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parler, engagez-le dans la lecture de Cicéron (1), afin qu'il prenne dans les ouvrages de ce grand orateur la véritable idée de l'éloquence; et si vous souhaitez qu'il écrive purement en anglais, faites-lui lire des livres bien écrits en cette langue.

§ CXCIV.

Un enfant bien né ne doit pas étre élevé aux ergoteries de l'école.

Si l'usage et la fin du bon raisonnement conduisent à avoir des idées droites des choses et à en juger sainement, à distinguer le vrai du faux, le juste de l'injuste, et à agir d'une manière conforme à ces idées, ayez soin (2) d'empêcher

quelque matière curieuse et importante, et dont les raisonnements sont justes, bien suivis et clairement expliqués. L'ouvrage de Chillingworth a paru en français à Amsterdam en 1730, en 3 vol. in-12.

(1) A force d'entendre Démosthène, disait Élien, on deviendra grand orateur: Εάν προσέχῃ τὶς Δημοσθένει, δεινὸν εἴπειν ἐργάσεται ὁ Δημοσθένης. Var. hist. lib. IV, cap. 10.

(2) C'était aussi le sentiment de Montaigne, comme il nous l'apprend dans ses Essais, liv. I, chap. 25, en ces termes: « Cicéron disoit que, quand il vivroit la vie de deux hommes, il ne prendroit pas le loisir d'étudier les poëtes lyriques; et je trouve ces ergotistes plus tristement << encore inutiles. Notre enfant est bien plus pressé; il ne « doit au pédagogisme que les premiers quinze ou seize ans

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que votre enfant ne s'accoutume à toute cette ergoterie qu'on a réduite en art dans l'école, soit en s'y exerçant lui-même, soit en admirant ceux qui s'y amusent; si ce n'est qu'au lieu d'en faire un habile homme, vous ne vouliez en faire un disputeur sans jugement, un opiniâtre dans les conversations, qui se fera un honneur de contredire tout le monde, ou, ce qui est encore pis, qui mettra tout en question, s'imaginant que ce n'est pas la vérité qu'il faut chercher dans les disputes, mais seulement le plaisir de triompher de son adversaire. Rien n'est plus indigne d'un

« de sa vie : le demeurant est deu à l'action. Employons un << temps si court aux instructions nécessaires. Ce sont abus: <<< ostez toutes ces subtilitez espineuses de la dialectique, « de quoi nostre vie ne se peut amender: prenez les simples « discours de la philosophie, sçachez les choisir et traiter « à poinct; ils sont plus aisez à concevoir qu'un conte de << Boccace. » Et un peu plus haut dans ce même chapitre: « Qu'on le rende, dit-il, délicat au choix et triage de ses rai<< sons. Qu'on l'instruise sur-tout à se rendre, et quitter « les armes à la vérité, tout aussi-tost qu'il l'appercevra, soit qu'elle naisse ès mains de son adversaire, soit qu'elle. «naisse en lui-mesme par quelque ravissement.— Que sa << conscience et sa vertu reluisent en son parler, et n'ayent « que la raison pour conduite. Voire mais que fera-t-il « si on le presse de la subtilité sophistique de quelque syl« logisme? Ce jambon fait boire, le boire désaltère, pour quoi le jambon désaltère. Qu'il s'en moque, il est plus subtil de s'en moquer, que d'y respondre.

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honnête homme, plus mal séant à un homme de bonne maison, ou à toute personne qui prétend à la qualité de créature raisonnable, que de ne pas se rendre à une raison sensible et à l'évidence d'un argument convaincant. Il n'y a rien, dis-je, de plus contraire à la civilité qui doit régner dans la conversation des gens polis et au but de toute sorte de disputes, que de ne pas se contenter d'une réponse, quelque solide qu'elle soit, mais de continuer la dispute aussi long-temps qu'on le peut de part et d'autre à la faveur d'un terme équivoque, ou d'une distinction frivole, sans se mettre en peine si ce qu'on soutient est à propos ou non, raisonnable ou extravagant, conforme ou contraire à ce qu'on a déja dit. Cependant le grand art des disputes de logique, c'est que jamais l'opposant ne se contente des répliques du répondant, et que celui-ci de son côté ne cède jamais à l'évidence des arguments que l'autre lui propose. Arrive ce qui pourra de la vérité, nul d'eux ne doit en venir là, s'il ne veut être sifflé comme un misérable disputeur, qui ne sait pas soutenir vigoureusement ce qu'il a une fois avancé, en quoi consiste toute la gloire où l'on aspire dans les disputes. C'est par un sérieux et solide examen des choses mêmes, qu'on peut trouver et défendre la vérité, et nullement par moyen de certains termes artificiels et de cer

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taines méthodes de discourir, qui, loin de conduire les hommes à la découverte de la vérité, les engagent à employer des mots équivoques dans un sens captieux et trompeur, ce qui est la chose du monde la plus inutile et la plus choquante, et qui sied le plus mal à un gentilhomme, et en général à tout sincère amateur de la vérité.

§ CXCV..

Un gentilhomme doit apprendre à bien parler et à bien écrire.

Il n'y a guère de plus grande imperfection dans un gentilhomme que de ne pas bien s'exprimer en parlant ou en écrivant. Cependant combien voyons-nous tous les jours de gens qui, avec les revenus et le titre de gentilhomme dont ils devraient avoir les qualités, ne savent pas même raconter une histoire comme il faut, bien loin de pouvoir parler d'une manière nette et persuasive sur quelque affaire importante! Mais je crois que ce n'est pas tant (1) à eux qu'il faut

(1) M. Locke entend parler ici de ses compatriotes; et La Bruyère nous dit en général que si les enfants expriment leurs pensées en mauvais termes, « c'est moins leur faute « que celle de leurs parents ou de leurs maîtres. » Caractères, ch. XI, de l'Homme; tom. II, page 35, édition d'Amsterdam, 1743.

s'en prendre qu'à la manière dont ils ont été élevés; car je dois rendre cette justice à mes compatriotes (1), que, lorsqu'ils font usage de leur esprit (2), je ne vois pas qu'ils soient inférieurs à aucun de leurs voisins. On leur a appris la rhétorique, mais on ne leur a jamais enseigné à s'exprimer agréablement de bouche ou par écrit dans la langue dont ils doivent se servir toute leur vie, comme si l'art de parler consistait à savoir les noms des figures qui embellissent les discours de ceux qui entendent cet art. C'est une chose qui, comme toutes celles qui dépendent de la pratique, ne s'apprend point par le secours d'un petit ou d'un grand nombre de

(1) Les Anglais.

(2) J'admire ici la modestie de M. Locke, qui sans doute aurait pu parler plus avantageusement de son pays. On n'a pas accoutumé d'être si retenu sur cet article. Chaque nation se donne hardiment la préférence; de sorte qu'on pourrait dire des peuples ce que madame Deshoulières a dit de chaque homme en particulier,

Nul n'est content de sa fortune,

Ni mécontent de son esprit.

Ils se glorifient tous de leur génie pour les arts et les sciences; mais, chacun à part, ils trouvent leurs voisins trop puissants et trop riches. Ils leur envient leur application au commerce qu'ils voudraient attirer tout entier chez eux. Leur jalousie n'est jamais endormie à cet égard, parce que leur avidité est insatiable.

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