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pas chez eux une petite affaire que de travailler à la polir, et de l'enrichir. On a érigé des académies et établi des pensions pour cela, et il y a parmi eux une extrême émulation à qui écrira d'une manière plus pure et plus correcte. Nous voyons où ils en sont venus par ce moyen-là, et combien ils ont répandu leur langue (1), la

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(1) Les écrivains français qui se sont le plus distingués sous le règne de Louis XIV, par la beauté, la pureté et la vivacité de leur style, ne jugent pas si désavantageusement de la langue française qu'on parlait long-temps avant l'établissement de l'académie. Ils doutent au contraire qu'elle soit fort inférieure à celle dont je parle aujourd'hui. « Si nos << ancêtres, dit le judicieux La Bruyère, ont mieux écrit « que nous, ou si nous l'emportons sur eux par le choix <«< des mots, par le tour et l'expression, par la clarté et la « brièveté du discours, c'est une question souvent agitée, toujours indécise. Il faudrait, pour prononcer juste « sur cette matière, opposer siècle à siècle, et excellent ou« vrage à excellent ouvrage. » Il n'y a pas apparence que M. Locke se soit donné cette peine. C'est assez à un étranger comme lui de suivre l'opinion la plus commune: et l'on sait qu'en fait de langues, tout ainsi qu'à l'égard des habits, les nouvelles modes paraissent toujours les plus parfaites au plus grand nombre. Racine, l'un des plus corrects et des meilleurs écrivains de notre siècle, n'est pas moins réservé que La Bruyère. Dans sa préface sur Mithridate, voulant citer un passage de Plutarque, il est bien aise de rapporter ses paroles telles qu'Amiot les a traduites; « car, dit-il, elles « opt une grace, dans le vieux style de ce traducteur, que « je ne crois point pouvoir égaler dans notre langue mo«derne.» Enfin, le célèbre La Fontaine était si convaincu

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plus imparfaite peut-être de toutes celles de l'Europe, si nous la considérons telle qu'elle était quelques règnes auparavant, dans quelque rang qu'on la mette aujourd'hui. Parmi les Romains, les personnes du premier rang s'exerçaient tous les jours dans leur propre langue, et nous trouvons encore dans l'histoire les noms des orateurs (1) qui ont enseigné le latin à des empereurs romains, quoique le latin fût leur langue maternelle.

Les Grecs ont été encore plus délicats sur cet article. Ils n'étudiaient et n'estimaient que leur langue: toute autre passait pour barbare chez ce peuple si savant et si spirituel, quoiqu'il soit indubitable qu'ils ont emprunté leur savoir et leur philosophie d'ailleurs.

que le langage de Marot, qui vivait du temps de François Ier, l'emportait sur le nôtre par la naïveté et la vivacité de ses expressions, qu'il s'est fait un plaisir de l'imiter, ce qui lui a très-bien réussi, selon M. Despréaux (Réflexions sur Longin, page 307, du tome III de ses œuvres de l'édition d'Amsterdam 1721), ou plutôt au jugement de toute la France; et qui n'admire encore aujourd'hui la naïveté, la netteté, la force et la vivacité du style de Rabelais qui vivait du temps de Marot? Il est aisé de conclure de là que la langue française que parlaient nos ancêtres, n'était pas si méprisable qu'on pourrait bien croire.

(1) Eutrope, parlant de l'éducation de Marc Antonin, dit, Latinas litteras eum Fronto orator nobilissimus docuit: Fronton, très fameux orateur, lui enseigna le latin.

Mon dessein n'est pas de décrier le grec et le latin. Bien loin de là, je crois qu'on doit faire une étude particulière de ces deux langues, et que tout gentilhomme doit au moins bien entendre le latin. Mais quelques langues étrangères qu'un jeune gentilhomme apprenne (et plus il en apprendra, mieux ce sera pour lui), celle qu'il devrait étudier exactement, et dans laquelle il devrait s'exprimer facilement, nettement et également, ce devrait être sa propre langue; et, pour cet effet, il faudrait l'y exercer tous les jours.

§ CXCVI.

La Physique.

Pour parler maintenant de la physique, si vous la considérez comme une science spéculative, je ne crois pas que nous ayons aucun traité de physique qui mérite ce nom, et peut-être ai-je raison de penser que nous n'en aurons jamais. Les ouvrages de la nature doivent leur naissance à une sagesse si sublime, et ont été produits par des moyens qui sont si au-dessus de notre pénétration ou de notre conception, que nous ne saurons jamais nous en former une idée assez claire et assez distincte pour mériter le nom de science. Comme la physique est la connaissance des principes, des propriétés et des opérations

des choses, telles qu'elles sont en elles-mêmes, je m'imagine qu'on y peut considérer deux par- . ties, dont l'une comprend les esprits, leur nature et leurs qualités, et l'autre les corps. On rapporte ordinairement la première à la métaphysique; mais, sous quelque prétexte qu'on en parle, je crois que l'examen des esprits et de leur nature devrait précéder celui de la matière et des corps, non en qualité de science qu'on puisse réduire en systême et traiter par des principes évidents, mais comme une étude propre à nous donner une idée plus certaine et plus étendue du monde intellectuel, que la raison et la révélation concourent à nous faire connaître. Or, puisque les idées les plus étendues que nous ayons des autres esprits, outre Dieu et notre ame, nous viennent du ciel par le moyen de la révélation, je serais d'avis que la connaissance que les jeunes gens doivent enfin avoir des esprits fût tirée de cette même révélation. Pour cet effet, je crois qu'il serait à propos de faire une bonne histoire de la bible, qu'on fît lire aux jeunes gens, dans laquelle on rangeât exactement toutes les choses qui seraient propres, à y entrer, selon l'ordre des temps, sans y insérer les choses qu'ils ne sauraient comprendre que lorsqu'ils seront dans un âge plus avancé. Par ce moyen, on empêcherait les enfants de tomber dans le désordre où

ils se jettent d'ordinaire en lisant indifféremment tous les livres de l'Écriture sainte comme ils se trouvent reliés dans nos Bibles. On retirerait encore de là un autre avantage, c'est qu'en faisant lire réglément aux enfants cette histoire, où les esprits font un personnage si considérable dans tout ce qui s'y passe, cette lecture leur donnerait peu-à-peu une idée de ces êtres intelligents, laquelle les convaincrait en même temps de leur existence, ce qui serait une bonne préparation à l'étude des corps. D'ailleurs, si nous n'admettons pas des esprits, notre philosophie sera imparfaite et défectueuse, dans l'une de ses plus considérables parties, puisque par là nous se-. rons privés de la contemplation des êtres les plus excellents et les plus puissants que Dieu ait créés.

§ CXCVII.

La Physique.

Je crois même qu'il serait à propos de faire de l'histoire de la bible un abrégé le plus court et le plus simple qu'on pourrait, qui contînt ce qu'il y a de plus remarquable et de plus essentiel dans cette histoire, pour le faire apprendre aux enfants dès qu'ils savent lire. Quoique cette méthode aille à leur donner de bonne heure quelque connaissance des esprits, elle n'est pourtant

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