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pas contraire à ce que j'ai dit ci-dessus, que je ne serais pas d'avis qu'on embarrassât les enfants, pendant qu'ils sont jeunes, d'aucune idée des esprits car par là je ne voulais dire autre chose, si ce n'est que je crois qu'on fait mal de commencer de bonne heure à faire entrer dans leurs ames, susceptibles en ce temps-là de toutes sortes d'impressions, des idées effrayantes de fantômes, de spectres et d'apparitions, artifice I dont leurs gouvernantes et ceux qui sont auprès d'eux se servent volontiers pour les obliger par cet épouvantail à exécuter leurs ordres : ce qui cause souvent de grands inconvénients, dont ils ressentent les effets pendant tout le reste de leur vie; car ces sortes d'idées s'étant une fois, imprimées dans leur esprit, ils se trouvent dèslors asservis à des craintes, à des frayeurs et à des faiblesses pleines de superstition, qui les remplissent de chagrin et de confusion lorsqu'ils viennent à paraître dans le monde; et il arrive assez souvent que, pour se guérir entièrement l'esprit comme ils s'imaginent, et pour se délivrer d'un si pesant fardeau, ils renoncent tout d'un temps à la croyance de tous les esprits, se jetant ainsi dans une autre extrémité pire que la première.

§ CXCVIII.

La Physique.

Voulez-vous savoir maintenant pourquoi je serais d'avis qu'avant que d'engager les jeunes gens dans l'examen de la nature des corps, on leur donnât quelque connaissance des esprits, et qu'on leur inculquât fortement ce que l'Écriture sainte nous apprend, avant que de leur faire commencer l'étude de la physique? Le voici. Comme la matière est une chose dont tous nos sens sont incessamment frappés, il arrive aisément qu'elle remplit, pour ainsi dire, la capacité de notre ame jusqu'à en exclure tout être différent de la matière; de sorte que ce préjugé, une fois établi sur cette accoutumance, empêche souvent qu'on n'admette des esprits, ou qu'on ne croie qu'il y ait dans la nature aucun être immatériel, quoiqu'il soit évident que par la seule idée de la matière et du mouvement on ne saurait expliquer aucun des phénomènes considérables de la nature; tel est, entre autres, celui de la pesanteur. C'est un phénomène fort commun, que je ne crois pas (1) qu'on puisse exprimer

(1) On peut voir les conjectures de M. le chevalier Newton sur la cause de la pesanteur, dans son Traité d'optique,

par aucun effet naturel de la matière, ou par aucune loi du mouvement, mais par la volonté positive d'un être suprême qui a déterminé la chose de cette manière. Ainsi, comme on ne peut bien expliquer le déluge, sans admettre quelque chose qui ne soit pas selon le cours ordinaire de la nature, je laisse à juger si en supposant que Dieu ait changé pendant un certain temps le centre de gravité de la terre (chose aussi intelligible que la pesanteur elle-même, et qui peut-être se pourrait faire par un petit changement de causes qui nous est inconnu), on ne rendrait pas plus aisément raison du déluge de Noé, que par aucune hypothèse qu'on ait employée jusqu'ici pour l'expliquer. J'apprends qu'on objecte à cela que le changement du centre de gravité ne produirait qu'un déluge particulier. Mais, ce changement une fois admis, il n'est pas difficile de concevoir que, par un effet de la puissance divine, le centre de gravité, placé à une distance convenable de celui de la terre, se mût en rond pendant tout le temps requis pour faire un déluge universel; et par là je

imprimé pour la seconde fois en Anglais, en 1718; et dans la traduction française imprimée à Paris, in-4°, en 1722. Ces conjectures n'avaient pas paru dans la première édition anglaise, imprimée en 1704, six ou sept mois avant la mort de M. Locké.

pense qu'on pourrait bien plus aisément rendre raison de tous les phénomènes du déluge décrit par Moïse, que par ce grand nombre de suppositions étranges auxquelles on a eu recours pour expliquer ce déluge. Mais ce n'est pas ici le lieu de pousser cet argument, que je n'ai proposé qu'en passant, afin de faire voir qu'il est nécessaire de recourir à quelque chose de plus que la matière et le mouvement pour rendre raison des ouvrages de la nature, et que la connaissance des esprits et de leur pouvoir, auquel l'Écriture attribue de si grands effets, y peut servir beaucoup; réservant à une occasion plus commode d'expliquer cette hypothèse d'une manière plus étendue, et d'en faire l'application à toutes les parties du déluge et à toutes les difficultés qui se présentent dans l'histoire de cette épouvantable catastrophe telle qu'elle nous est racontée dans la Bible.

§ CXCIX.

La Physique.

Mais, pour revenir à l'étude de la physique, quoique le monde soit plein de systêmes de cette partie de la philosophie, je ne saurais dire que j'en connaisse aucun qui soit propre à être enseigné à un enfant, comme une science où il puisse s'assurer de trouver des connaissances cer

taines et évidentes, qui est ce que promettent toutes les sciences. Je ne veux pas inférer de là qu'on ne doive lire aucun systême de physique. Dans un siècle aussi éclairé que celui-ci, il est nécessaire qu'un gentilhomme en examine quelques-uns pour en pouvoir discourir dans les conversations. Mais, soit qu'on lui mette entre les mains le systême de Descartes, comme celui qui est le plus à la mode, ou qu'on juge à propos de lui donner une légère idée de celui-là et de plusieurs autres, je crois qu'il faut lire tous les différents systêmes de physique qui ont paru dans cette partie du monde, que nous connaissons plutôt pour savoir les hypothèses et entendre les termes et les façons de parler des diverses sectes, que dans l'espérance d'acquérir par là une connaissance certaine et évidente des ouvrages de la nature. Tout ce qu'on peut dire, c'est que les philosophes modernes qui expliquent les effets de la nature, par la seule considération de la figure et du mouvement des différentes parties de la matière, parlent en plusieurs choses plus intelligiblement que les péripatéticiens qui ont régné dans les écoles immédiatement avant ces premiers. Que si quelqu'un veut pousser plus loin l'étude de la physique, et connaître les différentes opinions des anciens, il

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