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§ XXV.

Ce qu'il faut faire pour cela.

Ayant été engagé par une raison particulière à rechercher les causes de cette indisposition, et n'ayant pu trouver dans les livres les moyens de la guérir, je m'appliquai à découvrir ce moyen par ma propre méditation, persuadé que nous pourrions faire dans nos corps de plus grands changements que celui-là, si nous nous y prenions comme il faut, et que nous allassions par degrés.

1. Et d'abord je considérai qu'aller à la selle était l'effet d'un certain mouvement du corps, et surtout du mouvement péristaltique des boyaux.

2. Je considérai en second lieu, que plusieurs mouvements qui n'étaient pas entièrement volontaires, pouvaient cependant devenir habituels par l'usage et par une constante application, si l'on avait soin de les exciter régulièrement dans un certain temps, sans aucune interruption.

3. En troisième lieu, comme j'avais observé quelques personnes qui, en prenant une pipe de tabac après souper, ne manquaient jamais d'aller à la selle, je commençai à penser en moimême si ce n'était pas la coutume plutôt que le

tabac, qui leur procurait ce bénéfice de nature, ou du moins que si le tabac faisait cela, c'était plutôt en excitant un violent mouvement dans les boyaux que par aucune qualité purgative, parce que autrement le tabac produirait d'autres effets.

M'étant ainsi mis en l'esprit (1) qu'on pouvait se faire une habitude d'aller à la selle, ce qui me restait à examiner était les moyens dont on pouvait se servir le plus vraisemblablement pour en venir là.

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4. Dès-lors je conjecturai que si un homme,

(1) C'est de quoi Montaigne s'était déja aperçu. Voici comme il nous le dit naïvement à sa manière: « Et les rois « et les philosophes fientent, et les dames aussi. Les vies publiques se doivent à la cérémonie : la mienne obscure et « privée jouit de toute dispense naturelle: soldat et gascon « sont qualitez aussi un peu sujettes à l'indiscrétion : par « quoi, je 'dirai ceci de cette action; qu'il est besoin de la << renvoyer à certaines heures prescriptes, et s'y forcer par <«< coutume et assujettir, comme j'ai fait. De toutes les actions << naturelles, c'est celle que je souffre plus mal volontiers << m'être interrompue. J'ai veu beaucoup de gens de guerre << incommodés du déréglement de leur ventre; tandis que le « mien et moi ne nous faillons jamais au point de notre assignation, qui est au saut du lit, si quelque violente occu«<pation ou maladie ne nous trouble.» Essais, liv. III, C. XIV. M. Locke traite ce point d'une manière plus philosophique, et l'exemple de Montaigne servira tout au moins à confirmer sa doctrine.

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après avoir mangé le matin, allait aussitôt sur la chaise pour essayer si en s'efforçant il pourrait faire une selle, avec le temps il pourrait s'en faire une habitude par une constante pratique. § XXVI.

Voici pourquoi j'ai cru devoir choisir ce tempspour faire cet essai.

1. Premièrement, parce que alors l'estomac étant vide, s'il reçoit quelque viande qui lui soit agréable (car je ne conseillerais jamais, hormis en cas de nécessité, qu'on ne mangeât que ce qu'on aime, et lorsqu'on a envie d'en manger), il se trouve alors en état de resserrer ce qu'il reçoit par une forte compression de ses fibres, laquelle compression je suppose pouvoir probablement être continuée jusqu'aux intestins, dont le mouvement péristaltique s'augmente par le même moyen, comme nous le voyons dans la maladie nommée miserere, où le mouvement renversé ayant commencé quelque part par le bas, se produit ensuite lui-même durant toute la longueur des intestins, et engage même l'estomac à suivre cette détermination irrégulière.

2.

Ce temps-là est encore très- commode, parce que lorsqu'on mange, on a ordinairement l'esprit libre, et que les esprits animaux étant alors comme dégagés de toute occupation, coulent

avec plus de violence vers le bas ventre, ce qui est tout-à-fait propre à produire l'effet que nous recherchons.

3. Et enfin, parce que, lorsqu'on a le loisir de manger, on a aussi tout le temps qu'il faut pour aller à la selle. Au lieu qu'autrement, il serait impossible de se fixer pour cela à une certaine heure, vu la diversité des affaires et des accidents où les hommes se trouvent engagés; et l'on en perdrait infailliblement la coutume. Mais comme une personne qui est en santé manque rarement de manger une fois par jour, en prenant ce temps-là pour aller à la selle, on en conserverait la coutume, quoiqu'on n'y allât pas toujours à la même heure.

§ XXVII.

Sur ces fondements on en est venu à l'expérience; et je puis assurer que je n'ai vu personne qui, ayant fait régulièrement ce que je viens de dire, qui est d'avoir soin d'aller constamment à la selle tous les matins aussitôt après avoir mangé, soit qu'on en ait envie ou non, et de faire quelques efforts pour mettre la nature en train; je n'ai, dis-je, vu personne qui par ce moyen-là ne se soit rendu le ventre libre en peu de mois, et n'ait acquis une habitude ré, glée de faire une selle chaque jour aussitôt après

avoir mangé, à moins que la chose n'ait manqué par sa négligence. Car cette coutume une fois établie, soit qu'on se sente pressé d'aller à la selle ou non, il ne faut que se présenter et faire quelefforts, et l'on trouve infailliblement la nature toute prête à obéir.

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§ XXVIII.

Je serais donc d'avis qu'on fit prendre ce train à un enfant tous les jours immédiatement après qu'il aurait déjeûné. Pour cet effet, il faut le mettre sur la chaise percée, comme s'il était autant en son pouvoir de décharger son ventre que de le remplir; et l'on doit tâcher de l'entretenir dans ce préjugé aussi bien que la fille qui prend soin de lui. Que si outre cela on l'empêche de jouer ou de manger une seconde fois, jusqu'à ce qu'il ait fait effectivement une selle, ou du moins qu'il ait fait son possible pour cela, je ne doute pas que dans peu de temps il ne s'en fasse une habitude. Car on a tout sujet de soupçonner que les enfants étant ordinairement fort passionnés pour leurs petits jeux, et indifférents pour toute autre chose, laissent souvent passer ces sollicitations de la nature, lorsqu'elles ne sont

pas

fort violentes; et qu'ainsi, négligeant les occasions favorables, ils deviennent insensiblement constipés. Or que cet inconvénient puisse être

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