Page images
PDF
EPUB

SECTION XXVI.

SI UN JEUNE HOMME DE BONNE MAISON DOIT APPRENDRE

A TENIR LES LIVRES DE COMPTE.

§ CCXVII.

Un gentilhomme doit apprendre à tenir les Livres de compte.

MAIS si les parents, par une prévention peu rai

sonnable, s'effraient au nom odieux de métier et d'art mécanique, et qu'ils aient de la répuà voir leurs enfants s'occuper à quoi que gnance ce soit de cette espèce, il y a pourtant une chose qui fait partie du négoce, dont ils conviendront que la connaissance est absolument nécessaire à leurs enfants, s'ils l'examinent avec soin. Je veux parler de l'art de tenir les Livres de compte.

Quoique, selon toutes les apparences, cette connaissance ne soit pas nécessaire à un gentilhomme pour acquérir du bien, cependant il n'y a peut-être rien qui contribue davantage à lui

faire conserver ce qu'il possède. On voit rarement qu'une personne qui tient compte de ses revenus et de sa dépense, et qui par ce moyen a toujours devant les yeux l'état de ses affaires domestiques, les laisse aller en ruine. Mais je suis assuré que, pour n'avoir pas le soin ou l'adresse de tenir des comptes exacts, bien des gens se trouvent mal dans leurs affaires avant que de s'en apercevoir, ou les laissent dépérir de plus en plus, lorsqu'une fois le désordre a commencé de s'y mettre. Je conseillerais donc à toute personne de bonne maison d'apprendre exactement à tenir les livres de compte, et de ne pas se mettre dans l'esprit que cela ne les regarde point, sous prétexte que c'est parmi les marchands que cet art a pris naissance, et que c'est parmi eux qu'il est principalement en usage.

§ CCXVIII.

Lorsque notre jeune élève saura bien tenir les livres de compte (ce qui dépend plus du bonsens que de l'arithmétique), il ne sera peut-être pas mal que son père exige de lui qu'à l'avenir il fasse usage de cette science dans toutes ses petites affaires. Je ne voudrais pourtant pas qu'il mît par écrit tout ce qu'il dépenserait, article par article, comme une pinte de vin, dix sous ;

vingt sous perdus au jeu, etc. Il suffit de mettre ces petites choses sous le nom général de Dépense, et je ne serais pas d'avis non plus que son père examinât de trop près ces sortes de comptes, pour en prendre occasion de blâmer les dépenses qu'il fait. Un père doit se ressouvenir qu'il a été jeune, et ne pas oublier les sentiments qu'il avait dans ce temps-là, ni le droit que son fils a de sentir les mêmes desirs, et d'avoir le moyen de les satisfaire. Si donc je conseille d'obliger un jeune gentilhomme à tenir des comptes, ce n'est pas d'avoir par là sujet de le censurer sur ses dépenses (car il doit disposer absolument de ce que son père lui donne), mais seulement afin qu'il puisse s'accoutumer bientôt à cela, et qu'ainsi il se fasse de honne heure une habitude d'une chose dont la constante pratique doit lui être si utile et si nécessaire durant tout le cours de sa vie. On raconte d'un noble Vénitien, dont le fils ne gardait aucune mesure dans ses dépenses, jetant, pour ainsi dire, l'argent par les fenêtres, que, voyant augmenter tous les jours cette folle prodigalité, il ordonna à son intendant de ne pas donner à l'avenir plus d'argent à son fils que ce que son fils en compterait lui-même en le recevant. Quelqu'un s'imaginera que ce n'était pas là un expédient fort propre à modérer les dépenses d'un jeune gentilhomme,

qui par là pouvait avoir aisément autant d'argent qu'il en demanderait. Cependant cette peine imposée à un jeune homme qui n'était accoutumé qu'à songer à se divertir, le jeta daņs un fort grand embarras qui se termina enfin par cette sage et solide réflexion: Si c'est une chose si pénible pour moi de compter simplement l'argent que je veux dépenser, quel soin et quelle peine mes ancêtres ne doivent-ils pas avoir pris, non-seulement pour le pour le compter, mais gagner! Une pensée si raisonnable lui étant venue à l'occasion de ce petit soin qu'on exigeait de lui, fit une si forte impression sur son esprit, qu'ayant commencé dès-lors à être plus sage et plus retenu dans ses dépenses, il devint trèséconome. Quoi qu'il en soit, tout le monde doit convenir qu'il n'y a rien qui doive vraisemblablement obliger un homme à ménager son bien, que d'avoir incessamment devant les yeux l'état de ses affaires dans des comptes exacts et bien suivis.

SECTION XXVII.

POURQUOI ET EN QUEL TEMPS ON DOIT faire voyaGER LES JEUNES GENS.

§ CCXIX.

Si un jeune gentilhomme doit voyager.

La dernière chose à laquelle on songe ordinairement dans l'éducation d'un jeune gentilhomme, c'est à le faire voyager. On croit communément que c'est par là qu'on peut mettre la dernière main à cet important ouvrage, et rendre un jeune homme entièrement accompli. J'avoue que les voyages dans des pays étrangers sont d'une fort grande utilité; mais je crois que le temps qu'on choisit d'ordinaire pour envoyer les jeunes gens hors de chez eux, est cause, entre autres choses, qu'ils sont moins en état de profiter de leurs voyages. Tous les avantages qu'on se propose dans cette occasion, peuvent se réduire à ces deux, qui sont les plus importants: le premier consiste à apprendre des langues étrangères,

« PreviousContinue »