hors de chez lui, qu'il ait passé cet âge rétif et dangereux, parce qu'il doit être de retour dans sa patrie

à vingt et un ans, pour se marier. Son père a besoin d'argent, et sa mère ne saurait se passer plus long-tems d'une nouvelle troupe de petits enfants, avec qui elle puisse badiner ainsi notre jeune homme est obligé, quoi qu'il en puisse arriver, d'épouser la femme qu'on lui a choisie, dès qu'il a atteint l'âge de majorité (1). Cependant il ne serait pas mal, pour le bien de son corps et de son esprit, et même pour celui des enfants qu'il doit mettre au monde, que cette cérémonie fût différée pour quelque temps; et qu'on lui laissât prendre un peu d'avance sur ses enfants, tant à l'égard de l'âge, que par rapport aux lumières de l'esprit; car il arrive souvent les enfants suivent leur père de trop près; ce qui n'est pas le sujet d'une grande satisfaction ni pour le fils ni pour le père. Mais puisque notre jeune gentilhomme est prêt à se marier, il est temps de le laisser auprès de sa maî

tresse.

que

(1) C'est vingt et un ans, selon la loi d'Angleterre.

SECTION XXVIII.

CONCLUSION DE TOUT L'OUVRAGE.

$ CCXXIII.

QUOIQUE je sois présentement à la fin de mes remarques sur l'Éducation des Enfants, je ne voudrais pas qu'on s'imaginât que je regarde ce que je viens de dire comme un traité complet sur cette matière. Il y a mille autres choses à considérer, et particulièrement si l'on voulait entrer dans l'examen des divers tempéraments, des inclinations différentes, et des défauts parti culiers qu'on remarque dans les enfants, et qu'on entreprît de prescrire les remèdes qui y sont propres. Cette matière est d'une si grande étendue, qu'il faudrait faire un volume entier pour la traiter, encore ne suffirait-il pas. Il y a dans l'ame de chaque homme, aussi-bien que

dans le visage, quelque chose de particulier qui le distingue de tous les autres ; et peut-être à peine y a-t-il deux enfants qui puissent être conduits par une même méthode, à prendre la chose dans la dernière précision. D'ailleurs, je crois que l'enfant d'un prince, celui d'un homme de qualité, et celui d'un simple gentilhomme, devraient être élevés d'une manière différente. Mais comme je n'ai eu ici que quelques vues générales par rapport à la fin principale de l'éducation, et cela en faveur du fils d'un gentilhomme de mes amis qui était alors fort jeune, et que je ne considérais pour cet effet que comme du papier blanc, ou de la cire, sur quoi l'on peut imprimer ce qu'on veut, je ne me suis guère attaché à autre chose qu'à traiter les points généraux que j'ai jugés nécessaires pour l'éducation d'un jeune gentilhomme de son rang. Je publie maintenant ces pensées, que l'occasion a fait naître, dans l'espérance que, quoiqu'elles ne contiennent pas un traité complet sur la matière, et que chacun ne puisse pas y trouver ce qui convient précisément à son enfant, elles pourront pourtant donner quelques petites lumières à ceux qui, encouragés par l'intérêt qu'ils prennent à tout ce qui touche leurs chers enfants, sont assez hardis pour oser bien se hasar

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